Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
A l’âge de huit ans, mon premier contact avec la magie a aussi été une empreinte indélébile.
Je n’oublierai jamais ce magicien du cirque « Bonjour » de Jean-Baptiste Thiérrée et Victoria Chaplin. C’était à Avignon en 1972 et je revoie encore un des tours qu’il faisait : il tenait un carré en métal qui, lorsqu’une bulle de savon le touchait, se transformait en cercle !
Il faut dire aussi qu’à cette époque je baignais complètement dans le milieu du théâtre et des performances de rue, avec entre autres Philippe Caubère, qui vivait à la maison, mais aussi des membres du « Magic Circus » de Jérome Savary tels que Maxime Lombard, Jean-Claude Bourbault… Je participais activement à leurs spectacles de rue, souvent à des heures où les enfants dorment depuis longtemps.
Le virus du spectacle était bien présent !
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Au cours d’un déménagement, je découvre au grenier, tout poussiéreux, un livre de prestidigitation ! Je ne le possède malheureusement plus, mais il y avait « Magie Blanche » dans le titre.
C’est ainsi que j’ai découvert le tour des Gobelets, et la manière de pétrir soi-même les muscades dans le liège… mais aussi l’ Empalmage et le Tourniquet.
Ce qui me plaisait dans cette pratique, c’était la sensation physique des objets dans les mains. L’odeur des muscades pétries dans le feu. Aujourd’hui encore je peux ressentir cet effet « Madeleine de Proust » et replonger dans le passé en évoquant ces moments.
Je pouvais garder une balle ou une pièce à l’empalmage des heures durant jusqu’à l’oublier.
A l’école, cela me rendait « spécial » et on me sollicitait souvent, juste pour faire disparaître une pièce (mes tours fétiches étaient la pièce reliée à un tirage et l’épingle de sûreté qui traverse à vue un petit morceau de bois).
Petit à petit, je me suis procuré quelques livres de prestidigitation, principalement chez Jean-Pierre Hornecker et j’ai travaillé mes bases avec le plaisir de la découverte et de l’apprentissage, et ce sentiment indicible de savoir que l’on est en train d’apprendre quelque chose de SECRET, que très peu de gens connaissent ; la sensation de faire partie de quelque chose, même si en fait j’étais tout seul !
C’est au hasard des séjours en pension et des déménagements que j’ai atterri près de Grenoble en 1981, une année importante puisque je rencontrais des magiciens pour la première fois.
Grâce à Albert Charra et tous les membres de la F.F.A.P. j’ai vécu des moments extrêmement magiques et inoubliables : La soirée exceptionnelle en compagnie de Philippe Fialho, sa maîtrise des tours de Fred Kaps et la nuit de la magie qui s’ensuivit sont des souvenirs impérissables.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé ? A l’inverse, un évènement vous a-il freiné ?
En 1995, je vivais dans le Var et un jour j’apprends que Jean-Pierre Vallarino donne des cours dans son école de magie à Nice. Mon sang ne fait qu’un tour, je répète mes routines et me jette à l’eau : le rendez-vous est pris. Le jour J, avec un trac monumental, je me présente devant le Maître et un de ses amis, pour faire une démonstration en vue d’une évaluation de mon niveau.
Je donne le meilleur de ce que je faisais à l’époque en pièces, et le verdict tombe : « Mais qu’est-ce que tu veux que je t’apprenne ? »
C’est tout le problème de l’autodidacte : on travaille selon son inspiration et ses capacités, mais on n’a pas forcément de repères, à part les livres (je parle bien sûr pour ma génération, où l’Internet grand public n’existait pas).
Ce jour-là j’ai présenté un festival de routines de pièces, allant de Chris Kenner à Gary Kurtz en passant par David Williamson.
Ce fut le début d’une belle amitié et de nombreuses collaborations, les plus marquantes étant le voyage à Buenos-Aires, à l’occasion du congrès Bazaar de Magia, et la rencontre de David Roth.
On se réunissait souvent à plusieurs pour traduire, décortiquer et expérimenter des routines, des textes ou des idées.
En fait, ce qui m’a tout de suite fasciné dans la magie de Jean-Pierre Vallarino, c’est la grâce dégagée par ses mains.
Elles semblaient (et semblent toujours !) animées d’une vie propre.
Je lui en ai souvent parlé, j’avais même en projet d’écrire un essai sur ce sujet : quand les mains parlent d’elles-mêmes…
Je sais que mes mains ont aussi tendance à se comporter de manière « autonome », et je travaille dans ce sens.
Le jour où j’ai rencontré Carlos Vaquera fut aussi très important pour moi, car il m’a donné une direction de travail dans la magie des pièces.
En effet, après avoir fait une démonstration de The Coins in Champagne Glass de Dai Vernon, il m’a fait comprendre que bien que fantastique, cette magie appartient au passé.
