Conception et interprètation : Jérôme Thomas. Avec Jérôme Thomas, Aurélie Varrin et Jean-François Baëz. Mise en scène : Aline Reviriaud et Agnès Célérier. Compositions musicales : Jean-François Baëz. Costumes : Emmanuelle Grobet.
Nous entrons dans le minuscule et très intimiste chapiteau du cirque Lili, une singulière structure auto-portée créée en 2001 ressemblant à un manège de bois fait de toile rouge. FoResT, la dernière création de Jérôme Thomas, joue à guichet fermé pour cinq représentations.
Jérôme Thomas est une figure majeure du jonglage contemporain et le créateur des premiers solos de cette discipline exigeante. Il fonde en 1992 l’ARMO (Atelier de Recherche en Manipulation d’Objets) et la Compagnie Jérôme Thomas. Personnage controversé, il interroge à chacune de ses créations les frontières de son art en lui faisant subir des métamorphoses surprenantes. Il n’hésite pas à convoquer le théâtre, la danse où le théâtre d’objet pour repousser les limites de la jonglerie et confronter sa discipline a de multiples influences artistiques. Parfois, le résultat est mitigé voir prétentieux ; mais quand il réussit son coup et que l’alchimie opère, cela devient sublime.
Chez Jérôme Thomas, la prouesse technique cesse d’être l’unique critère de construction du spectacle, qui a sa propre dramaturgie. Il y a une vraie extension du domaine de la jongle, qui ne se contente plus d’additionner les massues mais serre les nœuds d’un scénario. Le jonglage se fait minimaliste, des objets non codifiés (plumes, boules de pétanque…) apparaissent entre les mains du praticien, qui peut aussi manipuler des objets invisibles, s’inspirant du mime et de la danse.
FoResT (création 2013)
Une fois les spectateurs disposés en cercle autour de la piste, le chapiteau s’éclaire d’une centaine d’ampoules qui flottent au dessus de nos têtes. Apparaît un accordéonniste qui commence à jouer de son instrument dans une ambiance tamisée qui voit deux silhouettes descendrent de leurs mats silencieusement et entamer une étonnante chorégraphie avec une plume. Celle-ci lévite comme par magie autour d’eux avec grâce. C’est ensuite une plume de paon qui tient en équilibre sur la main, les doigts, l’épaule et même la langue des jongleurs.
La scénographie du chapiteau est toute entière imprégnée d’une ambiance ouatée où la manipulation des objets est soumise à une sorte de langueur et d’apesanteur poétique. Le plateau circulaire est recouvert de paillis de bois, ce qui donne un côté charnel indéniable au spectacle, d’autant plus que les deux interprètes évoluent pieds nus.
L’humour est présent avec l’apparition d’un pivert mécanique qui descend le long d’un mat du chapiteau en provoquant un bruit tonitruant.
Les deux jongleurs-danseurs performent en symbiose en manipulant des cannes et en les faisant tourner telle une hélice autour de leurs doigts avec une dextérité digne d’un prestidigitateur et cela dans des conditions extrêmes. Debout jusqu’à la station couchée, ils font passer la canne d’une main à l’autre ainsi que sur leurs pieds !
Des solos époustouflants
Au-delà de la complicité affichée par les deux interprètes, FoResT laisse la place à des « performances » en solo à couper le souffle.
– « Le sac plastique ». Jérôme Thomas découvre sous les paillis de bois un sac plastique qu’il va manipuler grâce à une canne dans un jeu ludique qui produit des effets sculpturaux inédits. Rires garantis.
– « Les baguettes chinoises ». Aurélie Varrin se saisit de deux baguettes chinoises qui lui servent à maintenir son chignon pour nous proposer un singulier tableau entre jonglerie et manipulation où la dextérité et la performance sont transcendées.
– « Les balles ». Jérôme Thomas prend place au milieu du plateau et s’assoie sur un tabouret tournant. Au rythme exacte de l’accordéon, il va frapper ses balles sur le sol, en tournant sur lui-même. Un séquence hypnotique et virtuose magnifique.
Conclusion
FoResT est un formidable moment de créativité qui distille une profonde empathie de part la symbiose parfaite des interprètes avec les éléments de la scénographie. Tels des maîtres manipulateurs, Jérôme Thomas et Aurélie Varrin s’approprient avec panache des objets qui sortent de l’ordinaire pour les transfigurer et transformer leur rapport au monde. Nous remontons aux sources du jonglage avec cette question qui parcourt la pièce : Qu’est-ce que jongler ?
A noter qu’aucunes fausses notes ne viennent ponctuer la représentation. L’angoisse du jongleur (et la notre) est de voir tomber un objet, ce qui équivaux à voir « le truc » dans un tour de magie. Qu’on le veuille ou non, cette « fatalité » nuit énormément à l’impression générale d’un numéro ou d’un spectacle ; la jonglerie est le plus ingrat des arts du cirque ; l’erreur est souvent fatale ! Alors pour cette performance parfaite : un grand BRAVO aux interprètes de FoResT, un spectacle à ne pas rater.
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