Extrait de la revue L’Illusionniste, Vol. 1, N° 3 de mars 1902.
Plusieurs de nos lecteurs ont été à bon droit étonnés que nous n’avons pas commencé notre série de biographies par celle du grand Robert-Houdin, ce maitre incontesté de la magie. Nous reconnaissons certes que la première place lui revenait de droit, aussi ne faut-il voir dans le retard apporté pour cette publication que le grand désir que nous avions de publier la biographie du maître sous le couvert d’une plume autorisée. Nous avons enfin le plaisir de donner à nos lecteurs la primeur de l’intéressant article de M. Méliès. Nul mieux le jeune et sympathique directeur actuel du Théâtre Robert-Houdin ne nous a paru qualifié pour raconter la vie de cet inégalable artiste. Nous donnons également ci-dessous la reproduction d’un intéressant autographe du maître.
La direction.
Biographie
Robert-Houdin, né à Blois le 6 décembre 1805, est l’un des illusionnistes qui ont le plus illustré l’art de la prestidigitation; et son nom est resté, à juste titre, célèbre dans les annales de cet art. Son véritable nom était Robert : Robert tout court. Son père était horloger, et lui-même dès son adolescence embrassa la profession paternelle. Ce fut à cette circonstance qu’il dut cette passion pour la mécanique de précision qui lui permit plus tard de construire les merveilleux automates et pièces mécaniques qui l’ont rendu célèbre, plus encore peut-être que sa dextérité manuelle, qui cependant était remarquable. Esprit inventif, travailleur infatigable, il ne tardait pas à se trouver trop à l’étroit dans la sphère de l’horlogerie, et rêvait déjà, à l’âge de 17 ans, de créer des sujets mécaniques inédits, capables d’étonner ses contemporains et de faire passer son nom à la postérité.
Il confectionna donc nombre d’automates, sans intention bien arrêtée de les produire en public, mais diverses circonstances fortuites l’ayant mis en relation avec des prestidigitateurs de l’époque, il devint un fervent de l’Escamotage, comme on disait alors, et travailla avec un tel acharnement qu’en peu de temps, il devint d’une dextérité remarquable. Alors germa dans son cerveau l’idée qu’il mit d’ailleurs ensuite à exécution, de révolutionner l’art de l’escamotage, qui ne s’exerçait guère alors que sur les tréteaux des placés publiques, et de créer la prestidigitation élégante, correcte, dégagée des oripeaux des pitres, et des invraisemblables costumes des bateleurs. Sans se presser, il mit au point ses automates, pièces mécaniques, trucs électriques ou autres, et ouvrit au Palais-Royal, le 3 juillet 1845, le théâtre des Soirées Fantastiques sur lequel il parut en habit noir, dans un salon Louis XV, dédaignant les décors macabres couverts de têtes de morts, les robes de magiciens, les bonnets pointus et les tables à long tapis de ses devanciers. C’est à lui que l’on doit la prestidigitation moderne et la suppression des farces à gros sel, des calembours de mauvais goût, et des tours où l’adresse de l’artiste était exclusivement remplacée par des boîtes à double fond. Bien lui en prit d’ailleurs ; ce fut une véritable révolution. En huit jours sa réputation était faite et le public parisien accourut en foule applaudir les merveilles inconnues et les ravissants tours imaginés ou perfectionnés par le nouveau sorcier.
Pendant sept années consécutives, la vogue de l’artiste alla grandissant sans cesse et il fut réclamé par tous les pays du monde pour aller exhiber en tournée ses merveilleuses créations : Le Pâtissier des Italiens, le Petit Arlequin ; Antonio Diavolo, le Génie des Roses, la Pendule Mystérieuse, le Coffre de Cristal, le Coffre lourd et léger, le Dessèchement cabalistique, l’oranger merveilleux, etc., etc. Il se maria avec une demoiselle Houdin, et obtint, par décision du Conseil d’Etat, l’autorisation de joindre ce nom au sien, de façon à distinguer son nom d’artiste de ses innombrables homonymes; et depuis lors le nom de Robert-Houdin devint son nom patronymique.
