Il y avait tout récemment dans un Music-hall de notre bonne ville, un illusionniste qui, au lieu de se borner à produire des illusions, s’employait aussi à détruire celles dont il était élémentaire de laisser bénéficier le spectateur. Autrement dit, il dévoilait publiquement le moyen qu’il employait pour faire ses tours. Se jugeant probablement incapable d’intéresser par son seul talent, il corsait son numéro par l’adjonction de cette manoeuvre imbécile.
Nous n’avons malheureusement, il faut bien le reconnaître, aucun moyen pratique d’empêcher ces agissements stupides, qui en outre qu’ils blessent le bon sens et la logique, sont préjudiciables pour tout le monde, y compris leur auteur. Nous ne pouvons, jusqu’à présent du moins, exercer une action suffisamment efficace pour arrêter le cours de telles aberrations.
J’ai, comme l’on sait, essayé une fois de protester ; cela m’a valu d’être expulsé, malmené, incarcéré, jugé et condamné. Il en ira peut-être différemment dans un avenir prochain, grâce au mouvement de cohésion et de groupement qui semble se dessiner actuellement et dont l’utilité et la nécessité s’imposent nettement aujourd’hui. L’attention qu’on refuse le plus souvent aux réclamations d’un isolé sera plus certainement accordée à un groupe légalement reconnu et officiellement constitué. Les membres de ce groupe ne pourront que bénéficier des bienfaits et des avantages de la collectivité. Bien, qu’en réalité, soit isolement, soit en groupe, rien ne puisse et rien ne doive différencier nos droits ni en amoindrir la valeur, il est constant qu’une revendication émanant d’un ensemble corporatif constitué en syndicat, aura toujours une valeur et des chances de succès que n’aura jamais une individualité quelque fois hésitante, ou simplement ignorante de ce qu’elle peut légalement entreprendre. Il se pourra alors que les observations présentées sous la forme qui convient, mais s’appuyant sur l’autorité que donne le groupement corporatif, puissent être écoutées et prises en considération par un directeur d’établissement et lui faire comprendre qu’il ne doit pas tolérer, sur sa scène, de semblables
errements, dont la suppression ne saurait, d’ailleurs, lui causer aucun préjudice. C’est ainsi que nous arriverons à mettre un terme aux exploits de ces fâcheux malavisés.
J’estime que cet avantage ne sera pas sans valeur, ajouté à d’autres que nous obtiendrons certainement encore, grâce à l’union qui nous donnera cette force et cette autorité que nous ne saurions avoir individuellement. Il est navrant de voir le divulgateur public ne pas comprendre qu’il se livre au plus imbécile des jeux, en démolissant d’un côté ce qu’il vient de construire de l’autre, et qu’il se cause ainsi un préjudice encore plus personnel
que général.
Si, simplement au nom de la plus élémentaire logique, je condamne absolument ce genre, je suis bien revenu de l’erreur qui consiste à croire que les explications faites par le livre sont préjudiciables. Le livre, la brochure ou publication quelconque ne prend personne à la gorge. Elle ne vous oblige pas, comme la divulgation en scène, à entendre forcément, dans votre fauteuil, une explication que vous ne demandez pas, que souvent même vous préféreriez ne pas avoir. Si le public qui assiste à une divulgation de ce genre, peut être amené à dire : « Tiens ! Ce n’est pas plus malin que ça », il se fait cette réflexion sans se rendre compte que, dans ces conditions, pour expliquer un tour, il faut d’abord savoir le faire. Il n’en est pas de même avec l’explication écrite, qui lui démontrera plutôt la difficulté et l’incitera davantage à croire que c’est « plus malin » qu’il ne l’avait supposé tout d’abord. Et puis le livre ne vient pas au devant de vous, il faut aller au devant de lui, il faut le chercher et aussi l’acheter. Ce n’est pas tout le monde qui fait cela. C’est l’amateur, c’est le connaisseur qui s’intéresse à notre art. Le plus souvent il sait déjà beaucoup et cherche à savoir davantage. Il n’y a plus ici indiscrétion, mais initiation ou éducation. Cet enseignement ne s’adresse qu’à ceux qui ont décidé qu’ils sauraient.