Qu’il ne s’agit plus de la reproduire, mais bien d’en tirer les enseignements pour élaborer une magie personnelle. Inutile de dire que cela m’a mis un bon coup de fouet !
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Je travaille beaucoup dans la rue, à l’occasion de festivals comme « Châlon dans la rue » ou Aurillac, avec les classiques principalement, comme les Anneaux Chinois, les Gobelets, les pièces…
Mais j’aime aussi me poser sur une place ou devant un restaurant et faire de la magie.
J’ai énormément travaillé dans le milieu du Close-up évènementiel, principalement sur la Côte d’Azur, avec un répertoire varié, cordes, bague, cartes, etc. Et je dois dire que j’évite maintenant ce type de prestation, bien qu’à l’occasion il m’arrive de travailler pour des évènements privés.
Je peux aussi présenter des illusions de scène plus adaptées au cabaret comme les Anneaux Volants à la manière de Victor Voitko, les Sables du Désert, ou encore mon numéro de Contact Juggling.
Les Master Class à l’intention des magiciens font aussi partie de mon activité actuellement, c’est très enrichissant d’enseigner !
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marquées ?
La liste est longue !
Voici une petite sélection : Dans le monde magique c’est avant tout à Fred Kaps que je pense, tellement de classe, de maîtrise et d’aisance ! Un modèle pour tout magicien.
J’ai eu la chance de voir Frakson sur scène à L’Olympia de Paris, j’en garde un souvenir extraordinaire. Curieusement je me souviens plus de son sourire, de son charisme que de ses manipulations (cigarettes allumées)…
Un épisode très formateur fut ma participation aux spectacles d’un cabaret-dîner-spectacle pendant quatre ans ; j’y ai travaillé avec des personnalités riches et uniques, tel Billy Brice et son numéro de fouet et lassos. A son contact j’ai compris beaucoup d’aspects concernant la gestion des spectateurs !
Dans un autre domaine, j’ai eu le privilège de voir le légendaire groupe de rock Queen au Spectrum de Philadelphie : une magistrale leçon de présence scénique de feu Freddy Mercury !
J’ai aussi une pensée pour les magiciens et artistes anonymes que j’ai croisé au fil de mes voyages, en Inde particulièrement…
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
La magie visuelle.
Probablement parce que je suis aussi jongleur.
Bien que je respecte toutes les autres formes de magie, j’ai un peu de mal à accrocher quand le magicien bonimente à n’en plus finir, pour finalement montrer un effet magique.
Je travaille sur un numéro de Contact Juggling dans lequel j’inclus des effets magiques ; c’est un vrai challenge car je suis obligé d’inventer mes techniques !
La magie des pièces est éminemment visuelle !
J’ai d’ailleurs sorti un DVD Moneypulation Vol.1 où je développe une technique bien connue mais très peu utilisée.
Les classiques de la magie, car ils sont intemporels et ne demandent qu’à être réactualisés au fil des ans.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Impossible de tout énumérer, mais en vrac : George Carl, Jérôme Savary, Orson Welles, Charlie Chaplin, Grock, Tommy Wonder, René Magritte, Michael Moschen, Chris Kenner, Georges Méliès, David Williamson, Pat Martino…Tous ont plus ou moins influencé mes choix artistiques, visuels ou musicaux.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Il est très difficile de répondre objectivement à cette question, car en ce qui me concerne je progressais seul avec mes livres, et c’était les années 80… autant dire un autre monde !
Le fait de travailler seul ne me gênait pas outre mesure, car cela correspondait bien à mon caractère, plutôt solitaire et indépendant.
Quand j’ai rejoint l’équipe de Grenoble, j’ai pris conscience du « vrai » monde des magiciens, du métier qu’il y a derrière. Ils donnaient des conseils, mais pas trop à la fois, et surtout adaptés à notre niveau.
Mais aujourd’hui, avec l’accès immédiat à l’information, cela est-il encore valable ?
Je pense tout de même qu’il est bon pour un magicien débutant de prendre conseil auprès des aînés, au sein d’un club ou d’une amicale, mais à une condition : il faut avoir fait ses devoirs, appris les bases et connaître un minimum le sujet.
Surtout, un débutant doit prendre conscience de l’immensité du domaine qu’il s’apprête à étudier.
La prestidigitation ne se limite pas à la manipulation des cartes !
Savoir rester humble devant une telle richesse est très important et ouvre des portes.
Il y a des auteurs d’ouvrages de magie avant David Stone ! (Je dis cela sans aucune animosité, je respecte David et son formidable apport à la magie ; c’est juste navrant de constater que de nombreux jeunes magiciens s’arrêtent de penser, avant d’avoir commencé).
Un bon conseil aux magiciens débutants : nourrir son imagination par l’ouverture aux autres disciplines comme le théâtre, le dessin, la musique…
Autre chose, une des meilleures écoles qui soit est celle de la rue : le jugement du passant est impitoyable, on sait très rapidement ce qui fonctionne ou pas.
