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La Psychologie de la Prestidigitation (2/6)

Extrait de la revue L’Illusionniste, N° 37 de janvier 1905

Sébastien Bazou

Par M. Alfred Binet (Directeur du laboratoire de psychologie à la Sorbonne)

Quand on cherche à faire l’analyse des procédés psychologiques qui produisent l’illusion dans les tours, et empêchent les spectateurs de découvrir la vérité, on s’aperçoit qu’il est très difficile de formuler nettement ces procédés, d’abord parce qu’ils sont extrêmement nombreux, ensuite parce qu’ils ont, pour là plupart, un caractère très compliqué. L’illusion de chaque tour n’est point le résultat d’une cause unique, mais d’un très grand nombre de petites causes, presque insaisissables, qui est aussi difficile de percevoir que s’il s’agissait d’analyser à l’oeil nu les grains d’une fine poussière. Je ne puis entrer dans tant de détails, et je me contenterai d’exposer en peu de mots quelques-uns des principaux artifices d’illusions qui sont employés par les prestidigitateurs. Les illusions des sens que nous allons étudier peuvent être réparties en deux groupes principaux : ce sont les illusions positives et les illusions négatives. Les recherches modernes de l’hypnotisme nous ont familiarisés avec ces termes commodes et avec les phénomènes qu’ils désignent.

On sait que les illusions positives, par lesquelles nous commencerons notre description, consistent à voir ce qui n’existe pas ; elles donnent lieu à des apparences sans réalité. Très fréquentes dans la vie ordinaire, elles sont faciles à provoquer chez des personnes en état d’hypnotisme, elles sont une des premières pierres de touche de cet état artificiel. Quand une personne est hypnotisée, il suffît souvent de lui commander pour qu’elle voit. Lui dit-on : « Voici un oiseau ! » en mettant à cette parole le ton convenable, persuasion ou commandement, elle a aussitôt l’hallucination de l’oiseau, le voit, le touche, le sent, l’entend chanter, le prend avec des gestes gauches, mais bien expressifs, et ajoute une foule de détails, suivant son imagination et ses souvenirs, à la vision qu’on lui a suggérée.

Si nous citons cet exemple bien connu d’illusion hypnotique, c’est parce qu’il ressemble aux illusions des prestidigitateurs par ce caractère important qu’il est provoqué, c’est à- dire qu’il résulte de l’action morale d’un individu sur un autre individu ; mais, cette ressemblance fondamentale mise a part, que de différences entre les deux cas ! Quand il s’agit d’entourer d’illusions une personne hypnotisée, on n’a pas besoin de se mettre en frais d’imagination ; l’opération est le plus souvent d’une simplicité enfantine ; le sujet est si sensible, si docile, qu’un mot prononcé avec autorité suffit pour créer l’apparence trompeuse, « Voila un oiseau ! » lui dit-on sans autre explication, et l’hallucination se forme.

Le prestidigitateur qui s’adresse à des personnes éveillées, en possession de leur bon sens, ne peut se contenter de ces grossiers moyens ; il est obligé de recourir a des moyens plus subtils pour arriver au même résultat sans que les spectateurs aient conscience de la suggestion qu’on exerce sur eux. La condition première de toutes les opérations est la prise de l’attention. L’opérateur, avant de faire le moindre de ses tours, doit commencer par prendre, par capter les regards de tous les assistants, de manière que chaque conscience entre en relation avec la sienne. C’est ce que les hypnotiseurs appellent entrer en rapport, donnant un nom commode à un phénomène dont l’existence est certaine, mais dont la nature serait bien difficile à décrire.

En tous cas, nous savons tous, plus ou moins, retenir et exciter l’attention d’une personne. Nous connaissons d’instinct, sans les avoir appris, les petits moyens qu’on emploie, l’interjection, l’élévation de la voix, la main posée sur l’épaule, le geste décisif, le temps placé avant le mot important. Nous savons aussi que le premier facteur est la personnalité des individus, que certains n’arrivent jamais à se faire écouter, tandis que d’autres dégagent sans faire aucun effort une influence puissante et peuvent tout dire avec autorité, même : « Je ne sais pas ! » ou : « Je vous demande pardon ! »

Le prestidigitateur, qui sans doute n’a jamais réfléchi à ces actions intimes, connaît le moyen de les exercer et de s’emparer de tous les regards, qu’il concentre sur sa personne, sur ses yeux, sur ses mains, sur l’endroit qu’il choisit au gré de ses convenances. Robert-Houdin donne à ce propos une indication curieuse dont la justesse sera reconnue par tous ceux qui ont l’habitude de parler en public et d’entrer en communication avec la foule. Robert-Houdin dit que la première, la plus importante qualité du prestidigitateur, est d’avoir « un bon oeil ». Certaines personnes, ajoute-t-il, ont le regard vague, timide, incertain ; si on cause avec elles, en les regardant
franchement, en pleine figure, elles se sentent embarrassées et détournent la tête, comme si elles redoutaient toute intimité des regards avec une autre personne. Cette timidité des yeux peut se communiquer par contagion ; elle embarrasse la conversation et empêche l’orateur d’exercer une action sur son public. « il faut que le prestidigitateur, dit Robert-Houdin, ait un regard franc et vif qui se fixe hardiment sur les yeux des spectateurs, de manière à ce que le public rive son regard sur le sien, et qu’il naisse entre eux un sentiment de sympathie. Dès lors, l’artiste peut conduire à son gré tous les yeux du public partout où cela est nécessaire. »