Il faudrait qu’il n’y ait pas de livres, me disait un jour un farouche gardien de nos mystères. C’est encore une erreur; d’abord si cette lacune existait, elle ne tarderait pas à être comblée, mais elle n’existe pas, il suffît de connaître la quantité énorme de publications déjà existantes, sans compter celles qui continuent à paraître. L’expérience et de nombreuses observations m’ont démontré qu’elles ne causent aucun préjudice. Non seulement elles ne compromettent pas les intérêts des professionnels, mais elles leurs sont plutôt avantageuses, en ce sens que, sans compter les renseignements qu’ils y puisent eux-mêmes, elles sont les meilleures propagateurs d’un goût que, à mon avis, beaucoup plus de personnes devraient avoir, parce que ce serait autant de clients ou de spectateurs en perspective. Et encore, je crains plutôt que ce ne soit là, une prétention un peu platonique, car ceux qui auront lu, dans un livre ou une brochure qui leur sera tombée sous la main, et qui, après avoir lu une explication auront trouvé que c’est trop difficile ou, ce qui est un cas fréquent, n’auront pas compris, ils laisseront tranquillement l’explication de côté et n’y penseront plus.
Comme exemple personnel, je dirais que j’ai fait et fais encore certains tours qui ont cent cinquante ou deux cents ans de date, ils ont été publiés des milliers de fois dans des centaines de livres et n’en sont pas moins toujours accueillis avec faveur. Quelques-uns même sont parfois considérés comme le dernier mot du perfectionnement de l’illusionnisme moderne. Je ne suis certainement pas le seul dans ce cas. Le livre n’est donc pas nuisible. Ceux qui n’y comprennent rien, ne comptent pas, ceux qui comprennent sont en réalité nos alliés, nos adeptes, nos appréciateurs et, au besoin, comme je le dis plus haut, nos éventuels clients et spectateurs, parce que mieux que d’autres, ils s’intéresseront davantage à nos expériences, dont ils seront plus à même d’apprécier l’ingéniosité, la composition et la valeur d’exécution.
L’étranger semble, d’ailleurs, très pénétré de cette opinion. La quantité de livres, brochures, journaux etc., qui se publie en Allemagne, en Angleterre et en Amérique est vraiment considérable. Sans compter les ouvrages anciens et nouveaux dont notre confrère leMagic de Londres, publie l’interminable liste, je cite pour mémoire l’Encyclopédie à laquelle le professeur Bertrand, met la dernière main, puis Modern Magic, More Magic et Later Magic, du professeur Hoffmann, puis encore, et c’est bien un signe des temps, les livres de Nelson Downs et de Thurston, qui se sont mis à publier leurs procédés, lesquels, du reste, n’étaient déjà plus un mystère pour les professionnels, ni même, en grande partie pour le public, ce qui ne les empêche pas, d’ailleurs, d’être toujours bien accueillis.
Résultat, la prestidigitation, en ces pays est plus florissante que chez nous. La publication, sous quelque forme qu’elle se produise, apparaît donc comme un excellent agent de propagande et semble destinée à exciter et entretenir le goût de la magie et, conséquemment fournir à ceux qui l’exercent, un plus fort contingent d’« Aficionados » et de plus fréquentes occasions de produire leur talent.
Est-ce que chaque profession, est-ce que chaque art n’a pas ses manuels et ses méthodes. Cela ne les empêche pas de prospérer, au contraire. Pour moi, si l’idée m’en prenait, si l’occasion s’en présentait et si je me croyais capable de la saisir, malgré tant de livres parus déjà, je n’hésiterais pas à en faire un de plus et, toute comparaison gardée, je ne croirais pas avoir commis plus d’indiscrétion qu’il n’en a été commis par les Robert-Houdin, les Ponsin et tant d’autres moins illustres, très persuadé, qui si cela ne faisait pas énormément de bien, cela ne pourrait certainement faire aucun mal.
E. Raynaly
A lire :
– Le débinage.
– Le débinage est-il l’ennemi de la magie ?.
– Cinq secrets.
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