Mise en scène et chorégraphie : Raphaëlle Boitel. Collaboration artistique, scénographie, lumière : Tristan Baudoin. Musique originale, régie son et lumière : Arthur Bison. Costumes : Lilou Hérin. Accroches, machinerie, complice à la scénographie : Nicolas Lourdelle. Création : 2018.
Les arts du cirque sont en perpétuel renouveau. Raphaëlle Boitel participe à cette effervescence avec des pièces qu’elle qualifie de « Cirque-théâtre chorégraphique ». Nous avions découvert avec bonheur 5èmes Hurlants, créé avec les jeunes diplômés de l’Académie Fratellini où elle a été formée, et, dernièrement, Le Cycle de l’absurde, spectacle de sortie du Centre National des Arts du Cirque en 2020. La Chute des anges fait appel, cette fois-ci, à la chute des corps et à leur aspiration à l’envol.
Première image saisissante, l’atterrissage sur un agrès horizontal, d’un être venu des cintres. Sa longue silhouette, prise dans un manteau gris, oscille dans une lumière à contre-jour, créant des effets stroboscopiques. Sorte d’Icare ou d’ange tombé des nues ? Deux figures, tout aussi étranges, le rejoignent, enveloppées dans les mêmes houppelandes sombres et figées, telles des marionnettes ou tournoyant en apesanteur au bout d’un filin… Bientôt, ils seront sept personnages, acteurs ou circassiens, anges de lumière happés par l’ombre, errant et cherchant une échappatoire. « On ne sait pas exactement ce qui a provoqué leur chute, dit Raphaëlle Boitel… On est probablement peu de temps après et eux-mêmes semblent ne plus se rappeler ce qu’il s’est passé… Ils en ont oublié ce qu’ils étaient. »
Réglés par une subtile chorégraphie, entre horizontalité et verticalité, les corps se croisent, indifférents les uns aux autres, s’acoquinent en un duo sensuel. Ou ils s’agglutinent, tribu en déshérence, autour d’un phonographe à pavillon crachant une rengaine du music-hall anglais : Daisy Bell d’Harry Dacre (1892). Quelques personnages essayent de se soustraire à la pesanteur, avec ou sans agrès, sous l’œil menaçant de lampes aux bras articulés qui les suivent en un ballet mécanique, et tracent des figures géométriques dans l’espace. Raphaëlle Boitel a gardé de ses douze ans chez James Thierrée – elle joua notamment dans La Symphonie du Hanneton et La Veillée des Abysses – un goût pour les images poétiques. Et elle écrit ses pièces au plateau : « C’est ma feuille blanche, dit-elle, et les interprètes, la musique, la lumière en sont la palette ». Les solos des circassiens se fondent dans le ballet des corps et objets, noyés dans les vapeurs des projecteurs et accompagnés par la musique d’Arthur Bison.
Emily Zuckerman, acrobate et danseuse, se fige parfois, hypnotisée par une lointaine clarté qu’elle cherche à capter, avant de disparaitre dans les hauteurs obscures. Alba Faivre, elle, se love autour d’une longue perche en des arabesques vertigineuses, entre ombre et lumière… Autour d’elles, gravitent Clara Henry, Lilou Hérin (en alternance avec Sonia Laroze), Tristan Baudoin, le fil-de-fériste et clown Loïc Leviel, et Nicolas Lourdelle qu’on a pu voir dans les spectacles de Baro d’Evel.
Clairs-obscurs et danse des luminaires, orchestrés par Tristan Baudoin sont ici essentiels. Ce passionné d’arts plastiques a rejoint la Cie 111 d’Aurélien Bory et depuis 2011, accompagne les créations de Raphaëlle Boitel. Il en assure aussi la scénographie, la régie et la conception robotique. Les artistes sont partis de l’allégorie de la caverne de Platon pour vêtir leurs anges d’ombres et de lumière. Qui sont-ils et pourquoi sont-ils tombés ? Comment s’en relèveront-ils ? Belle métaphore de notre humanité menacée, ce spectacle exceptionnel ne manque pas d’humour. À recommander ainsi qu’Ombres Portées, Un contre un, Le Cycle de l’absurde.
À lire :
Article de Mireille Davidovici. Source : Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © Pierre Planchenault / Compagnie L’Oublié(e). Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.