Auteur : David Stone. Mise en scène : Jean-Baptiste Dumas. Scénographie : Gérald Wassen.
Avant de s’installer au Palais des Glaces de Paris à partir du 11 mai pour une résidence jusqu’au 29 juillet 2023, Klek Entòs a pu roder son spectacle au mois d’avril à Paris, Lille, Roissy, Talant et Sainte-Sigolène. Une manière de caler certaines approximations dont nous n’avons pas été témoins durant ces 1h20 de mystères, de frissons et de poésies parfaitement maîtrisées.
L’homme derrière le masque
Le monde des magiciens connait bien David Stone qui est une figure majeure du close-up depuis le milieu des années 1990. Un créateur doublé d’un technicien et performeur hors pair, passant du jeune homme aux cheveux peroxydés posant nu sur la couverture de ses notes de conférence, au gendre idéal au sourire carnassier. Travaillant exclusivement pour la corporation magique, il est l’auteur de nombreux tours, notes de conférence, VHS, DVD et livres de références, dont Close-up les vrais secrets (2005). Ses envies de comédien l’ont conduit à participer à différents court-métrages et films. Il a pu se tester en condition scénique au Double Fond avec Dominique et Alexandra Duvivier en trio (2016 et 2018) ou seul avec Stone passe à table (2017). C’est tout naturellement qu’il a eu envie de monter un spectacle complet en créant un personnage tout à fait singulier et énigmatique nommé Klek Entòs.
Klek Entòs, qui êtes-vous ?
Le moins que l’on puisse dire c’est que David Stone a trouvé un personnage à la hauteur de ses ambitions artistiques qui est la parfaite antithèse de sa personnalité de magicien beau gosse à la répartie un brin provocatrice. Klek Entòs c’est tout d’abord une abstraction, un être immatériel car il correspond à « la somme de toutes nos peurs ». Il prend la forme d’une silhouette entre le gentleman en costume trois pièces (à motif écossais ou à rayures) et l’homme invisible (sans identité) de H.G Wells. Son visage, aux bandelettes tâchées d’encre, porte judicieusement les traces d’un test de Rorschach, terminé par le port de lunettes de soudeur style steampunk. Il porte également des gants blancs pour ne pas se salir les mains ou laisser d’empreintes comme les serial killers. Sa gestuelle est très précise, bougeant très lentement avec des gestes calculés où ses mains, constamment crispées, jouent un rôle important dans la mise en scène et la production d’effets magiques. Pour terminer le personnage, la voix du comédien (doublée par Laurent Mazingue) est modifiée dans les tons graves, comme celle utilisée pour masquer un intervenant dans certain documentaire (dépersonnalisé aussi par le floutage de sa tête). La physionomie générale de Klek Entòs est inspirée par une somme de personnages : L’homme masqué (José Anténor de Gago), Le magicien masqué (sans le débinage !), Rorschach (dans le film Watchmen), le tueur sans visage (de Six femmes pour l’assassin réalisé par Mario Bava), Michael Myers (dans le film Halloween de John Carpenter), L’homme invisible de James Whale.
Le spectacle
La représentation est construite sur une espèce de chemin d’expériences (et de croix) qui va mettre à l’épreuve une dizaine de spectateurs à tour de rôle. Klek Entòs n’étant jamais seul pour réaliser ses effets. Tout est focalisé sur les participants et leur ressenti et c’est la grande force du spectacle car tout le monde peut s’y reconnaitre et se mettre à la place du « cobaye ». D’ailleurs, Klek Entòs joue constamment de cette crainte de monter sur scène, avec humour, en parcourant la salle pour choisir sa prochaine « victime » et en usant de phrases qui font mouche comme : « fermer les yeux ne vous rend pas invisible ! » ou « Ce n’est pas de moi que vous avez peur en montant sur scène mais de vous à travers l’image que vous renvoyez aux spectateurs et de leur regard porté sur vous. »
Sur scène sont disposés quelques meubles (table, chaise, guéridon…), on entend une musique d’ambiance (style Danny Elfman, le compositeur attitré du réalisateur Tim Burton). Une voix off résonne d’outre-tombe et nous remémore les vieilles histoires de créatures et de monstres cachés sous notre lit qui hantent nos nuits, des petites peurs communes à tous. Et si ces peurs revenaient sous une « forme humaine non identifiée » ? La scène est alors envahie de fumée et Klek Entòs fait son apparition dans la lumière rasante d’un projecteur tourné vers la salle. Vont alors commencer toute une série d’expériences et d’épreuves convoquant la peur sous toutes ses formes. Celle que l’on perçoit et celle qu’on ignore face à la réalité ou à l’irrationnel.
Le répertoire
David Stone est volontairement sorti de sa zone de confort en abandonnant tous ses tours de magie rapprochée favoris utilisant des objets usuels (pièces, cartes, bouteille, serviettes, billets, etc.). D’autres accessoires, plus ésotériques, entrent en scène comme une clochette, une poupée, des photos, des bougies, des plaques d’hôtel… Et beaucoup, beaucoup d’armes ! (couteaux, hache, arbalète, batte de baseball, shuriken, marteau, tronçonneuse, grenade, bouclier…)
Pour matérialiser les peurs de chacun, Stone et Dumas sont allés piocher dans le répertoire de mentalisme et de « magie bizarre ». On y retrouve quelques effets « commercialisés » et scénarisés avec un grand soin, comme la carte au couteau (Lethal de Bobby Motta), Smash and Stab, le fil coupé et raccommodé (Gypsy Thread), Knots-off-Silk de Pavel, le gant en feu, un fauteuil à apparition (Chair Appearance Illusion)…Mais surtout de belles adaptations d’effets « spirites » comme les ardoises spirites, le tour de la cendre (Vaudoo), le toucher spirite (PK Touch), le foulard spirite (Dancing handkerchief), ainsi que des principes psychologiques efficaces (forçages, « choix du magicien »).
