Extrait de la revue L’Illusionniste, Vol. 4, N°39 de mars 1905
L’homme masqué, de son vrai nom José Anténor de Gago, marquis d’Orighüela, est né à Arica (Pérou) dans l’Amérique du Sud. Tout jeune il fut envoyé en France et fit toutes ses études au collège d’Aubusson (Creuse). Ses parents le destinaient à la médecine et voulaient en même temps lui faire passer ses examens de pharmacie pour qu’il put cumuler plus tard les deux carrières dans sa patrie. Il passa en effet avec succès ses baccalauréats ès-lettres et ès-sciences, puis s’en fut à Bordeaux pour commencer sa médecine. Mais là n’était pas sa vocation. D’un esprit profondément observateur il était poussé par une force irrésistible vers la solution de problèmes moins réalistes que ceux de la médecine. La science, moins savante peut-être, mais combien plus subtile, de Robert-Houdin, l’attirait plus que celle d’Esculape, et puis, c’est mieux encore de prévenir la maladie que de la guérir, et n’est-ce pas entretenir la santé du corps que de distraire et d’amuser l’esprit ? Quoiqu’il en soit, M. de Gago, recherchant la fréquentation des maîtres de l’illusionnisme ne tardait pas, merveilleusement doué qu’il était, à passer maître à son tour. Glanant de ci, de là, il se créait une méthode « sus generis » dans la présentation des expériences qu’il exécutait en amateur, et « compétence » à son tour
José Anthenor GAGO Y ZAVALA.
il fut bientôt consulté par ceux-là même qui sans s’en douter lui avaient inculqué les premières notions. Se spécialisant dans les tours de cartes il y acquit une adresse et une virtuosité telle, que Moreau, le célèbre Moreau lui-même ne dédaigna pas de lui demander des conseils qui devaient contribuer pour une bonne part à ses succès. Bien qu’amateur des plus réputés, de Gago disparut tout-à-coup sans avoir brillé comme étoile au firmament de la prestidigitation. Ce qu’il devint ne regarde que la vie privée de M. le marquis d’Origüela, et c’est de l’homme masqué que nous avons à nous occuper ici.
Soudain, il y a quelque dix ans, les colonnes des journaux étrangers, s’emplirent du récit des prouesses d’un nouveau prestidigitateur, qui, cachant sa personnalité sous un impénétrable loup de velour noir, révolutionnait l’auditoire de tous les théâtres où il passait. II n’est secret si bien gardé qui ne se découvre, et l’on ne tarda pas à savoir que « L’homme masqué » n’était autre que M. de Gago qui, sur le tard, s’était laissé entraîner à embrasser la carrière vers laquelle le poussaient tous ses désirs, et qui, obéissant aux préjugés de son monde, se cachait sous ce pseudonyme, ou plutôt derrière l’anonymat. En une tournée triomphale il parcourut rapidement toutes les capitales du monde, laissant partout derrière lui l’impression du « Jamais vu » ! Et pourtant est-ce à dire que l’homme masqué présentait des expériences nouvelles ? certes non ! et c’est bien là ce qui le particularise. C’est en se servant de la même matière première que les autres, en la pétrissant entre ses doigts agiles jusqu’à lui faire prendre une forme nouvelle, qu’il transformait des tours anciens et leur donnait une indéniable saveur de nouveauté. On peut dire de lui que c’est un réformateur de cet art si complexe, si rempli d’artifices qu’est la prestidigitation ; et son champ d’action y est vaste, incommensurable. C’est en étudiant la genèse, la psychologie des tours, en recherchant les causes avant d’étudier l’effet, en s’appliquant aux finesses de présentation, à l’exactitude et à l’harmonie des gestes qu’il est devenu un « performer » de premier ordre. « Ce que l’on connaît bien s’énonce clairement » telle pourrait être la devise de L’homme masqué. C’est en effet grâce à une connaissance approfondie des tours qu’il présente, grâce à une sûreté merveilleuse dans l’exécution, qu’il a pu acquérir un laisser aller qui ne laisse soupçonner aucune difficulté.
Agnès Martini, dit ZIRKA, la Reine des cigarettes.
Ce travailleur a formé une élève à son école, Madame Zirka (1) à laquelle nous avons eu le plaisir de consacrer quelques lignes dans un précédent numéro lors de ses représentations au Casino de Paris. Tous ceux qui ont eu l’occasion d’applaudir au talent de l’élève pourront se rendre compte de ce que peut être le maître.
Caroly (Jean-Augustin Faugeras)
Note :
(1) Agnès Martini, qui était la femme de Gago.
Note de Didier Morax :
José Anthenor GAGO Y ZAVALA et Agnès Martini, dit ZIRKA, la Reine des cigarettes. Épouse de de Gago y Zavala, 1877 – 9 juin 1910. Ont travaillé tous les deux sur la scène du Théâtre ROBERT-HOUDIN en décembre 1905.
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