Que constatons nous ? : Trop de numéros aussi impressionnants soient-ils, ne sont en fait qu’une forme de fourre tout plus ou moins mis en scène centré sur « l’artiste narcissique ». Le magicien devrait être un médiateur, une personne qui échange. Son rôle est de faire partager une expérience, en passant un moment de complicité avec le public. La participation des spectateurs est primordiale. Créer un lien et une expérience magique avec le soutient d’autrui c’est l’inclure dans le processus de représentation. C’est le spectateur qui est le véritable sujet d’un tour de magie ; à travers lui que la magie opère. Ainsi il faut toujours penser le numéro selon le point de vue du spectateur.
En se mettant à la place du public, on prend conscience que le numéro doit avoir un sens profond. On ne montre pas un effet magique sans y avoir réfléchit avant. Il n’y a aucune raison ni aucun sens à réaliser « des trucs » à la volée. Montrer une illusion doit être justifié.
Réfléchissons : pourquoi faire tel tour à tel moment, dans tel endroit, avec telle personne ? Toutes ces questions doivent trouver une réponse avant la représentation, même si nous devons également composer avec l’imprévu sur place.
Ecoutons le sociologue Philippe Breton : « Prendre la parole implique un enjeu, je m’engage, c’est moi qui parle. Etre entendu et convaincant ; la parole digne de ce nom est toujours une proposition de changement, elle doit provoquer chez l’autre une interrogation, un intérêt. Qu’est-ce pour vous que convaincre ? : les jeunes répondent « séduire », les plus âgés faire une démonstration logique ; or il existe une troisième voie qui passe essentiellement par l’écoute. »
Le numéro opère parce que tous les paramètres qui la composent sont en osmose (le tour, la situation, le lieu, les gens …). Il varie suivant tous ces paramètres. Bien qu’il soit le même pour nous il change constamment suivant l’interprétation du public. C’est ensuite à nous de choisir quel mode de représentation est le mieux adapté pour véhiculer notre magie !
Les situations de la représentation :
1/ L’impromptu :
Nous sommes sensé ne rien avoir sur nous, ne rien avoir préparé, sauf dans le cas de l’improvisé (mais les gens ne le savent pas). La magie impromptue est celle qui revêt parfois le plus d’intensité magique. La magie pure non préparée (qui semble telle), est de la vraie magie pour les spectateurs. En utilisant un objet de tous les jours appartenant à monsieur tout le monde, les « accessoires » ne semblant pas vous appartenir renforce l’effet magique.
Certains collègues pensent qu’un vrai magicien, doit pouvoir faire de la magie partout, n’importe quand et avec n’importe quoi ! Ils conseillent de se préparer un minimum afin de réagir rapidement face à une situation embarrassante, prêt à utiliser stylo, bague, clé, allumette, pièce, ou serviette pour répondre aux attentes du public.
Si les gens sont demandeur d’effets, c’est mieux de ne pas se contenter d’un simple truc mais essayer de les étonner par une routine construite qui dépasse leur attente ; nous sommes alors dans la peau d’un vrai magicien qui doit faire ses preuves.
Si c’est nous même qui introduisons un effet impromptu, il doit être justifié par rapport à la situation du moment (ex : quelqu’un parle d’un sujet proche d’une routine que l’on a construite, et c’est le moment pour donner « sa version magique »).
« Pour introduire une illusion impromptue, il faut amener la conversation sur un sujet ayant rapport à l’illusion. Encourager les spectateurs à participer à la conversation de façon à augmenter leur intérêt dans le sujet. Essayer de faire naître une discussion entre eux, et amener quelqu’un à vous mettre au défi de faire la preuve des pouvoirs dont vous parlez. » Henning Nelms
2/ Le Close-up :
C’est « l’art du contact rapproché », close-up = gros plan. Le plus souvent magie préparée, répétée à l’avance, la technique (manipulation et texte) doit être maîtrisée à 100% pour permettre au magicien de se concentrer sur la présentation. Mais celle-ci peut aussi varier suivant les spectateurs et les relations humaines qui vont s’échanger. Se projeter, être à l’écoute, « sentir », communiquer.
Le prestidigitateur doit entrer avec précaution dans « la bulle » des spectateurs en se faisant accepter progressivement. En désamorçant l’idée de défi, en restant humble et généreux, les spectateurs passent un agréable moment car ils ne se sentent pas agressés.
3/ Le Salon :
Proche du close-up et de la scène, la magie de salon demande un sens scénique plus développé. Il faut gérer les spectateurs en fonction du temps et de l’espace (on se trouve sur une « petite scène »). Ici, on a plus de temps pour poser notre univers, et instaurer un climat magique. On peut développer en profondeur une vision créative et personnelle de la magie accessible au public (temps et proximité).
4/ La Scène :
La magie scénique est une forme de théâtre principalement visuel (excepté quelque discipline comme le mentalisme par exemple). Dans magie il y a image. Cette vérité est vérifiée dans bon nombre de numéros sans paroles accompagné de fonds sonores tonitruants !. Etre sur scène c’est être sur « un piédestal », passer à une dimension plus complexe de la représentation dans son ensemble. Il n’y a plus le même rapport avec le public. La séparation est nette et la frontière affichée. On se retrouve tout seul face à de nombreuses personnes, obligé à gérer l’espace.
La chose primordiale pour faire de la scène c’est la présence. Sans présence, on n’existe pas (chez certains, la présence est innée). Utiliser un tel espace doit être une nécessité profonde pour réaliser « son œuvre ». On fait de la scène parce que l’espace correspond au message que l’on veut faire passer, à une émotion que l’on ne pourrait pas exprimer autrement. Soit dit en passant, on peut provoquer la même émotion en close-up que sur scène. L’important n’est pas le volume de l’illusion mais le talent du magicien à provoquer chez les spectateurs un état émotionnel profond (Juan Tamariz arrive à captiver une salle entière avec…un jeu de carte !).
La scène demande un travail de scénographie (décor et lumière) de présence scénique (jeu de l’acteur) et de mise en scène. Pour réussir, certains se font entourer de nombreuses personnes (metteur en scène, chorégraphe, scénographe, éclairagiste, costumier…). Le travail d’équipe est gage de succès.
5/ La magie intégrée à une autre forme artistique :
On voit de plus en plus souvent l’art magique intégrer une autre forme d’expression artistique, comme le Théâtre, la Danse, le Cirque, le Théâtre d’ombres et d’objets à plus petite échelle. L’illusionnisme provoque un sentiment de merveilleux en chacun de nous. Cet art polymorphe peut s’adapter à l’évolution (bien réelle) du spectacle vivant. La magie intégrée à une forme théâtrale est indissociable de l’ensemble, elle n’existe pas en elle-même. Elle doit faire partie intégrante du reste de la représentation. Elle n’est plus une finalité mais intègre des principes nouveaux, qui sont autant de points positifs à son évolution (le jeu théâtral, la gestuelle, le langage, la scénographie…).
Les possibilités sont énormes à l’heure où toutes les disciplines artistiques s’entrecroisent. Il faut tout de même rester prudent et ne pas servir aux spectateurs un catalogue d’expressions artistiques indigestes.