Comme tant d’autres, Mme Atila m’a dit que je n’étais guère heureuse en ménage. Mais comme elle a deviné que j’étais cupide, elle m’a prédit que j’allais rencontrer l’homme entre deux âges occupant une haute situation qui assurerait mon avenir et celui de mes enfants pour le plus grand contentement de toute la famille. Comme je lui demandais s’il fallait prendre un billet à la loterie – elle venait, elle aussi de me donner mes jours favorables – elle me répondit : « Personnellement, je ne crois pas aux jeux de hasard. A la roulette, je ne dis pas, parce qu’on peut des fois s’arranger avec un croupier. Mais à la loterie, c’est beaucoup trop bien fait… » Tant d’inconséquence éclairée m’a conquise.
Je n’ai pas rencontré le monsieur d’âge qui doit me faire une belle situation, à moins que je ne l’aie laissé échapper en la personne de ce monsieur gras et bon enfant, à moustache courte, au vêtement cossu, la Légion d’honneur à la boutonnière, qui était assis dans le salon de Mme Jésus, et qui pensant sans doute que le destin m’avait mise sur sa route, me fixa le lendemain un rendez-vous au café Napolitain.
Il y avait encore chez Mady Jésus, un paysan soigneusement vêtu de noir, à la chemise d’un blanc de craie, au visage et aux mains tannées et usées qui attendait son tour, l’air extraordinairement buté et obtus. Ce n’est pas le seul paysan que j’ai rencontré au pays des voyants, j’en ai vu deux à la porte d’un grand fakir. J’ai vu aussi de vieilles femmes habituées à consulter chaque semaine, de petites bourgeoises inquiètes, deux robustes prostituées, les joues éclatantes de fard, la jupe tendue sur de fortes cuisses, qui venaient ensemble consulter un mage et qui m’ont dit : « Nous n’y croyons pas, nous, à tous ces trucs-là, mais on est venu aujourd’hui par curiosité et parce qu’on a lu que le mage noir Livonia donnait des consultations gratuites… » Seront-elles convaincues en sortant ? Leur aura-t-on dit quelque chose qui leur aura paru une grande révélation ?
Il est étonnant de voir à quel point les clients souhaitent au fond être convaincus, à quel point ils sont disposés à interpréter chacune des paroles, prononcées. Et bien souvent les cartomanciennes qui ont une clientèle importante ne se donnent même plus la peine de poser des questions habiles qui les guideraient. Car les cartomanciennes posent beaucoup plus de questions qu’on ne leur en pose : c’est tout le secret. Elles se contentent de formules imprécises : l’inspiration du client les commentera.
Mady Jésus déjà nommée, parle rapidement, d’une voix sans timbre, en des termes absolument conventionnels, des formules de manuel ; elle pose des questions, exactement sur le même ton, à la même vitesse, la réponse vient, automatiquement, et elle enchaîne, assez habilement.
Nicholas Joseph Crowley – Fortune Telling by cup tossing (détail, 1842).
Mme de Lérida, qui allèche le client par une énumération de procédés mystérieux, et par une « spécialité » : la lecture de l’avenir dans les fleurs de thé, fait tout, par paresse ou manque de foi, pour vous persuader qu’il n’y a rien de tel que les honnêtes et classiques tarots. Sur la foi pourtant des fleurs de thé, elle m’a affirmé avec beaucoup d’autorité que le jeune homme que je fréquente ne veut pas m’épouser et après m’avoir mise en garde contre tous mes amis, qui sont faux, elle s’est offerte à me faire épouser l’homme que j’aime… Sous la table, pour ne pas lui faire de peine, j’ai précipitamment retiré mon alliance.
J’ai rendu visite à une douzaine de voyantes, les unes célèbres, les autres non. En aurais-je consulté mille que je n’eusse rien appris de plus que leurs bluffs, leur ignorance et leur grossièreté, et qu’il n’y a pas de portes sur l’avenir.
J’ai vu pourtant un cristallomancien consciencieux, qui m’en a donné pour mes cinquante francs. Voilà un homme qui savait à fond son métier et qui l’exerçait en artiste ! Je crois bien qu’il croyait à son art. Il est de ceux qui collaborent aux revues « psychiques ». Un autodidacte assez cultivé. « J’ai fait tous les métiers, m’a-t-il dit. J’ai commencé par l’horlogerie. Ça m’a beaucoup aidé. »
Son salon ressemble à celui d’une pension de famille tenue par de vieilles filles de province. Dans son bureau pend un tableau avec les signes du zodiaque et toutes sortes d’objets astrologiques. Il se sert de cartes variées et regarde parfois dans une sphère de cristal posée loin de lui. Il y voit mon caractère, mes maladies, les caractères, les maladies de toute ma famille. Il dit des choses justes et il dit des choses fausses : il en dit tant qu’il faut bien qu’il tombe juste dans ce jeu de hasard. Malgré sa connaissance des règles du jeu qui est grande, ses dons d’observation qui semblent grands aussi, l’intérêt que je prends à ses exercices, mon vif désir de pénétrer enfin dans le domaine des révélations, je suis une fois de plus déçue. Il m’a raconté des choses bien ennuyeuses auprès de ma vraie vie. II m’a pourtant dit comment me faire un talisman : « Il ne faut jamais acheter de talisman, madame. Il faut qu’il vous soit donné ou que vous le fassiez vous-même. Votre plante est le myrte, votre couleur le noir. Vous prenez des feuilles de myrte, vous les cousez dans un sachet de ruban noir, vous préparez ce sachet dans un de vos jours favorables ; vous le porterez toutes les fois que vous entreprendrez quelque chose. »
Hélas au bout de trois quarts d’heure d’application, d’exhibitions scientifiques et d’un joli travail de « voyance », j’avais seulement appris que mon mari avait un sale caractère, que j’avais eu la coqueluche autrefois, que j’aurais des enfants avec un homme de loi, que je ferais un voyage, que mon petit garçon était vigoureux, turbulent et promis à un grand avenir, que l’un des miens se ferait une légère blessure et qu’une dame âgée mourrait dans mon entourage. S’il m’en avait priée et surtout s’il m’avait rendu mes cinquante francs, j’aurais révélé à cet amateur de cristal bien plus de choses sur lui-même.
– Extrait de la série Trafiquants de Mystère (4ème partie) parue dans journal L’Humanité du 8 janvier 1937.
A lire :
– Des Gris-Gris aux petites annonces.
– Géographie des voyantes.
– Filtre d’amour.
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