Sans parler des merveilleuses rencontres que l’on y fait, et des opportunités insoupçonnées qui peuvent se présenter.
Un autre facteur majeur : Internet est là, et c’est la réalité d’aujourd’hui. Il faut donc composer avec les aspects positifs et négatifs de ce média.
Positivement, l’accès quasi-instantané à l’information est une bénédiction lorsqu’on cherche une référence ou une source.
La contrepartie serait la solution de facilité que représente cet accès, principalement pour un débutant qui ne s’intéressera pas à l’ORIGINE d’une technique ou d’un tour ; ce qui pour moi est une hérésie !
Chaque magicien est le maillon d’une chaîne qui remonte loin, loin dans le passé et le patrimoine commun de l’humanité. En tant que tel, et par respect pour ceux qui nous ont transmis leur savoir, nous nous devons de faire circuler les sources et les noms des créateurs lorsqu’ils sont connus.
Pour en revenir à l’Internet, une facette très dommageable est la tentation de la copie.
C’est pour cela que j’encourage les jeunes magiciens à étudier aussi et surtout dans les livres : ce n’est pas juste un discours de gens d’une autre époque, des vieux comme ils disent !
Il y a une raison fondamentale à cela : lorsque l’on étudie dans un livre, on force le cerveau à se faire une image mentale PERSONNELLE de ce que l’on est en train de déchiffrer.
Ce qui en ressortira sera forcément une interprétation de ce qui est écrit, et c’est cela qui est intéressant : respecter absolument les restrictions d’une technique et l’interpréter avec ses propres gestes et sa propre sensibilité.
Le danger d’internet (ou de la vidéo par voie de conséquence) est insidieux car souvent, un jeune aura l’impression d’apprendre quelque chose, alors qu’il ne fait que copier un autre magicien. Comment dès lors laisser s’exprimer sa personnalité, quand c’est celle d’un autre qui est imitée ?
Enfin, je dirais que le voyage, la découverte d’autres cultures magiques est un formidable vecteur d’ouverture d’esprit.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Difficile d’évoquer ce sujet sans parler de « magie nouvelle »…
Ce qui me gêne, c’est que je ne vois pas l’utilité de renommer un art ?
Se démarquer en apportant un sang neuf, par contre, n’a jamais fait de mal à personne, et cela existe depuis de nombreuses années ! Demandez à des artistes comme Abdul Alafrez, Philippe Genty ou Philippe Decouflé !
Personnellement je ne souhaite pas que mon travail soit estampillé : si je fais ce que je fais, c’est parce que toutes mes expériences passées et présentes m’y conduisent, voilà tout, c’est simple, mais c’est aussi le fruit de nombreuses années consacrées à cet art : la Magie.
Même d’avant-garde, une étiquette reste une étiquette, et cela est toujours réducteur.
Maintenant, si un représentant de la « magie nouvelle » vient me voir avec une proposition, une idée, une amélioration, je n’aurai absolument aucune raison de le rejeter, si tant est que je peux rester moi-même.
Enfin, en tant que magicien, il y a deux points cruciaux que j’observe à tout prix : Le respect des anciens, de la tradition magique, car sans eux nous ne serions pas là, et le respect du public, pour la même raison.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Elle est primordiale !
L’ouverture à de nombreuses disciplines, comme la littérature, la musique, le théâtre et l’étude des anciens sont autant de facteurs déterminants dans la construction d’un bon numéro de magie.
Et puis les idées viennent souvent en étudiant un sujet qui n’a rien à voir avec la magie.
Et si vous ne souhaitez pas particulièrement monter un numéro de magie, au moins vous aurez de la répartie avec vos spectateurs !
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Le Contact Juggling.
J’ai commencé l’étude de cette forme de jonglerie en 2006, complètement fasciné par la beauté intrinsèque que dégagent ces balles d’un genre particulier : elles ont tendance à « hypnotiser » les spectateurs, qui arrivent à en oublier que le manipulateur est là !
De plus, j’ai été séduit par la simplicité du propos : créer l’illusion avec une simple boule de cristal.
Je me suis trouvé immédiatement une grande affinité avec l’objet, et mes progrès furent assez rapides : à peine un an après mes débuts je présentais partout où c’était possible mes routines de Contact Juggling.
Très vite l’envie de monter un numéro s’est fait sentir. Ce n’est donc plus à proprement parlé un hobby.
J’aime aussi communiquer via l’internet et les réseaux sociaux, outils extraordinaires de diffusion et de promotion. J’entends souvent dire que cette pratique coupe les gens du monde extérieur : rien n’est plus faux ! De nombreuses rencontres ont lieu régulièrement dans la vraie vie !
Enfin, le cinéma, les courts-métrages, les films d’animation sont pour moi une source inépuisable de bonheur.
– Interview réalisée en octobre 2011.
A visiter :
– Le site de Lawrens Godon.
Crédits photos : Gérard Pflüger, Vincent Dumangin.