Présentez-nous votre compagnie
La Compagnie La Torgnole développe des projets artistiques mêlant cirque et magie nouvelle (spectacles vivants, expositions, ateliers), autour de thèmes sensibles, particuliers et originaux. Fondée en 2005 par Cléo Mamet acrobate au mat chinois et Domingos Lecomte, jongleur illusionniste, la compagnie est basée à Lille mais diffuse ses spectacles partout en France et en Europe, soutenue par la région Nord Pas de Calais, La DRAC du Nord, le conseil Régional et par la DMDTS pour sa dernière création SAGA.
Sur quelle(s) thématique(s) travaillez-vous ?
Les axes de création varient selon les projets et les environnements explorés. La volonté première est de proposer des actions contemporaines mais populaires, afin de proposer à tous des spectacles fouillés et pertinents, qui résonnent avec notre époque mais fuient l’élitisme « culturel » et reste accessible. Défricher des sentiers créatifs par le biais des exploits de cirque et des techniques d’illusionnisme. Visiter des thèmes parfois délicats ou sensibles pour leur donner corps, leur donner une matérialité concrète et poétique.
La force de l’impossibilité créée par le cirque et le « sentiment magique » sont les fondements de notre démarche, et s’accomplit par différents supports : spectacle de scène, exposition « magique », interventions urbaines en extérieur, ateliers pédagogiques et créatifs…
Parlez-nous de vos spectacles
La première création de la compagnie fut le solo de mat chinois Lili Petit Pois, qui abordait le thème de la maltraitance et de l’inceste. Au travers des techniques de cirque et du jeu burlesque, ce spectacle redonne des couleurs à un conte pas toujours rose mais qui feint toujours de prendre la vie du bon côté. C’est un peu ça Lili Petit Pois : un petit bout de femme en rouge et blanc contre le reste du monde, qui dépeint le tragique d’une vie raturée laissant toujours place à la tendresse. Ce spectacle a permis de nombreuses rencontres en milieu scolaire, et sert de passerelle lors de rencontres à la fin des représentations vers ce sujet tabou.
La dernière création est le spectacle de magie nouvelle SAGA. Cette création explore le thème des apparences, de ces modèles inaccessibles que l’on nous donne à voir et à reproduire. En oubliant ces creux, ces défauts qui nous rendent divisibles, uniques et humains. On y distille un univers résolument drôle et chimérique, ou le spectateur est projeté entre les prouesses acrobatiques des interprètes, les interrogations décalées des personnages et les instantanés magiques d’un plateau avide de curiosités et d’effets d’illusion. Des objets volent ou ralentissent, des mannequins s’animent, des gens disparaissent, se métamorphoses…
Les prochains projets sont le spectacle : Loin de la Fureur du Monde, qui projettera interprètes et spectateurs dans un environnement chaotique et aléatoire ou l’impossibilité prend le pas sur la réalité. Entre tempête furieuse et pureté esthétique, un voyage onirique ou nos fantasmes les plus beaux et les plus effrayants deviennent palpables. Le projet d’un environnement magique autonome, Mystères, est également en élaboration. Une sorte de parcours truqué, entre l’installation magique, le spectacle de rue et la conférence absurde. Et enfin Miniatures Poétiques d’un Monde Gigantesque, curiosités magiques dans un théâtre animé. Un projet qui vise à mettre en place dans des structures plus modestes un spectacle de magie nouvelle sur le voyage, les différences et nos solitudes.
Comment intervient la magie dans votre travail ?
En tant qu’artiste de cirque, nous explorons les limites des possibilités physiques pour créer des exploits. Au delà du cirque commence la magie, le domaine de l’impossible. Alors que le jongleur fini fatalement par faire chuter ses objets, la magie permet soudain de les faire voler.
Les techniques d’illusions permettent d’abolir la frontière entre le réel et l’imaginaire, de dissoudre les certitudes du spectateur. Dans cet état, il devient perméable au sentiment magique, il accepte ces fulgurances d’impossibilités concrètes sans voir ni chercher le « truc ». Notre démarche artistique explore sans cesse cette limite entre le possible et l’impossible, nous perturbons le spectateur et ses perceptions. Dans ce cadre, nous travaillons sur le sentiment magique avec les techniques d’illusions. Mais en tentant de défricher de nouveaux territoires, en frottant différentes disciplines artistiques pour se confronter à l’inconnu, bousculer nos habitudes et alimenter notre processus de création.
Quelles sont vos influences artistiques ?
L’idée n’est pas de comparer, de reproduire, mais d’apporter une vision, un caractère… Des artistes comme Thierry André, James Thierrée, Pina Bausch, Magritte, ou Philip Glass sont évidemment incontournables. Mais d‘autres, moins médiatiques, m’ont beaucoup nourrit : la Compagnie de L’Amant bilingue, de nombreux artistes et expositions d’art contemporains, et toute la mouvance, si ingénieuse, du pré cinéma du XIXème au XXème siècle.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
La magie nouvelle existe depuis longtemps mais elle n’est fédérée que depuis peu (10 ans environ), et connue depuis encore moins longtemps !
Les magiciens « traditionnels » la reçoivent souvent avec réticence et suspicion, car elle bouscule leur environnement et leurs repères.
Le vrai problème, il est d’ordre économique : tant que la magie aura comme vitrine et terrain d’existence principale l’événementiel, elle sera tirée vers le bas. Il faut oser investir de nouveaux lieux (des théâtres aux programmations culturels, des lieux d’expositions…) et tenter de sortir du répertoire des tours que tout le monde fait. Cela demande de satisfaire à de nouvelles exigences, de trouver de nouveaux partenaires. C’est laborieux, douloureux, très difficile, mais vital pour l’art en général, et la magie en particulier. Et puis cela ramène un peu de modestie, ceux qui se gargarisent et disent que la magie est la « reine des arts » ont parfois une vision artistique trop étriquée. Bref, la magie traditionnelle a besoin, à mon sens, d’ouverture et de remise en question et d’un peu moins d’ego. Elle pourrait s’appuyer sur les nouveaux terrains artistiques et culturels qu’offre le courant de la magie nouvelle. Car loin d’être « mieux », cette manière de pratiquer les mêmes techniques est juste un axe différent, plein de potentialité et dont tous peuvent profiter !
A visiter :
– Le site de la Compagnie La Torgnole.
Interview réalisée en septembre 2011. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Éric Lebrun, Pierre-Yves Guinais, Cie La Torgnole. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.