Dès notre arrivée dans la salle, deux personnes habillées en costume nous scrutent sévèrement du haut de la scène. Il s’agit de Thierry Collet et de son assistant. Ils invitent certaines personnes à venir choisir un bulletin parmi huit couleurs, à s’isoler dans un isoloir, et à le placer dans une enveloppe qui est ensuite déposée dans une urne transparente. Ce vote préalable sera révéler à la fin du spectacle lors du dépouillement. Ces personnes ont voté, avec une attirance pour une couleur, qui serait peut être différente si on renouvelait l’expérience. Sont-elles libres ou manipulées ? Nous le serons plus tard…
La scénographie suscite la curiosité et l’intérêt, avec son côté « salle des fêtes et mairie » où sont disposé des isoloirs et des accessoires de bureautique. Les spectateurs sont, quand à eux, placés comme dans un amphithéâtre de faculté. Ils vont participer à une forme hybride de spectacle, entre l’expérimentation et le devoir de citoyenneté. Pris dès lors en otages consentants, ils vont servir de sujets d’observation.
Les isoloirs, lieux secrets par définition, sont au centre du spectacle. Ils serviront, par la suite, à démontrer les influences de nos choix, voire révéler que ces choix sont prévisibles.
Dans le mentalisme classique, le prétendu mentaliste se présente, le plus souvent, comme un individu possédant des pouvoirs. Il est alors assimilé à un sorcier ou à un voyant. Thierry Collet prend un chemin complètement différent en se présentant comme un conférencier-VRP- mentaliste faisant vivre au public des expériences ambigües. Il offre à ses spectateurs d’un soir des outils de réflexion par l’intermédiaire d’expériences rythmées, drôles, interactives, qui vont le conduire à s’interroger et à développer son sens critique.
Les premières expériences sont discrètes et permettent de gagner la confiance du spectateur. Petit à petit celui-ci va prendre conscience qu’il subit une manipulation mentale. Placé face à de nouvelles situations, il devra affronter l’inconnu, le danger, sans consentement éclairé, en fonction d’autres paramètres tels que la confiance aveugle ou le désir de se prouver quelque chose.
La prise de risque se trouve également du côté du mentaliste qui doit composer avec un public chaque fois différent dont les réactions sont imprévisibles.
Avant de commencer les expériences, une grande feuille est présentée avec un long texte manuscrit qui contient l’énoncé détaillé de tout ce qui va se passer par la suite. Elle est placée dans une grande enveloppe à la vue de tous, en hauteur au dessus d’un tableau, tenue par une pince.
1- Libre choix
Dès le premier test, Thierry Collet tutoie les spectateurs et parle d’une façon robotique et très directive comme pour prendre l’ascendant sur ses sujets d’observation. « Vous choisirez et je ferai le reste » annonce t-il.
Premier test rapide : un choix parmi trois figures géométriques. Puis une succession d’une dizaine de choix variés écrits sur des cartons et prévus à l’avance.
2- Calibration des décisions
Soudain un sac descend du plafond. Il contient un dé à jouer. Plusieurs spectateurs secouent successivement le dé dans le sac. La face supérieure du dé, pourtant cachée, est devinée à chaque fois, après une série de questions personnelles.
3- Le choix du mot
Vient ensuite le choix d’un mot dans un dictionnaire. Un spectateur visualise le mot, ainsi que les lettres de ce mot. Puis les lettres sont devinées par le mentaliste en voix off.
Le même mot est entouré au feutre rouge dans un deuxième dictionnaire confié depuis le début du spectacle à un autre membre du public.
Cette coïncidence troublante est parasitée par une révolte des dictionnaires avec des voix off qui surgissent dans différents endroits de la salle comme un chahut d’étudiants où chaque spectateur concerné par les sons tonitruants trouve un autre dictionnaire caché sous son fauteuil.
Les dictionnaires deviennent des entités parlantes et sont jetés sur la scène dans une poubelle qui explose. Enfin les livres se taisent pour de bon !
Thierry Collet peut enfin reprendre le cours de ses expériences.
4- Couleur et autorité
Un sac, contenant des stylos feutres de différentes couleurs est utilisé. Quatre spectateurs désignés au hasard choisissent, successivement, une couleur. Le choix est libre et est deviné pour chaque spectateur dans une expérience de « psychologie sociale » où des renseignements secondaires sont demandés, comme : droitier ou gaucher ? En qui avez-vous le plus confiance ? Le père, le maire, le médecin ou le policier ? Etc. Cette pseudoscience permet de détecter des tendances, des choix futurs, selon les dires du mentaliste.
De petits haut-parleurs, cachés sous les sièges interviennent de nouveau dans des endroits disséminés des gradins. Comment vous appelez-vous ? « Bernadette » répond le haut-parleur situé près de la spectatrice avant qu’elle ait ouvert la bouche ! Cela renforce l’interaction et la manipulation que les spectateurs sont en train de vivre.
