Portrait de l’auteur
Philippe Petit est un personnage insaisissable. Un autodidacte qui s’est formé très jeune aux arts magiques, aux arts de la rue et au funambulisme. Il est également auteur et réalisateur. Il est mondialement reconnu pour ses traversées clandestines entre les deux tours des plus prestigieuses et mythiques constructions, celles de Notre-Dame de Paris en 1971 et celles du World Trade Center de New York en 1974. Philippe Petit est manipulateur et pickpocket dès l’âge de dix-sept ans. Mais à la suite de cette brève activité criminelle dans les rues de Paris, il décide de transposer son art au cabaret puis dans un numéro de jongleur des rues. Il en propose une réflexion dans son livre : Précis du Vol à la Tire.
Philippe Petit lors de sa traversée du World Trade Center en 1974.
Le pickpocketisme de rue
« Les intentions du pickpocket sont frauduleuses, mais les moyens qu’il emploie commandent le plus grand respect ». Tel est en résumé la préface du livre écrite par Howard Buten. Dès lors nous sommes prévenus sur la nature sulfureuse du sujet et sur le caractère ambigu de l’ouvrage : Mettre à nu les principales techniques du vol à la tire et faire l’apologie d’un art singulier qui demande une discipline de fer. En dehors de toute complaisance, Philippe Petit nous livre sans complexe son expérience dans le domaine, conscient du caractère à double tranchant de son ouvrage. Dans ce traité extrêmement agréable à lire, l’auteur nous parle de techniques, d’expériences vécues, de conseils, de prévention contre les pickpockets, de poésie, de réflexion, le tout agrémenté de magnifiques reproductions mettant en scène des pickpockets : dessin, gravure, estampe, lithographie et peinture.
Les techniques
Les techniques abordées telles « la fourche » et « la pince » sont agrémentées du « topit » pour embarquer l’objet. Le pickpocket travaille en solo ou bien en équipe. Dans ce dernier cas il fait partie d’une « brigade ». Il peut en être le chef, « le capitaine d’équipe » ou « le premier tireur ». Les autres sont complices ou « barons » du vol et jouent un rôle très précis. Le « barreur » choisit le client dans la foule et le désigne aux autres par un geste secret. Un premier complice va se poster à « l’observe », « le bloqueur » ralenti le client, « le bouclier » lui barre la route jusqu’à l’arrivée du « chef de brigade » qui effectue la prise. Le « lot » est ensuite passé au « coureur » qui l’abandonne à la « mule ». Il est ainsi impossible de remonter au(x) voleur(s) puisque ce ballet est fait pour brouiller les pistes. L’hyper sensibilité tactile est un mal nécessaire pour accroître la perception des doigts. Le papier de verre permet d’abraser la peau et rend ainsi l’épiderme plus sensible. Bientôt la main toute entière sera composée de dix espions fidèles qui fouilleront les poches des « pigeons ». Pour voler des montres, le mieux est de choisir le modèle féminin en cuir dont le bracelet coulisse plus facilement. Un vieux bracelet est toujours plus docile. La méthode à une main est la plus adéquate. Elle utilise principalement le pouce et l’index dans un mouvement continu. Avant de pratiquer ce vol, il est conseillé de s’entraîner sur le bras d’un fauteuil.
Le pickpocketisme de scène
Dès que le pickpocket vole à la vue de tous, dès qu’il met en lumière sont art sur une scène il est applaudi comme un artiste. Cette tradition est apparue à l’époque du music-hall et s’est ensuite étendue au cabaret puis au cirque. Le plus admirable pickpocket fut sans conteste Borra, il commençait son numéro international présenté en huit langues par des manipulations de cigarettes et l’apparition de ronds de fumée comme prélude au pickpocketisme. Il brandissait ensuite des objets, ceux qu’il avait dérobés juste avant le spectacle. Il était alors déguisé en vieil ouvreur boiteux. Il invitait ensuite des personnes à venir sur scène et les dépouillait à la vue de tous dans un ballet sans fin d’une virtuosité folle. Véritable génie selon Philippe Petit, son art était basé sur un langage corporel naturel et anodin qui lui permettait de dissimuler toute prise. Doté d’un vrai sens de l’observation, il choisissait « ses victimes » avec soin, et maîtrisait le détournement d’attention comme personne. L’héritier de Borra n’est autre que son fils Borra Junior « le prince des pickpockets » qui a repris à la lettre le numéro de son père.