L’écriture
La qualité première du spectacle est son écriture. Le choix d’une structure fragmentée en histoires est en corrélation avec les différents spectateurs qui montent sur scène expérimentant leurs peurs, leurs phobies, ou interrogations. Le spectacle s’ouvre et se ferme par la voix off chaude et mystérieuse de Benoit Allemane (doublure de Morgan Freeman) comme pour nous signifier que nous allons/avons assisté à une sorte de cauchemar/rêve collectif.
La dizaine de saynètes exploitent différentes histoires fantastiques de phénomènes mystérieux, revenants et autres fantômes avec une introduction en voix off (vidéo) ou avec celle de Klek Entòs. La diction de ce dernier est d’ailleurs précise comme une lame et débite avec gourmandise un texte appris au cordeau où chaque mot est soigneusement choisi pour apporter un maximum d’impact aux effets magiques qui vont se manifester.
Parmi les histoires racontées : une jeune fille noyée sur une île de Mexico en 1951, une mystérieuse publicité japonaise maudite pour des Kleenex de 1986 avec un message subliminal, un fantôme qui hante un hôtel autrefois sinistré par un incendie, l’homme-dé de Luke Rhinehart, une cérémonie amazonienne qui exhausse des vœux, l’étoffe symbolique des marins du Moyen Âge… Dans ce flot d’histoires à faire peur, la poésie et l’innocence sont présentes sous la forme d’un canari jaune, leitmotive du spectacle qui délivre, au final, un message philosophique que tout le monde peut emporter avec lui : « La plupart de nos peurs n’ont aucune raison d’être, elles ne sont que des projections mentales qui n’existent que dans notre esprit et nous empêche parfois d’atteindre nos buts et de poursuivre nos rêves. Confrontez vos propres peurs afin de les surmonter, de les vaincre et d’en faire votre force. »
L’univers sonore et visuel
Un soin tout particulier a été apporté à l’ambiance visuelle et sonore de la représentation qui amplifie de manière sensitive les différentes expériences réalisées sur scène. Il y a tout d’abord des projections vidéo qui plantent l’ambiance de chaque saynète et introduisent une histoire (ancrage à la Derren Brown, repris par Viktor Vincent). Images d’archives, reconstitutions, extraits de films (Méliès, Segundo de Chomón…), images fixes qui servent de décor comme l’intérieur d’un chapiteau de cirque, etc. Puis, il y a la musique et les effets sonores qui viennent accentuer une révélation ou un effet magique comme un métronome à la précision diabolique. C’est comme si tout était déjà écrit d’avance, que les moindres choix des spectateurs étaient déjà prédéfinis. D’où une sensation de surnaturel et de mysticisme qui enrobe judicieusement toute la représentation.
Une équipe gagnante
David Stone n’est pas tout seul dans cette aventure et s’est associé à son fidèle compère Jean-Baptiste Dumas, consultant et créateur d’effets magiques pour différents illusionnistes à travers le monde comme Yif, Cyril Takayama ou les French Twins. Dumas travaille avec David Stone depuis 2014 après l’avoir rencontré en Chine lors d’une tournée de conférences. Depuis, ils ont mis au point des tours à destination des magiciens et des numéros scéniques pour l’émission télévisuelle La France a un incroyable talent en 2018, puis en 2020 avec un tout nouveau personnage Klek Entòs (inspiré par Magician X / Marc Spelmann ). Le duo se présentera même aux États-Unis dans American’s Got Talent en 2021, créant une petite sensation en atteignant les quarts de finale. Fort de cette popularité médiatique qui a aussitôt envahit les réseaux sociaux, il était temps de se confronter à l’épreuve de la scène (qui reprend deux numéros vus à la télé) pour installer définitivement le personnage de Klek Entòs et son étrange univers dans une expérience plus immersive et en prise directe avec un public-cobaye.
Conclusion
Nous étions curieux de voir ce que pouvais donner ce passage médiatique sur scène, voir si David Stone pouvait faire « vivre et exister » son personnage de Klek Entòs sur la durée avec un vrai travail dramaturgique ? Le moins que l’on puisse dire c’est que le pari est réussi haut la main. On ne répètera jamais assez que le plus important dans un « spectacle de magie » est son interprète (bien plus que son répertoire) et les histoires qui vont être racontées (bien plus que les trucs). Ici tout a été pensé et travaillé pour maximiser et crédibiliser un personnage et un univers dans l’objectif constant de captiver le public avec des sentiments universelles au-delà des simples tours de passe-passe (qui ne sont que des supports spectaculaires). Rares sont les vrais auteurs en magie qui apportent un nouveau regard sur l’expérience et le ressenti du public avec la délivrance d’un vrai message, ce qu’il faut saluer ici !
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