Au bout de ces sept années, il transporta son théâtre au boulevard des Italiens où il est encore aujourd’hui, et quitta la scène après fortune faite pour goûter un repos bien gagné, laissant à son beau-frère Pierre Chocat, dit Hamilton, le soin de continuer à marcher dans la voie qu’il avait tracée. Il avait deux fils mais le premier préféra suivre l’ancienne profession de son père, et devint horloger à son tour et le second, passionné pour la carrière des armes, entra à Saint-Cyr, devint officier et fut tué pendant la guerre de 1870 en faisant vaillamment son devoir. Plus tard cependant, l’aîné, Emile Robert-Houdin, en association avec le professeur Brunnet, parut sur la scène du théàtre fondé par son père, et tous deux la cédèrent ensuite à Cleverman.
Robert-Houdin à L’Egyptian Hall en 1848 (British Library).
Le nom de Robert-Houdin eut un tel retentissement que de nos jours il est devenu presque proverbial, et à chaque instant on entend dire encore en parlant d’un homme adroit : c’est un émule de Robert-Houdin. Indépendamment de ses séances théâtrales et de ses tournées à l’étranger, Robert-Houdin fut bien souvent demandé à la cour de Napoléon III qu’il émerveilla par son adresse, son excellente tenue, et l’amusante présentation de ses tours. Devenu vieux, il se retira dans sa ville natale où il se construisit une extraordinaire demeure où tout fonctionnait mécaniquement et où tout était truqué. Sa passion ne l’avait pas abandonné, comme on voit, et la maison mystérieuse de Robert-Houdin, après avoir fait l’étonnement des gens de sa génération, n’est pas encore oubliée à Blois. Le vieil artiste employa ses dernières années à écrire pour les futurs prestidigitateurs des mémoires fort intéressants et amusants, sous le nom de Confidences d’un prestidigitateur, et des traités pratiques de prestidigitation dont l’un : Comment on devient sorcier est resté le chef-d’oeuvre du genre par la clarté de ses explications. Ces livres ont d’ailleurs servi à nombre d’artistes qui y ont puisé depuis les premiers principes de l’escamotage. Entre temps, il livrait une guerre acharnée aux grecs qui volent avec tant de désinvolture dans les cercles et dévoilait la plus grande partie de leurs ficelles dans le livre intitulé : Tricheries des Grecs Dévoilées. Robert-Houdin mourut en 1872*, avec la joie d’avoir vu son théâtre continuer à prospérer, et les prestidigitateurs imiter à qui mieux mieux le genre qu’il avait créé, pour ce qui est du moins des tours de prestidigitation proprement dite, car ses chefs-d’oeuvre mécaniques n’eurent pas d’imitateurs.
Le théatre Robert-Houdin, vit par la suite de nombreuse pléïade d’artistes se succéder sur sa scène; tous surent garder les excellents principes du maître, et les Jacobs, les Raynaly, les Duperrey, les Carmelli et les Legris, pour ne citer que ceux de nos jours, ont tenu à honneur de se montrer dignes du fondateur de ce théâtre dont la réputation est universelle. Le théàtre fondé par Robert-Houdin, détruit le 30 janvier 1901 par l’incendie de la photographie Tourtin, a rouvert ses portes le 22 septembre de la même année, plus jeune, plus riant que jamais après 60 ans d’exisence, grâce à la vigoureuse impulsion première que lui avait donné cet incomparable artiste. Robert-Houdin fut peut-être le seul qui eût pu se dire le roi des prestidigitateurs, mais il se garda bien de tomber dans ce ridicule, préférant l’appréciation du public à la sienne propre à laquelle dans sa modestie, il n’osa jamais se fier.
G. Méliès
*La date exacte du décès de Robert-Houdin est le 13 juin 1871.
A lire :
– La magie de Robert-Houdin par Christian Fechner, Vol 1 et 2, Vol 3.
– Sommaire des secrets de la prestidigitation et de la magie.
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