La magie est née avec le monde, c’est une langue universelle. L’illusionnisme est vieux comme le mensonge et le mensonge est vieux comme le monde (« le prestidigitateur » est donc plus illusionniste que magicien). La magie en elle-même n’a aucun intérêt, elle est dénuée de sens. Elle opère quand elle vise à faire passer un message, à raconter une histoire dans un cadre cohérent, à exprimer quelque chose par différents sentiments (le rire, la peur, la tristesse, la nostalgie, le dégoût, la compassion, le mépris…). De tous temps, et aujourd’hui encore, la magie sert différemment les illusionnistes. Il y a d’un coté ceux qui s’en servent à des fins personnelles et de l’autre ceux qui la servent (serviteur d’un Art à part entière).
La première question que tout illusionniste devrait se poser est : Pourquoi je fais de la magie ? Quel but et surtout quel sens dans tout ça ?. Communément on fait beaucoup de choses machinalement dans la vie s’en se poser de questions, et généralement « on s’arrête toujours de penser trop tôt » (1) . Je crois qu’au départ on fait de la magie pour combler un manque. Manque de reconnaissance, d’amour le plus souvent ; manque d’argent pour d’autres. Plus concrètement chacun doit trouver sa motivation profonde, se poser sincèrement la question ; ainsi il saura le pourquoi du comment :
– Je fais de la magie pour l’amour de l’Art (réponse vague).
– Je fais de la magie pour gagner de l’argent (réponse concrète).
– Je fais de la magie pour flatter mon ego et montrer ma supériorité aux autres (pratique courante).
– Je fais de la magie pour échanger, construire une relation, développer des émotions avec le public.
Pour ma part, je crois que la dernière réponse a un sens que les autres n’ont pas. Pourquoi faire de la magie si c’est simplement pour montrer ce dont-on est capable ou pour gagner de l’argent comme finalité ?. C’est se priver du potentiel énorme de cet Art basé sur la communication, l’échange et la psychologie. Montrer littéralement ce dont on est capable n’est en réalité qu’une démonstration froide dénuée de sentiments. Vouloir à tout prix gagner de l’argent entraîne souvent à faire des concessions et à dénaturer la magie ; brillant à l’extérieur, mais vide à l’intérieur. Il faut un minimum d’amour et d’application dans notre travail pour espérer toucher les gens, autrement que par des motivations personnelles et égoïstes.
L’illusionnisme est une aventure subjective. L’illusion de magie naît dans l’esprit du spectateur (dans sa conscience) et l’artiste magicien est un artisan de la construction de perception. L’effet magique est comme le trompe- l’œil en peinture et devient tour d’esprit.
Albert Goshman disait que « la magie ne se trouve pas dans la main du magicien, mais dans l’œil de celui qui regarde ». Il faut au moins être deux pour vivre un miracle ; un pour le présenter et un autre pour y croire. Sans le spectateur pas de magie. « On existe que dans l’œil de l’autre » : vieux principe philosophique qui s’applique parfaitement à l’illusionnisme. Le plus important n’est donc pas ce que le magicien fait (le répertoire, la technique…) mais l’interprétation que le public en fait.
On comprend de suite qu’il y a faire de la magie (sans « se prendre la tête ») et faire de la magie (« rentrer dans la tête des gens », dans leur inconscient). L’illusionnisme est probablement l’un des Arts du spectacle le plus complet qui appelle au-delà de l’habileté manuelle, sens créatif et sens artistique ; sens de la communication et des relations humaines. Etre un artiste magicien c’est s’engager, assurer le poste d’auteur, metteur en scène et comédien. Créer, inventer, adapter, assembler, organiser, mettre en scène, présenter, jouer et interpréter. Bref un travail complet qui ne s’improvise pas. Il faut s’investir humainement dans tout ce que l’on présente. La magie est un Art du vivant. C’est à travers mon corps, mon personnage, ma personnalité que je vais faire passer des émotions. L’illusion ne peut pas être qu’une affaire d’œil et de mains, ce doit être une affaire de cœur ! « La magie c’est quand l’âme agit.» (2)
Je crois que le rôle de l’artiste magicien est de renouer avec le mystère du monde, sur la voie d’un ré enchantement. On a pour mission de créer du rêve, de l’évasion, du mystère ; de révéler la magie qu’il y a en chacun de nous en offrant une nouvelle voie de communication, en tissant des liens sociaux apportant convivialité et échanges. La magie fait partie de la vie et participe à la formation de liens humains avant toute chose.
« Les nouvelles technologies, le multimédia, nous servent à mon avis qu’à dépersonnaliser l’individu et couper le contact au lieu de rapprocher les gens. Et que veulent les gens actuellement ?, ils veulent qu’on leur parle, qu’on les aime, ils veulent sentir de la chaleur humaine, il veulent qu’on les fassent rêver. Et plus on sera en période de crise, plus les gens auront besoin de ça !. Le magicien qui vient de la nuit des temps sera encore là dans 2000 ans, car il correspond à un besoin sous-jacent du public.» (3)
Notes :
(1) Dai Vernon
(2) Sylvain Mirouf
(3) Jean Merlin
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