Extrait de la revue L’Illusionniste, N° 148 d’avril 1914
Le colonel Stodare, dont nous présentons aujourd’hui le portrait, ne posséda jamais aucun grade, pas plus qu’il ne dirigea aucune manœuvre de régiment. Son vrai nom était Alfred Inglis, et le titre dont il orna son pseudonyme n’eut pour but que d’influencer agréablement le public anglais. Sa seule arme fut une baguette à bouts d’ivoire, dont il sut user avec une grande perfection.
Sa première apparition en public eut lieu à l’Egyptian-Hall de Londres, le lundi de Pâques, 17 avril 1865, c’est la qu’il offrit à son auditoire la primeur d’expériences magiques reconstituant les prétendus miracles des fakirs : la germmation et la croissance spontanée du manguier et le fameux truc du panier indien. Son succès fit une telle sensation que la presse du monde entier en parla, c’est ainsi que la gravure que nous reproduisons est une réduction de celle parue dans le Monde Illustre du 2 juin 1866, ou elle était accompagnée d’un article de E.Bairere, qui raconte ainsi l’expérience. On ne peut imaginer rien de plus étonnant, et les esprits les plus ingénieux, qui cherchent la solution de cette énigme, sont forces de s’avouer vaincus.
Voici les détails que donne le colonel Stodare sur la manière dont un prestidigitateur hindou s’y prit pour lui montrer le plus fameux tour de son répertoire. « Sahibs » nous dit le vieillard, « vous m’avez vu faire pousser en un instant sous vos yeux, un jeune palmier, maintenant je vais faire disparaitre sous terre ce jeune enfant »
Les spectateurs se rangèrent en cercle et se regardèrent attentivement. On apporta un panier. Il le prit et en couvrit complètement l’enfant. Cela fait, le vieillard s’écria : « Le panier, presse-t-il sur ta tête ? » — La voix de l’enfant répondit de dessous : — « Oui. Il m’écrase presque ». — « Eh bien » s’écria le vieillard, « enfonce toi dans la terre, et aussi vite que possible. Ne fais pas languir les spectateurs ». Quelques minutes après, le jeune garçon reprit : « Je ne peux pas m’enfoncer plus avant, il y a une grosse pierre qui me barre le chemin. » — « Allons donc » répartit le magicien ; « si dans deux minutes tu ne disparais pas, je te rosserai d’importance ». Ce dialogue se continua ainsi, le jeune garçon se plaignant et le vieillard devenant de plus en plus irrité, ce qui nous fit dire : — « Oh ! Laissez donc partir cet enfant, vous ne pouvez pas faire votre tour tandis que nous regardons ».
Ces paroles n’eurent pour effet que d’augmenter sa colère. Il commença à jurer et à maudire l’enfant récalcitrant, il déclara que jamais il n’avait enduré l’humiliation de manquer son tour. Tout à coup, avant que nous puissions deviner ce qu’il allait faire, il saisit la lance acérée d’un des soldats et la plongea à travers le panier. Des cris horribles en sortirent et le sang commença a couler sur le sable II continua à percer le panier de part en part ; les cris continuèrent. Le sang sortait à flots. Nous ne savions que faire, ignorant si la tragédie était réelle ou simulée. Nous ordonnâmes à nos domestiques de s’emparer du vieillard, mais ils témoignèrent tant de frayeur, qu’à la fin deux d’entre nous, sortant du cercle, s’avancèrent sur la scène du meurtre. L’assassin était tellement occupé à son oeuvre diabolique, qu’il ne faisait aucune attention a nous. Mon camarade le saisit à la gorge, je renversai le panier d’un coup de pied.
Il n’y avait rien dessous ! Seulement, le terrain était couvert de sang. Le vieux magicien, lorsque mon ami l’eut relâché, nous dit : « Vous voyez, j’ai voulu faire disparaître cet enfant sous terre, et comme il ne voulait pas m’obéir, je l’y ai fait entrer de force ». Notre étonnement était sans bornes. — « Ou est donc alors l’enfant ? — Là-dessous » dit le vieillard, nous montrant le sol, « mais, il va être de retour dans un instant. » Et, en effet, nous entendîmes dans le lointain la voix de l’enfant qui nous criait : « Me voila ! » Nous regardâmes du côté d’où venait la voix et nous vîmes venir à nous, sain et sauf, quoique un peu essoufflé l’enfant que nous avions cru victime d’un cruel assassinat.»
Avec quelques variations inévitables, c’est à peu près ainsi que procède le colonel Stodare. Il ordonne à une jeune fille d’entrer dans le panier ; elle de refuser ; le colonel feint une grande colère et, l’y renfermant de force, perce de part en part le panier avec un sabre que les assistants ont pu voir de près et toucher ; des cris horribles terrifient les spectateurs ; le sabre est retiré couvert de sang ; on croit assister à un meurtre pour tout de bon.
Le colonel lève le panier, il n y a rien dessous, et la jeune fille reparaît dans une loge parmi les spectateurs. Le panier, percé de part en part, et le sabre couvert de sang, pourraient, à la rigueur, s’expliquer ; mais c’est la manière dont s’y prend le colonel Stodare pour faire disparaître la jeune fille qui nous semble inexplicable et merveilleuse, car le panier est placé sur quatre pieds qui laissent un ample espace au dessus, en dessous et sur les côtes. Le panier, du reste, est placé au milieu même de la salle.
Deux cents représentations consécutives n’épuisèrent pas la vogue de ce spectacle, que Stodare jugea cependant à propos de remplacer par une nouveauté sensationnelle que venait d’inventer M.Tobin : Le Sphinx, qui, bientôt après, fut reproduit à Paris par M. Talrich, sous le nom du Décapité parlant.
La mort de Stodare, survenue en 1866, à la fleur de son âge et en plein succès, interrompit prématurément cette brillante carrière. Il venait de faire paraître deux petits livres : The Art of Magic et A Stodare’s fly notes, tous deux fort intéressants. Mme Stodare continua la série des représentations à l’Egyptian-Hall, avec l’assistance de M. Firbank Burnam, un des élèves de Stodare, et MM. G. W. Jester et « Who’s He », deux ventriloques. Le professeur allemand Frickel fut engagé par la suite et continua à assurer le succès de cet établissement qui devait, plus tard, passer entre les mains de J.N Maskelyne.
J. C
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