Mise en scène : Brice Berthoud1 avec Marie Girardin. Dramaturgie : Saskia Berthod. Composition musicale : Jean-Philippe Viret. Scénographie : Brice Berthoud avec Adèle Romieu. Marionnettistes en déséquilibre : Camille Trouvé2, Jonas Coutancier. Créateurs d’images et de lettres en direct : Amélie Madeline en alternance avec Vincent Croguennec. Homme échelle, régisseur plateau : Philippe Desmulie. Quatuor à cordes : Jean-Philippe Viret (contrebasse), Mathias Levy (violon), Maëlle Desbrosses (alto), Bruno Ducret (violoncelle). Création 2021.
La compagnie Les Anges au Plafond3 nous propose un voyage intérieur, dans « un vrai corps humain » à la recherche des mécanismes du désir, du sentiment amoureux. Deux scientifiques/explorateurs sont propulsés par les voies respiratoires jusqu’au cœur, puis redescendent dans les intestins et les organes reproducteurs. Cette odyssée inspirée des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes va être le théâtre d’une bataille, d’un tiraillement, d’un déséquilibre intérieur où le désir va se confronter au manque, aux pulsions et à la jalousie. Des sentiments contradictoires prenant la forme d’un minotaure perdu dans son labyrinthe, d’une meute de loups, d’une femme sans tête, d’un gros et inquiétant bonhomme chasseur de rats…
Ce périple rappelle le film de science-fiction L’Aventure intérieure (1987) de Joe Dante mais sans effets spéciaux, avec une esthétique « transparente » de cintres, poulies, voiles, ficelles et rideaux mouvants. La scénographie est volontairement rudimentaire et visible de tous réunissant scène et salle. Le régisseur plateau étant intégré au spectacle, c’est lui qui joue les accessoiriste, machiniste et comédien. C’est également lui qui « tire les ficelles de la destinée », provoquant les cataclysmes intérieurs à venir. Autour de deux marionnettes de papier, métaphores de l’homme manipulé par des forces supérieures, deux quatuors se toisent. Un composé de deux marionnettistes, une plasticienne un homme-échelle. Et l’autre avec un quatuor à cordes. La musique résonne en direct au rythme du cœur, des pulsations intérieures et donne le tempo aux comédiens dans de subtiles variations.
Il y a dans ce chaos affectif de fabuleux moments, des images saisissantes. Tout d’abord ces apparitions de silhouettes humaines et animales découpées aux cutters sonorisés sur un grand rouleau de carton, déroulé de jardin à cour. Nous assistons à un geste magique et primitif surgissant dans une lumière orangée qui rappelle les couleurs des œuvres pariétales d’où émergent les deux marionnettes tel Adam et Eve. Une fresque de dix mètres de long qui marquent les différentes étapes du récit à venir. Un autre moment stupéfiant, vers la fin du spectacle, est l’apparition en ombres chinoises d’un corps composite et fragmentaire grâce aux quatre comédiens éclairés par morceaux. Cette apparition monstrueuse et gigantesque est digne d’une fantasmagorie moderne. Le Nécessaire Déséquilibre des Choses déploie un récit d’aventure empreint de philosophie, d’humour et de passion qui touche juste et évite une certaine lourdeur morale. Bravo aux huit artistes qui s’investissent entièrement dans l’expérience et arrivent à toucher les spectateurs dans leur intimité qui est au fond universelle.
Notes :
1 Circassien de formation, Brice Berthoud a débuté comme fil-de-fériste et jongleur dans la compagnie Le Colimaçon créant cinq spectacles mêlant les arts du cirque et la comédie. En 1994, il rencontre la compagnie strasbourgeoise Flash Marionnettes, avec laquelle il créera neuf spectacles dont La Tempête (1994), Léonard de Vinci (1998), Les Pantagruéliques (2002) et Un Roman de Renart (2005). Sa technique de manipulation emprunte d’une certaine manière au jonglage par la dextérité et la virtuosité avec laquelle il change de marionnettes. Comédien-marionnettiste dans Les Nuits Polaires, Au Fil d’Œdipe, R.A.G.E, White Dog, il prête sa voix à plus d’une dizaine de personnages. Il a réalisé la mise en scène du Cri quotidien, Une Antigone de papier, Les Mains de Camille, Du rêve que fut ma vie, Le Bal Marionnettique et Le Nécessaire Déséquilibre des Choses.
2 Formée à l’art de la marionnette à Glasgow, Camille Trouvé co-fonde la compagnie Les Chiffonnières. Jusqu’en 2006, elle mène, avec ces artistes plasticiennes et musiciennes, une recherche sur le rapport entre image et musique. Elle se forme auprès de grands metteurs en scène et auteurs de théâtre tels que Wajdi Mouawad, François Cervantes et Catherine Germain, Laurent Fréchuret et suit les cours de formation continue l’ESNAM (École Nationale des Arts de la Marionnette). Son maître d’ombre et de lumière est le marionnettiste italien Fabrizio Montecchi. Constructrice, bricoleuse d’objets articulés insolites, marionnettiste et comédienne, elle poursuit sa recherche, traçant au fil des créations un univers visuel original et décalé. Comédienne-marionnettiste dans Le Cri quotidien, Une Antigone de papier, Les Mains de Camille et Du rêve que fut ma vie, Le Bal Marionnettique et Le Nécessaire Déséquilibre des Choses elle a réalisé la mise en scène des Nuits polaires, Au Fil d’Œdipe, R.A.G.E et White Dog.
3 La compagnie Les Anges au Plafond porte depuis sa création en 2000, un projet pluridisciplinaire à la croisée des arts : théâtre, arts plastiques, art du mouvement, magie nouvelle, musique. Cette transversalité des pratiques constitue véritablement le moteur de sa recherche et participe à faire reconnaître les arts de la Marionnette comme vecteur d’innovation et de renouvellement des esthétiques dans le domaine théâtral. Camille Trouvé et Brice Berthoud, co-fondateurs de la compagnie, articulent leur langage artistique autour de trois grands axes : le souffle de l’épopée, l’espace en question et le geste de manipulation, visible ou invisible. Portés par l’envie de conter des histoires intimes et spectaculaires, ils nous transportent dans les récits de trajectoires de vie, des mythes fondateurs d’Antigone et d’Œdipe aux figures d’artistes contemporains. Après quatre spectacles qui mêlent l’intime et le politique et mettent en scène les figures de Camille Claudel et Romain Gary, ils ressentent aujourd’hui la nécessité d’aller ailleurs. Leur geste de création prend comme point de départ, non plus le récit d’une trajectoire de vie connue, mais le principe de manipulation même, comme moteur de l’écriture. Avec la création du Nécessaire Déséquilibre des Choses, ils partent en exploration dans les méandres de l’être humain pour tenter de démêler la mécanique du désir amoureux…
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