5- L’expérience de l’arbre
Panélisation et modélisation de la société française avec la passionnante expérience de l’arbre et de la « croix » qui est ici décomposée magistralement avec toutes sortes de réponses possibles. « Toute perception n’est que reconnaissance ».
« Maintenant que l’on a développé une relation de confiance, nous allons passer à la suite ». Suit alors des expériences plus audacieuses.
6- Le rapport de confiance
Un médecin est demandé sur scène. Il sera le témoin d’une expérience de fakirisme à l’aide d’une grande aiguille. Le mentaliste montre l’exemple en se traversant le bras. Un volontaire est demandé dans la salle pour subir la même expérience. Ses motivations sont interrogées. Attrait de l’inconnu, confiance dans le manager ? Etc.
Une autre expérience de fakirisme est tentée quand le mentaliste place sur sa tête un sac de plastique pour s’étouffer. L’arrêt du pouls très bien mis en scène, et ludique avec la participation du médecin.
7- Les cartons
Suit des demandes flashs avec sorties multiples. Vert ou rouge ? Le vert écrit en rouge nous fait comprendre l’ambivalence possible des questions.
Deux lettres sont demandées. Réponse : MG. Une enveloppe est décachetée. Les lettres MG étaient inscrites à l’avance sur la lettre contenue dans cette enveloppe.
Des cartons sont exposés. Ils sont le support de mots genre « voyage », « argent », « sexe », etc. Un carton est choisi. La spectatrice doit visualiser le mot. Puis des tas d’autres détails sont révélés par le mentaliste jusqu’à des odeurs pensées par la spectatrice dans une expérience de « circulation des pensées ». Le mentaliste remercie son complice occasionnel de lui avoir fait confiance et lui donne un billet.
Une autre expérience utilise des prédictions étonnantes de lieux comme « montagne », ou « le haut d’un cocotier », proposés par trois spectateurs dans la salle. Ces lieux sont inscrits sur des panneaux exposés à la vue de tous. A la fin, les lieux sont révélés un à un.
8- Transformation
Quatre spectateurs montent sur la scène. Ils tiennent des panneaux colorés semblable aux huit couleurs des « cartons de vote » du début. Les couleurs disparaissent selon l’éclairage avec l’apport de la lumière jaune. Voyez-vous comme notre jugement peut être faussé ?
9- Validation des acquis inconscients
Le grand tableau situé à gauche des isoloirs est utilisé pour des révélations en rafale. Des signes, des chiffres, des dessins sont inscrits par dizaine, le tout composant une grille de symboles.
Thierry Collet demande aux quatre spectateurs d’effectuer une tâche différente, chacun se trouvant dans un isoloir et ne voyant pas le tableau :
Désigner le mot au milieu de la page d’un journal. Placer le doigt sur un numéro de téléphone dans une page d’annuaire. Effectuer un dessin libre.
Au fur et à mesure que les spectateurs disent leur choix, le mentaliste montre sur le tableau que tout était prévu à l’avance !
Trois objets sont ensuite confiés au quatrième spectateur qui est sorti de l’isoloir. L’urne est déplacée pour libérer une table qui est amenée devant lui pour exposer les trois objets. Le témoin doit empocher deux des objets et placer le troisième dans une trousse. Ici aussi, tout était prévu sur le tableau !
Une expérience avec un portable nous laisse perplexes. Le correspondant choisi au hasard par un homme du public donne le nom de l’objet dessiné par le troisième spectateur !
10- Dépouillement
Après cette belle parenthèse d’oubli, le contenu de l’urne est dévoilé dans une chorégraphie à quatre. En effet, le conférencier danse avec une spectatrice pendant que les deux autres font laborieusement le dépouillement des bulletins ! Tous sont de la même couleur. Les élections seraient-elles parfois truquées ?
11- Prédiction finale
L’enveloppe du début est détachée du haut du tableau et la lettre est lue par une femme du public. Tout était prévu dans les moindres détails : chaque action avec les prénoms des spectateurs, leurs annonces et leurs actions improvisées.
Le public est stupéfait et les applaudissements ne s’arrêtent plus !
Sommes-nous des hommes libres ou sommes-nous menés comme un troupeau ? Durant une heure quinze, notre libre arbitre a été mit à mal dans ce spectacle, où les expériences se sont enchainées à un rythme effréné.
Avec Influences, Thierry Collet nous a présenté une autre manière de concevoir et de considérer le mentalisme. Une vision très politique de la chose agrémentée d’un vrai comique de situation. C’est cet équilibre parfait entre l’austérité du dispositif et l’humour de certaines situations qui font merveille. Le personnage qu’incarne le comédien contribue très fortement à l’attraction au près du public. Thierry Collet gère parfaitement son auditoire grâce à son expression corporelle, son regard, sa voix, son discours ciselé et son jeu d’acteur. Un spectacle d’une rare intelligence qui nous pose des questions essentielles.
A voir :
– Le site de la compagnie Le Phalène.
A lire :
– L’interview de Thierry Collet.
– Dans la peau d’un magicien.
– Qui-vive.
– Que du Bonheur.
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