D’après le texte de Larry Tremblay. Mise en scène : Dany Lefrançois.
Troisième opus du Théâtre de la Tortue Noire présenté à Paris, ce « monologue pour une marionnette égocentrique surdimensionnée » est bâti sur un des solos de théâtre d’une trilogie consacré à la critique des médias. Son auteur écrivait, lors de sa création au Théâtre d’aujourd’hui à Montréal en 1998 : « Ogre trône sur un univers qu’il manipule avec sadisme, souriant et insatiable. Dévorant l’immense quantité de vide qui l’entoure, le recrachant en un épais nuage de mots, il se répand, se disloque, s’annule. Quoi de plus engraissant pour un ego qu’une caméra de télévision ? »
Dany Lefrançois, directeur artistique de la compagnie québécoise, avait, depuis longtemps, la pièce en tête et, relevant le défi d’adapter ce texte à la marionnette, a imaginé, pour représenter cet être gonflé de mots, une poupée géante créée par Mylène Leboeuf-Gagne.

Les marionnettistes que nous avons vus, ces dernières semaines, s’emparer d’objets miniatures dans Le petit cercle de craie et Kiwi changent radicalement d’échelle et semblent des lilliputiens aux côtés de ce corps grotesque.
A la fois manipulateurs et manipulés, ils sont d’une impressionnante précision, leurs gestes synchrones avec le texte pris en charge par un comédien. Hors champ, mais à vue sur le plateau, celui-ci donne au personnage toutes les nuances jusqu’à reproduire son essoufflement, ses grognements. Homme-orchestre, il assure tous les bruitages : musique d’ambiance, clapotis d’un bain, absorption goulue d’une bière…

L’ogre se prépare à une émission de télévision et parle beaucoup,et uniquement de lui : il écrase femme et enfants de son mépris et exerce un droit de cuissage sur sa fille ou sur une journaliste… Il « bouffe » littéralement tout le monde. Mais une fois sous le feu des projecteurs, il n’aura finalement plus rien à dire… Plein de sa vanité, telle la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf.
Ce spectacle est un bel exploit, à la fois technique et théâtral et, par sa forme originale, pousse la fable à son paroxysme. Malgré quelques longueurs, le texte résonne singulièrement avec notre actualité. On pense à ces puissants qui défrayent aujourd’hui la chronique : patrons de presse, producteurs hollywoodiens, présidents milliardaires, ou chefs d’entreprise… Ils se croient tout permis du haut de leur majesté, et boulimiques d’argent et/ou de pouvoir, sont prêts à avaler, exploiter, violer… en toute impunité.
Article de Mireille Davidovici. Source : Théâtre du Blog.
A lire :
– Ogre de Larry Tremblay (Editions Lansman, 2019).
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