Le moyen qu’on emploie pour provoquer les illusions positives est la feinte. La feinte est un simulacre d’action, une ébauche d’action ; on feint de prendre un objet sur la table en étendant la main vers la table comme si on prenait réellement l’objet ; on feint de jeter une orange en l’air en faisant le mouvement de lancer l’orange, mais en retenant celle-ci dans la main. La feinte consiste à exécuter la première partie seulement d’un acte connu et expressif ; puis on dérobe aux yeux la fin de l’acte, on cache par exemple la main derrière une table, derrière un écran ou derrière son corps pendant cette seconde partie de l’acte, que l’on se garde bien d’exécuter. L’assistant
non prévenu, qui a bien vu le commencement de l’acte et mal vu la fin, croit que l’opération entière a été complètement et correctement exécutée. Les psychologues n’ont point de peine a expliquer le mécanisme de ces opérations, qui reposent sur les lois banales de l’habitude, autrement dit les lois de l’association des idées. Quand deux actes, deux perceptions se font ordinairement ensemble, notre esprit est ainsi fait que la présence de l’un des deux actes, de l’une des deux perceptions nous suggère irrésistiblement l’autre. Dès que nous percevons un premier acte, nous supposons le second, parce qu’il en est la conséquence logique, ou simplement l’accompagnement habituel. Nous faisons plus que le supposer, nous nous le représentons si vivement que nous croyons le voir.

Ces explications s’appliquent directement à l’escamotage, opération qui est la base de la prestidigitation. L’escamotage consiste à supprimer brusquement et complètement un objet devant les yeux du spectateur étonné, en donnant l’illusion que cet objet a été transporté dans un endroit où réellement on ne l’a pas placé. Le prestidigitateur prend un objet dans sa main droite, une balle de liège, un oeuf, une pièce de monnaie, peu importe, pourvu que l’objet soit petit et d’un maniement facile. Il montre l’objet, puis fait semblant de le faire passer dans la main gauche, et il imite si exactement ce mouvement que chacun est persuadé, s’il n’est pas prévenu du tour, que l’objet a réellement été placé dans la main gauche. Non seulement on est persuadé de ce passage, mais on croit le voir, et plus d’un se porterait volontiers garant du fait, en apportant sa parole de témoin oculaire. L’illusion, pour ceux qui ne la connaissent pas et qui n’ont pas cherché à l’analyser, est absolument irrésistible ; elle domine tout le monde, les enfants comme les hommes mûrs, les savants comme les ignorants, et j’ai vu des hommes éminents, exercés à l’observation scientifique, être complètement dupes du tour.

« Les sauvages », à ce que rapporte Robert-Houdin, n’échappent pas davantage à l’illusion, et ils se l’expliquent en supposant au prestidigitateur un pouvoir surnaturel. Enfin, on peut ajouter que même les animaux sont sensibles à l’illusion de l’escamotage : j’en ai souvent fait l’expérience sur des chiens, en escamotant des friandises qui excitent suffisamment leur intérêt pour les rendre attentifs aux tours.

L’escamotage n’est point abandonné au caprice ou à l’initiative de chacun ; cette opération fondamentale se fait d’après des règles précises, connues depuis une centaine d’années, et auxquelles on n’apporte plus aucune modification, comme si du premier coup on avait atteint la perfection. On apprend aujourd’hui à escamoter comme on apprend la danse et le piano. La position qu’il faut donner aux doigts est assez compliquée, et pour la bien saisir, pour exécuter l’escamotage sans boîte, sans fil caché, avec le seul concours de son adresse, ce qui est le triomphe du vrai prestidigitateur, il ne faut pas seulement des jours d’exercice devant la glace, mais des mois et des années. Nous ne pensons point sortir de notre sujet en donnant une description un peu attentive de cet escamotage, parce que l’illusion qui en résulte est entièrement psychologique. Beaucoup de personnes pensent que la suppression des objets se fait avec les manches : cette opinion fausse a été souvent combattue, mais elle est tenace. La vérité est, qu’à part quelques expériences de tirage, comme celle de la cage éclipsée, on se sert très rarement des manches pour escamoter. Un des plus fameux escamoteurs, Bosco, travaillait les bras nus.

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