Le magicien-pickpocket yougoslave Boris Borra (1921-1998) « le roi des pickpockets ».
Abécédaire du vol
L’auteur donne ici toute une liste de vols catalogués par la police ou retenus par la tradition populaire, dont voici des extraits :
– Le vol de grand chemin (avec diligence et pistolet)
– Le vol domestique (commis par un employé)
– Le vol à la tire (l’art du pickpocket qui prend ce qui se trouve en poche ou dans le sac)
– Le vol à l’étalage (d’un magasin qui expose dans la rue)
– Le vol des troncs (vol d’aumônes dans les églises)
– La grivèlerie (consommer et partir sans payer d’un restaurant, d’un café, d’une pompe à essence)
– Le vol de la valise, de la bicyclette, de la voiture, de vêtements
…
Les modes utilisés sont :
– La distraction
– La bousculade
– Demander l’heure
– Demander du feu
– Emprunter un stylo
– La séduction
– La découpe (de la poche ou du portefeuille)
– L’écran (avec un foulard, un journal ou un chapeau)
– L’infirme (paire de béquille, faux plâtre, feindre la paralysie ou la difformité)
– La grossesse (ventre postiche)
– La maternité (location de nourrisson ou faux bébé)
– La grand-messe (se faire dévaliser à la messe)
– La magie (beaucoup de magicien ajoute le vol de la montre à leur répertoire, le travail du pickpocket est un art complémentaire de la prestidigitation)
– La zoologie (l’animal comme complice du vol)
…
Les outils utilisés sont :
– La cisaille (pince coupante, ciseaux)
– Le mannequin (fausse main ou faux bras)
– La rallonge (pince extensible)
…
Etymologie
L’auteur nous parle ici de l’étymologie du mot pickpocket qui remonte au XIVème siècle. Il dresse ensuite un abécédaire des différents termes employés pour désigner un vol ou un voleur.
Se protéger contre les pickpockets
Philippe Petit met en garde le volé potentiel en lui donnant des conseils. Il prend comme exemple une filature imaginaire et décrit comment il est possible de procéder pour dépouiller ses victimes. De ce constat très précis, ressort des gestes et des habitudes à adopter pour garder sur soi ses biens. Pour éviter le vol à la tire mieux vaut éviter le métro aux heures d’affluence en fin de journée. En règle générale ne pas aller où la foule est la plus dense, éviter les files d’attente et les grandes manifestations sportives.
Notes à l’intention des futurs pickpockets
Avant de mettre en pratique l’art du vol à la tire, il faut répéter comme avant de jouer une pièce au théâtre. Choisir la saison, le mois, le jour, l’heure. Repérer les lieux, l’éclairage, le revêtement du sol. Chaque détail doit être pris en compte, ne rien laisser au hasard. Répéter ensuite les gestes, imaginer sa proie, l’angle exacte de la prise. Toute improvisation est à bannir. L’attitude corporelle est primordiale. Adopter un visage facétieux comme Buster Keaton et une démarche aérienne comme Fred Astaire, tout en étant solide comme David.
Bibliographie et filmographie
Philippe Petit cite différents ouvrages traitant du sujet. Les plus représentatifs sont ceux d’Eugène-François Vidocq (mémoires), Maurice Leblanc (Arsène Lupin), mais aussi ceux de Gérard Majax et Pierre Jacques. Le cinéma n’est pas oublié et il met surtout en lumière le film Pickpocket de Robert Bresson, véritable chef-d’œuvre sur le sujet où l’on voit opérer le magicien-pickpocket tunisien Kassagi, spécialiste du genre et conseillé technique du film.
A lire :
– L’art du Pickpocket, précis du vol à la tire. Ed. Actes sud (2006)
– Un grand interview passionnant de Philippe Petit dans la Revue Imagik N° 32 et 33 de 2001.
– Traité du funambulisme de Philippe Petit. Ed Actes sud (1997)
– Rien dans les mains, tout dans les poches de Pierre Jacques. Ed. Magix Unlimited (1981)
A voir :
– Man on wire, Le funambule. DVD chez TF1 vidéo.
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