D’origine écossaise, John Henry Anderson aussi appelé « Professor Anderson » et « The Great Wizard of the North » est le premier à introduire la magie au théâtre. C’est aussi le précurseur de la publicité magique à grande échelle. Fils d’un fermier écossais sans-le-sous et orphelin dès l’âge de dix ans, le jeune Anderson est parti de rien et s’est fait tout seul, un vrai self-made man. C’est après avoir vu le spectacle du magicien, comédien et ventriloque Antonio Blitz (1810-1877) qu’il décide de s’initier à la magie à dix-sept ans avec le magicien Scot. Il rejoint très tôt une troupe de théâtre itinérant et acquiert une solide connaissance du jeu de scène.
The Wizard of the North
En 1837, Anderson, âgé de vingt-trois ans, joue au château du politicien Lord Panmure qui lui propose de partir avec lui en tournée pendant trois ans. Anderson déménage à Londres en 1840 et apparait pour la première fois au Strand Theatre sous le nom de « The Great Wizard of the North » (surnom donné par le romancier écossais Sir Walter Scott). Ses performances, présentées en journée, apportent une nouvelle impulsion et une vraie nouveauté aux théâtres publics de l’époque ; les tours de magie étant alors cantonnés aux représentations de rue… Anderson se distingue de ses confrères grâce à sa forte personnalité, son incroyable sens du spectacle, par son matériel et ses accessoires en argent ainsi que par ses décors de scène très soignés.
Anderson annonce d’emblée son but : « Il est du devoir de tout magiciens de divertir », et il ne se contente pas d’effectuer des tours. Si l’effet n’est pas reçu avec enthousiasme par le public, il le retire de son spectacle. Anderson s’est rendu célèbre en popularisant le défi de « l’homme invulnérable »1, The Great Gun Trick (Bullet Catching Trick) et plusieurs de ses rivaux copient sa version. Anderson fascine son public en faisant surgir des fleurs du bout de ses doigts, des colombes d’un chaudron et un bocal de poissons rouges d’un foulard2. Il présente le tour de la montre brisée et retrouvée intacte sur le fond d’un chapeau. L’un de ses tours favoris est de produire un lapin d’un chapeau haut-de-forme, devenant l’un des premiers magiciens à populariser ce tour, vers 1830 (le premier est vraisemblablement Louis Comte), entré dans l’inconscient collectif mais bizarrement rarement présenté !
En 1845, Il fait construire son propre théâtre de cinq milles places à Glasgow qui brûle quatre mois après. Tout son matériel est détruit et Anderson subit une grande perte financière. Malgré ce désastre, aidé par des amis, il se lance dans un nouveau spectacle au Covent Garden Theatre de Londres. En 1846, il part visiter l’Europe et la Russie et joue devant Tsar Nicolas Ier à Saint-Pétersbourg. De retour à Londres, il joue pour la Reine Victoria et le Prince Albert. Il repart ensuite pour une tournée au Canada, en Amérique, en Australie et à Hawaii.
Un Roi de la publicité
Bien avant Houdini, qui retiendra la leçon, John Henry Anderson sait se vendre comme personne et son image apparait partout ! Très ami avec P.T. Barnum, les deux hommes échangent de nouvelles méthodes commerciales et publicitaires.
La réussite d’Anderson repose sur des prospectus colorés et chargés ainsi que d’autres stratagèmes publicitaires très inventifs tels que de faire peindre son nom au pochoir sur les trottoirs, de le faire estamper sur des plaquettes de beurre servies dans les hôtels, d’équiper des voitures d’énormes affiches ou d’organiser des défilés de rue pittoresques avec des hommes sandwich porteurs de panneaux sur lesquels étaient dessinés des lettres d’un mètre de haut, recto et verso recomposant une phrase (« The Celebrated Anderson » / « The Great Wizard of the North »). Anderson pousse même le vice à organiser des concours de calembours pour amener les gens dans son théâtre avec remise de prix et édition d’un recueil chez les libraires de la ville pour un shilling…
La rivalité
En 1848, à son retour à Londres, Il organise une campagne publicitaire grandiloquente sur d’immenses affiches le présentant comme « Le Napoléon de la nécromancie », « La merveille du monde ». Anderson découvre alors qu’il a un rival de taille en la personne de Jean-Eugène Robert-Houdin (qui donne des représentations au St James Theatre) et il ne tarde pas à reprendre à son compte ses créations comme La suspension étheréenne (qu’il rebaptise La suspension chlorophoréenne), Le carton fantastique (qu’il rebaptise Le portfolio magique ou Le Scrap book magique ou Le Sketch Book magique) et même La seconde vue. Il reprend également l’expérience de « L’enfant suspendu par un cheveu » d’Hamilton (successeur et beau-frère de Robert-Houdin) en 1863.
