Sur la scène sont disposés un tapis rouge à demi enroulé sur lequel prônent deux meubles en bois. Un homme apparaît de la pénombre et fait corps avec une petite commode en la portant sur ses épaules. Le corps fusionne alors avec l’objet pour nous donner à voir une image insolite rappelant les performances-sculptures (One-Minute Sculptures) du plasticien autrichien Erwin Wurm. La commode se substitue à la tête de l’homme qui disparaît sous elle, après que celui-ci se soit allongé par terre.
Le corps de l’homme disparaît ensuite complètement dans la commode qui s’ouvre et se referme pour l’avaler. L’homme gratte de l’intérieur et réussit à sortir un bras puis une jambe, ce qui donne une image hybride entre l’homme et l’objet. Un corps coupé en deux dont les membres bougent comme une marionnette. Ayant réussit à sortir son tronc, Claudio Stellato devient sous nos yeux mi homme, mi commode ; une espèce de Freak cul de jatte, comme dans le film de Tod Browning.
L’homme joue ensuite le funambule sur l’arrête de la commode, qui bascule d’un coup et avale le corps. Celui-ci est « recraché » par l’objet tandis qu’une armoire fait son apparition dans le halo de lumière.
« Au début, L’Autre, mon personnage, est un être vierge, qui agit de façon spontanée. Naïvement, il découvre l’objet en face de lui. La découverte est très physique. Il y a beaucoup de contorsions et, parfois les choses doivent être réglées au millimètre près. Lorsque le meuble tient en équilibre sur mon cou, ou que j’escalade une construction avec plusieurs blocs… » Claudio Stellato
L’armoire commence à se basculer d’avant en arrière. Elle semble vivante car sa porte s’ouvre et se referme comme pour mimer une respiration. L’homme est avalé par l’armoire, qui bascule à l’horizontal tel un cercueil. Celle-ci se redresse pour laissé apparaître de la lumière. L’homme, chahuté à l’intérieur, finit par être éjecté sur le tapis rouge. L’armoire aspire le corps une nouvelle fois et se secoue dans tous les sens. La bande son amplifie les bruits. Noir plateau.
La lumière fait son apparition par l’ouverture de la petite porte de l’armoire, qui laisse entrevoir la tête « décapitée » mais vivante de Claudio Stellato. L’objet à presque digéré l’individu. L’armoire bascule ensuite sur la petite commode à l’horizontal. L’homme sort et marche dessus jusqu’au bord, qui est positionné dans le vide. Les lois de l’attraction n’existent plus comme par magie. L’armoire se redresse et reprend sa place d’origine, tandis que le tapis se recroqueville tout seul.
Claudio Stellato monte tout en haut de l’armoire tandis que la petite commode s’ouvre et se bascule toute seule sur le sol. Une fois dans l’armoire, l’homme est entrainé au sol dans un fracas terrible ! Il en ressort difficilement et est tiré dans la pénombre de la scène par une présence invisible. Son corps se met alors à léviter comme dans le film l’Exorciste. L’armoire se met à marcher toute seule jusqu’à ce positionner sur la commode dans un équilibre improbable.
« Dans L’Autre, le meuble est vivant, il bouge tout seul… Parfois même, il vole. Il est en permanence en train d’échanger avec le personnage. Le meuble est un objet du quotidien, apparemment inoffensif. Nous l’avons fait devenir un peu plus bizarre. » Claudio Stellato
Plein feu sur la scène. Nous constatons qu’il n’y a aucun mécanisme apparent autour des objets pour les animer.
Noir autour du tapis, qui se recroqueville encore un peu plus sur lui-même. L’armoire tremble de nouveau et l’homme réapparait dessus à l’horizontal. Le duo se met à tourner d’une manière incompréhensible dans le vide. Une fois debout, Claudio Stellato disparaît en marchand dans le vide en fond de scène. Une image incroyable, comme un fondu au noir, qui voit la silhouette de l’artiste s’évanouir dans la pénombre comme un mirage !
Noir sur scène, puis plein feu qui laisse apparaître un double de l’artiste, habillé comme lui, qui salut le public.
Noir sur scène, puis plein feu qui laisse apparaître Claudio Stellato, à la place du premier homme. Une transformation très perturbante !
Noir sur scène, puis plein feu qui laisse apparaître Claudio Stellato et sa doublure Martin Firket.
« L’Autre n’est pas un spectacle conceptuel. De par son caractère naïf, le personnage va libérer des forces qui le dépassent. Un peu comme le génie qui sort de la lampe. Du coup, on glisse progressivement vers une autre réalité… Nous avons eu recours pour cela à de nombreux « effets spéciaux », que l’on regroupe sous le terme de «magie nouvelle». Croyez-moi, tout le monde se fait prendre. À la fin, comme après un spectacle de magie, les gens cherchent à comprendre comment on s’y est pris. » Claudio Stellato
Conclusion
Avec un dispositif minimaliste, le chorégraphe, danseur et circassien Claudio Stellato et son assistant Martin Firket nous proposent une magistrale performance où se mêle danse, cirque, théâtre d’objets et magie nouvelle. Nous sommes, du début à la fin, hypnotisé par ce ballet gracieux où le corps devient caoutchouc et où les objets prennent vie. Tantôt ballet, tantôt combat, la confrontation entre l’homme et l’objet est fascinante. L’utilisation de la magie est ingénieuse, subtile et vraiment invisible, tant la technicité est bonne. C’est aussi grâce à l’extraordinaire travail sur la lumière qui cisèle l’espace entre le clair et l’obscure que l’illusion est possible.
L’autre, fait penser au court-métrage de Roman Polanski intitulé Deux hommes et une armoire (1958). L’objet est au centre d’un dispositif, où les corps gravitent autour. Les personnages sont habillés comme des circassiens, et l’un d’eux, l’acteur Henryk Kluba, ressemble étrangement à Claudio Stellato ! Les deux œuvres donnent à voir des situations drôles, cocasses et improbables, à la limite du surréalisme. Un constat en ressort : ce monde n’est peut-être pas fait pour les marginaux ?
A lire :
– L’interview de Claudio Stellato.
A visiter :
– Le site de Claudio Stellato.
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