Un événement éditorial, vu le peu de littérature sur le mime… Du couple artistique Pinok et Matho alias Monique Bertrand et Mathilde Dumont, cet ouvrage thématique complète l’histoire exhaustive de ce mode expression, Une saga du mime, des origines aux années 1970 (2016) des mêmes auteurs, chez les mêmes éditeurs. Imposant, de format carré, 360 pages, il approche le kilo mais est agréable à lire, enluminé de centaines de photos, dessins, notations gestuelles, figures géométriques. Mais on peut aussi le consulter, suivant la curiosité ou la nécessité. Le mot somme s’impose avec, dans la table des matières, un nombre considérable de thèmes, comme les concepts forgés par Étienne Decroux pour définir le jeu, l’espace, la musicalité corporelle, ou plus techniques, comme la verticalité axiale, la gestuelle de chaque membre et partie du corps, les attitudes et les accents, le rapport aux objets. Un index avec des mots-clés plutôt que des noms propres, permet de se familiariser avec le jargon du métier.
L’approche de l’art du mime est ici à la fois épistémologique et expérimentale : les auteures en ont montré leur connaissance encyclopédique dans leur précédent livre. Elles s’appuient ici sur leur expérience artistique et d’enseignement qui couvre un demi-siècle. En annexe, figure leur parcours avec de nombreux spectacles entre 1960 et 1998, présentés le plus souvent dans de petits lieux comme l’auditorium du musée Guimet, la salle des Monuments français, le théâtre du Kaléidoscope, les Théâtre Récamier, Mouffetard, Hébertot, des Deux portes, celui de Colombes, de la Plaine, du Tertre, de l’Alliance française, de La Huchette… Sans compter les festivals, les tournées dans l’hexagone ou à l’étranger, notamment au Canada où le mime participe aux veillées des longues soirées d’hiver et d’où sont issus des talents tels que Jim Carrey ou Michel Courtemanche. Enfin, ce volume comporte des analyses et une série d’exercices, avec trucs, tournemains, effets d’illusion, pour une fois révélés aux non-initiés, ce qui invite à passer à l’acte…
Plus qu’aux expressions corporelles et à l’équivalent des mudras et autres bhavas de la danse indienne, plus qu’aux masques transmis par la commedia dell’arte, nous avons en effet été sensible à la production de chocs visuels avec des moyens très simples, qui nous ont été légués depuis l’Antiquité, des travaux pratiques préalables pouvant prendre un certain temps, qu’ils soient dirigés par des entraîneurs, par le reflet dans un miroir ou par une impitoyable caméra vidéo. Et ces exercices sont transposables à d’autres champs artistiques… Le mime faisait partie, il n’y a guère, de la formation du comédien et a été un des moteurs du succès planétaire de Michael Jackson. Et il reste la base de la « danse debout » du hip hop.
Et nous avons apprécié les travaux pratiques comme les « objets imaginaires fixes », la descente d’escalier qui a pu inspirer le fameux Nu descendant l’escalier de Marcel Duchamp !, une lourde valise, des poids et haltères pour malabars circassiens, des obstacles imaginaires comme une charrette, un gros rocher, une voiture à pousser ou à tirer et hue et à dia, mais aussi la marche contre le vent (obstacle fluide), la marche sur place chère à Etienne Decroux, Jean-Louis Barrault, Marcel Marceau, Cab Calloway, Bill Bailey ou encore le gel du mouvement ou « arrêt chronophotographique »…
Article de Nicolas Villodre. Source : Théâtre du Blog.
A lire :
– Le Mime de A à Z, Les Arcanes de la création de Pinok et Matho (Editions Riveneuve-Archimbaud, 2019).
– Histoire des funambules et de la pantomime.
– L’expression corporelle.
Note :
Pinok et Matho se rencontrent en 1958 à l’École normale supérieure d’éducation physique et sportive (ENSEPS). Elles suivent des cours de mime avec Étienne et Maximilien Decroux, de danse contemporaine avec Karin Waehner, Pearl Lang et Yuriko (école Martha Graham), et de jazz avec René Deshauteurs, la méthode Dalcroze avec Valérie Roth. À partir de 1962, elles créent à Paris treize spectacles de mime dont les critiques soulignent la liberté d’écriture qui échappe à toute référence antérieure. Elles font des tournées en France et dans le monde entier, depuis l’Afghanistan jusqu’à Taïwan, en passant par l’Égypte et la Norvège. En 1965, elles ouvrent une école, le TEMP (Théâtre École Mouvement et Pensée), réalisent des documents pédagogiques (quatre livres chez Vrin, disques, films et vidéos), animent de nombreux stages en France comme à l’étranger et impulsent différents festivals de mime. Elles sont auteures du livre de référence Une saga du mime des origines aux années 1970 (Riveneuve, 2016).
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