Communication donnée dans le cadre du Colloque Machines, Magie, Médias de Cerisy-la-Salle le dimanche 21 août 2016.
Introduction
La comédie de magie espagnole (1840-1930), équivalente de la féerie théâtrale française, est un genre dramatique populaire où tout repose sur le merveilleux. Au regard de la mention et de l’emploi, dans la comédie de magie espagnole contemporaine, de machines d’illusion telles que les automates mécanisés, les têtes parlantes, le mobilier et les costumes truqués, les dioramas et les panoramas, ou encore les machines à transformation et à duplication, l’on ne peut que constater que la pratique de l’émerveillement de ce théâtre de l’enchantement hispanique prend, dès la fin du XVIIIe siècle, un tournant illusionniste.
L’envers du théâtre de M.J Moynet (1873).
« Mes recherches portent sur le théâtre féerique post-grimaldien, c’est-à-dire les comédies de magie qui succèdent à l’événement théâtral qu’a constitué La pata de cabra, de Grimaldi (1829) dans l’histoire de la scène espagnole. Ce théâtre de l’enchantement est abondant et il fit recette, malgré les critiques acerbes dont il fut l’objet, mais il est aujourd’hui tombé dans l’oubli. La comédie de magie est un genre mineur en apparence, mais qui s’inscrit dans une longue tradition “néo-ritualiste” espagnole et européenne. Elle a sans conteste influencé d’autres genres (dans l’exploitation de tous les moyens qu’offre la scène), comme la zarzuela, qui jouit d’une plus grande renommée qu’elle.
L’enjeu de mon travail de recherche est d’analyser l’aspect performantiel de cet objet culturel, fabrique des avant-gardes scéniques en Espagne. J’étudie la comédie de magie en tant que phénomène culturel d’exception en matière de technique représentative (décors, costumes, machinerie et autres dispositifs). » Lise Jankovic.
Théâtre et magie
Grâce à son poste à la Casa de Velázquez, Lise Jankovic a fait ses recherches aux archives municipales de Madrid, de Cadix et de Burgos ainsi qu’au Musée du Théâtre d’Almagro et à l’Institut del Teatre de Barcelone, pour nous présenter un pan très peu connu des fééries théâtrales espagnoles, avec l’appui d’archives telles que manuscrits des pièces, croquis des scénographes, inventaires des théâtres. Ces comédies de magie sont à différencier des spectacles de magie. Tout est basé sur le merveilleux, ce sont des « pièces à machines » qui ont un succès populaire et culturel colossal. Des pièces à rebondissements où les faits sont matérialisés par des prodiges (les effets magiques). Le public sait qu’il est au théâtre et qu’il assiste à une illusion. L’arrivée du cinématographe a ensuite condamné et supplanté ce genre théâtrale en créant des « effets fantastiques ».
L’influence des fééries françaises et de leur répertoire sont évidentes. Nous retrouvons les mêmes découpages, les mêmes structures, les mêmes tableaux construits comme des unités autonomes. Les techniques étaient transférées dans une certaine mesure et adaptées suivant les moyens des théâtres.
Le vase enchanté ou le génie des roses de Robert-Houdin (1850).
Par ailleurs, certaines comédies de magie proposent des intermèdes de magie. Il existe des pistes de transfert entre ces deux formes de spectacle et les grandes illusions (voir le travail mis en lumière par Frédéric Tabet à ce propos). Le spectacle L’étoile d’or (1841) est, par exemple, agrémenté de numéros de magie. Inversement, des effets de magie se réclament de la comédie magique comme Le vase enchanté ou le génie des roses de Robert-Houdin en 1850 (l’antécédent pouvant être un croquis d’un rosier à transformation réalisé par le peintre et scénographe espagnol José Maria Avrial y Flores en 1845 pour la scène).
Proyecto para el Telón del Teatro de la Cruz. Croquis de José Maria Avrial y Flores.
Le goût du public
Quand on étudie la réception du public, on se rend compte que la comédie de magie doit faire sensation. Il y a un effet d’annonce comme pour les spectacles de magie afin d’attirer le public. La qualité des représentations est jaugée par la qualité des appareils et des trucs utilisés. Pour cela des experts machinistes et scénographes viennent d’Italie et vont œuvrer dans les techniques d’illusions scéniques. Il y également une hypothèse concernant certains échanges avec la prestidigitation.
Les trucs d’illusion
Les illusions utilisées dans la comédie de magie empruntent au répertoire des illusionnistes mais aussi à une certaine tradition théâtrale. Elles doivent être percutantes et faire sensation. On y retrouve les têtes parlantes, les trappes, les costumes et le mobilier truqué (comme dans la pièce Dona Prisca ou les sorcières de la cour en 1864).
L’art de l’escamotage est très présent en Espagne et il y a une école de discipline artistique en cartomagie. On retrouve notamment Carl Compars Herrmann et ses cartes obéissantes en 1860.
L’envers du théâtre de M.J Moynet (1873).
Les costumes truqués sont utilisés pour les scènes de transformisme à vue. Ces costumes « construits » sont souvent accompagnés « d’appareils ». Ces costumes ne sont pas assez détaillés pour remonter le boniment et la technique. Nous manquons malheureusement d’informations concernant d’éventuels patrons mais avons des pistes dans l’ouvrage L’envers du théâtre de M.J Moynet (1873) avec des croquis de changements de costumes instantanés.
Francesc Soler i Rovirosa (1836-1900). Maquette de costume pour La redoma encantada, de Juan Eugenio Hartzenbusch (1839), représentée au Teatre Principal de Barcelone (10/02/1874). Technique : mixte. MAE-Centre de Documentació i Museu de les Arts Escèniques.
Duplication et triplication scéniques. L’utilisation et l’emploi de double, voire de triple est fréquent sur scène.
Nous retrouvons également des transpercements par épée, des têtes coupées et parlantes, des disparitions à vue (autre que par l’emploi d’une trappe classique) et avec des « boîtes magiques », des effets d’escapologie. Lire à ce propos l’ouvrage de Richard Demarcy, Eléments d’une sociologie du spectacle (1973) où ce dernier assimile scène et boîte.
Les trucages illusionnistes sont utilisés pour intensifier la dimension sensorielle et vivante de la comédie de magie. Il faut impressionner dans les sens et donner du spectaculaire et du flamboyant. Les scénographes de l’époque en étaient conscients.
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