Anderson sera lui-même pris au piège de la « copie » et de nombreuses contrefaçons voient le jour en Grande-Bretagne avec des sorciers de tout bord : « The Royal Wizard », « The Wizard of the South », « The Great Wizard of London », etc3. Anderson part aux Etats-Unis dans une grande tournée de 1851 à 1853 où il présente le tour de La bouteille inépuisable (The Inexhaustible Bottle)4. Lors d’une représentation à Boston, il distribue diverses boissons alcoolisées demandées par le public, ce qui provoque une énorme controverse juridique, puisque la ville avait interdit l’alcool par un arrêt suite au mouvement de tempérance (mouvement social contre la consommation de boissons alcoolisées à l’ère victorienne).
Anti Spiritisme
En 1854, Anderson donne un spectacle d’adieu à Aberdeen en Ecosse, mais le succès qu’il obtient le convainc de ne pas prendre sa retraite. Au contraire, il commence à concentrer ses efforts pour exposer les fraudes des spirites dans des séances d’« Anti-spiritual entertainment »5. Il utilise ses filles pour reproduire les soi-disant effets « surnaturels » des médiums spirites et contribue à discréditer les célèbres frères Davenport qui présentaient leur fameuse Cabine spirite depuis 1854.
Comme son confrère J.N. Maskelyne6, J.H. Anderson fait de la démystification des expériences spirites un des moments forts de ses représentations en Grande-Bretagne. Dès l’apparition des phénomènes spirites, de nombreux magiciens ont exposés leurs nombreuses fraudes en reproduisant leurs effets grâce à différents procédés mécaniques.
Le spectacle d’Anderson est déplacé au Lyceum Theater à Londres puis au Covent Garden en 1855. L’année suivante, après un spectacle de gala, le théâtre brûle et détruit tous les biens du magicien qui fait faillite une seconde fois ! Malgré le sort qui s’acharne, il est déterminé à continuer et part dans une dernière tournée mondiale en 1959.
Travail en famille
En 1842, Anderson épouse son assistante Hannah Longherst. L’année suivante, leur fils, John Henry Jr. nait. En 1845, la maîtresse d’Anderson Mlle Prentice meure en donnant naissance à Philip Prentice Anderson alias Rubini (1844-1920). Ce fils illégitime sera tout de même pris en charge par son père. John Henry Anderson a sept enfants (quatre filles et trois fils).
John Henry Anderson, sa femme Hannah et son premier fils John Henry Jr.
Ses quatre filles figurent comme assistantes dans plusieurs de ses programmes. Louise avec le don de « seconde vue » et un numéro de « réminiscence orthographique », Lizzie dans une séance d’évasion, de cabine spirite et dans The Japanese Butterflies, Ada dans Sleeping in the air, un numéro de lévitation. Et enfin Alice Hannah Anderson (née en 1847), sa seconde fille, qui assiste son père en tant que « Flora Anderson » de 1858 à 1868 dans plusieurs tours dont Le panier indien, La Décapitation Hindoue et Le Portfolio magique. Elle est aussi chanteuse. (Rien à voir avec la fameuse Jennie Anderson qui se produit en Nouvelle-Zélande en 1875).
Détail d’une affiche de 1867 où apparaît ses quatre filles comme assistantes.
John Henry Anderson et sa fille Louise.
Lizzie Anderson en 1868 dans The Japanese Butterflies.
Oscar Longhurst Anderson (1848-?) assiste son père jusqu’en 1870 et continue ensuite une carrière en solo. En 1860, Anderson repart en tournée avec son fils ainé, John Henry Anderson Jr. (1843-1878). A ses dix-huit ans, ce dernier quitte la troupe de son père pour démarrer sa propre carrière de prestidigitateur en 1862, ce qui engendre une rupture définitive des relations familiales.
John Henry Anderson Jr. « Le fils du Sorcier du Nord » en 1864.
Grandement endetté, Anderson retourne en Angleterre en 1864 et donne une dernière tournée en 1866. Il meurt ruiné en 1874, l’année où Harry Houdini est né. Ce dernier porte une admiration sans borne au « Sorcier du Nord » et entretiendra sa tombe en 1909 à Aberdeen. Il suivra ses pas dans la lutte contre les faux médiums et la communication publicitaire à grande échelle.
Notes :
1 « L’homme invulnérable » est généralement crédité au magicien, maître écuyer et fondateur du cirque moderne, l’anglais Philip Astley en 1762 (même si on en trouve des traces en 1631 avec un magicien nommé Coulen, décrit par le révérend Thomas Beard).
2 Parmi les autres tours de son répertoire : The mesmeric couch, Magical locomotion, L’écrin de verre, Clairvoyance extraordinaire, The newbottle of Bacchus, Half-on-hour with the spirits, Le livre des recueils choisis, The aqua-avial paradox, Grand mystic amalgum, Homological evaporation, The enchanted chair of Comus, The mystery of the charmed chest, The cauldron of the nile, The enchanted hat, The ring of Gyges.
3 Entre 1879 et 1881, Philip Prentis Hind (1844-1920), surnommé « le professeur de magie », commence à utiliser « Anderson » comme nom de famille et nom de scène pour son numéro présenté en Australie. Il se présentait comme le successeur officiel du « Grand Sorcier du Nord ». Son spectacle incluait même un numéro de clairvoyance avec sa femme Louisa.
4 Inexhaustible Bottle est un effet dans lequel le volume de liquide contenu dans une bouteille se révèle beaucoup plus important que la capacité de la bouteille ; le contenu versé est disproportionné par rapport au contenant. Ce tour a été décrit dans le Hocus Pocus Junior en 1635 et a été popularisé, vers 1838, par le Professor Anderson, « The Great Wizard of the North », puis par Robert Heller (The inexhaustible punch bowl). Historiquement, on retrouve des systèmes de vases truqués dès le IV siècle avant J.C. Les routines utilisant ce genre de trucage sont utilisées par les magiciens Ludwig Dobler, Philippe, Henri Robin sous les noms de The Infernal Bottle, The Traveling Bottle, the Interminable Bottle, ou the Bottle of Sobriety and Inebriety. En 1846, Robert-Houdin propose une formidable version avec La bouteille inépuisable, puis David Devant en 1905 avec La bouilloire mystique (The Obliging Tea Kettle), Ryss avec son Barman de Satan dans les années 1920, Charles Hoffman en 1935 avec Think-a-Drink Hoffman, Alan Wakeling avec son Bar act dans les années 1960, et Jim Steinmeyer en 1995 avec Hospitality Drink act.
5 Déjà, lors de sa tournée aux États-Unis en 1853, John Henry Anderson écrit des lettres au rédacteur en chef du Baltimore Sun, suggérant divers moyens mécaniques permettant de produire les « sons » des « esprits frappeurs » (Professor Anderson’s Expose of Spirit Rappings; being a series of letters to the editors of the Baltimore Sun. New York, Samuel Jollie, 1853).
6 Alors tout jeune magicien amateur, John Nevil Maskelyne (1839-1919) assiste à une représentation des frères Davenport le 7 mars 1865 à l’hôtel de ville de Cheltenham. Avec l’aide de son ami et ébéniste George Alfred Cooke (1825-1905), ils construisent un « Cabinet spirit » afin de reproduire et d’exposer le fameux tour des Davenport au public lors d’un spectacle à Cheltenham le 19 juin 1865. Maskelyne se livre par la suite à une lutte acharnée envers les médiums spirites. C’est pourquoi, en 1914, il fonde « le Comité occulte » pour enquêter sur les allégations de pouvoirs surnaturels et dénoncer les fraudes.
Bibliographie de John Henry Anderson :
– The Fashionable Science of Parlour Magic (1843)
– Hand-Book of Natural Magic (1846)
– Shilling’s Worth of Magic: Or Tricks to be Learnt in a Train (1853)
–The Fashionable Science of Parlour Magic: Being the Newest Tricks of Deception, Developed and Illustrated: With an Exposure of the Practices Made Use of by Professional Card Players, Blacklegs, and Gamblers: To which is Added, for the First Time, the Magic of Spirit Rapping, Writing Mediums, and Table Turning (1855)
– Note-Book : or Recollections of His Continental Tour (1860)
– Capital Tricks and Deceptions with Cards (1894)
A lire :
- The Great Wizard of the North de Constance Pole Bayer, Ray Goulet’s Magic Art Book Company (1990).
- John Henry Anderson and his magical family par Edwin Dawes et Michael Dawes, Conjuring Arts Editions (2014).
Cet article a été publié pour la première fois dans le MAGICUS magazine n°219 (septembre-octobre 2019). Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : State Library Victoria / Harry Houdini Collection / Collection S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.