Quels ont été les moments forts de votre parcours artistique ?
Je suis né le 5 février 1972 à Ismail en Ukraine, et vingt ans plus tard, en 1992 j’ai été diplômé de l’école de cirque de Kiev. J’étais le premier dans ma famille à faire du cirque, mes parents travaillaient dans le domaine de la comptabilité. Avant la Seconde Guerre mondiale, mon grand-père avait aussi eu l’opportunité de travailler à Moscou comme artiste, mais il avait trois enfants et ma grand-mère n’avait pas souhaité faire le déplacement malgré la proposition d’embauche de ce théâtre moscovite. En 1992, l’époque était très particulière, car nous sortions du bloc soviétique avec beaucoup de contraintes puisque nous ne devions pas « sortir des cases ». Même si mon personnage n’a pas pour but de transmettre un message politique, être un artiste m’a permis de quitter ce cadre formel, en me rasant les cheveux par exemple et sans pour autant porter un nez rouge comme les autres clowns plus traditionnels. À l’image des Beatles à leur époque, qui ne souhaitaient pas vivre dans les années soixante / soixante-dix, j’aime à me référer à leur philosophie de vie. Car ils se sentaient eux aussi en décalage avec la société de ces années-là. J’ai d’ailleurs beaucoup lu à ce sujet, notamment concernant la vie de John Lennon qui dénonçait les mauvais comportements de certains politiques à l’égard du peuple. Puis, en l’an 2000, je me suis installé en Allemagne où il y avait une grande liberté d’expression. En 2005, ma carrière a vraiment décollé avec l’obtention d’une médaille de bronze au 26ème Festival International du Cirque de Demain, puis s’en est suivi un clown de bronze au Festival International du Cirque de Monte-Carlo en 2009. Entre-temps, j’avais réalisé en 2007 une tournée en Angleterre avec un cirque moderne sans animaux le cirque Surreal où nous avions tourné à Londres, Manchester, etc. C’était un cirque dans la même trempe que le circus Flic Flac.
Quel a été votre processus créatif dans la construction de votre personnage, vous êtes-vous inspiré du clown Slava Polounine ou du célèbre maître de cérémonie Calixte de Nigremont ? En particulier, votre coiffure digne du célèbre clown Boum-Boumqui a marqué l’âge d’or du cirque Medrano ?
Comme tout artiste, on doit se nourrir du travail de nos pairs et des maîtres dans notre domaine, afin de construire notre personnage. Tout comme un écrivain qui doit lire beaucoup de livres pour ainsi créer ses propres histoires, l’apprentissage de l’art du clown comme la construction de son propre rôle nécessite le même travail. Évidemment le clown Slava (Slava’s Snowshow) a été une véritable source d’inspiration. Dans les années quatre-vingt-dix, deux mille, Internet venait tout juste de naître, c’était difficile, car il y avait peu de documents en ligne. Cependant, dès mon arrivée en Allemagne j’ai pu découvrir beaucoup d’artistes comme le célèbre clown Grock.
Pourquoi avez-vous appelé votre personnage Housch-ma-Housch ?
Là encore, c’est le fruit du hasard, car nous avons travaillé à Kiev dans des théâtres de variété et avec un maître en la matière le clown Dimitri qui était un meneur de revue en quelque sorte dans un célèbre cabaret de Kiev. Un jour il m’a dit, je te donne le nom de Housch-ma-Housch car tu parles tout le temps « housh housh », comme « abracadabra », ce sont des onomatopées, cela ne veut rien dire.
Parlez-nous de votre collaboration avec Pierre Étaix ?
En 2007, j’ai fait une rencontre déterminante dans ma carrière avec Pierre Étaix, alors même que je ne parlais pas du tout français, que je ne connaissais pas non plus son travail ni ses films qui n’étaient pas connus en Ukraine et en Allemagne. Puis, rapidement il est devenu un ami très fidèle. J’ai quitté Paris en août 2016 et Pierre est malheureusement décédé en octobre. Durant quasiment dix ans nous avons été très amis, j’ai notamment travaillé avec lui en 2010 lors d’un gala spécial en France où était présent le ministre de la culture de l’époque. Deux ans plus tard, j’ai été embauché au Lido durant sept ans, notamment avec mon ami Otto Wessely. Nous avons travaillé ensemble en Russie, en Autriche et dans de nombreux autres pays.
Vous jouez beaucoup avec les silences comme l’humoriste français Monsieur Fraize, donnant l’illusion de la légèreté à votre personnage Housch-ma-Housch, alors que l’art clownesque nécessite beaucoup de rigueur. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ? D’ailleurs comment travaillez-vous vos textes, vous jouez aussi beaucoup avec le tempo et les mots ?
Pour tout vous dire, je ne connais pas cet humoriste, toutefois, mais il est tout à fait vrai que je joue beaucoup avec les silences suscitant ainsi le rire des spectateurs. Pierre Étaix disait « le succès du clown est très simple, il nécessite un travail acharné tout en étant très dur ». Cela nécessite beaucoup de répétitions, je ne peux jamais savoir immédiatement ce qui va fonctionner. En général, j’essaie mes gags une dizaine de fois. Si les gens ne rient pas, évidemment, j’abandonne ce ou ces gag(s). Je dois bûcher continuellement pour adapter mon numéro et ainsi toujours plaire autant au public. L’année dernière, lors de la revue Grand Amour au Royal Palace de Kirrwiller, tout au long des dix mois de spectacles, j’ai toujours fait évoluer mon numéro à chaque représentation.
Lors de votre séjour artistique au Royal Palace de Kirrwiller, vous avez aussi présenté un spectacle en duo avec le célèbre acteur et comédien Maksim Sukhanov. Comment s’est déroulée cette rencontre ? Aviez-vous déjà travaillé ensemble par le passé ?
J’ai beaucoup de respect pour Maksim qui est un artiste de très haut niveau, à la fois acteur dramatique, il est aussi capable d’incarner un personnage humoristique. Son travail a aussi été salué à de nombreuses reprises par la presse et le monde du cinéma. Il a beaucoup travaillé au théâtre avec moi, Maksim est une véritable source d’inspiration pour perpétuellement faire évoluer mon personnage. Housch-ma-Housch aujourd’hui est évidemment bien différent de la figure d’il y a vingt ans, puisque depuis j’ai changé ma façon de travailler. Je me suis adapté aux époques et mon physique a lui aussi évolué. En 2005, j’avais les cheveux rasés sur le dessus du crâne, désormais je laisse mes cheveux poussés. Maksim travaille son personnage de clown comme un rôle de comédien au théâtre, tout en étant capable de jouer l’acteur au cinéma, c’est incroyable. Pour ma part, je suis naturel, je ne joue pas. C’est vraiment un tout autre labeur. Même si nous présentons à de multiple reprises notre numéro, le rendu sera toujours différent, car le public n’est jamais le même et au fur-et-à-mesure du temps notre personnage évolue, alors qu’au théâtre l’approche est différente. C’est plus efficace. C’est vraiment le secret selon moi, et c’est quelque chose de difficilement explicable, c’est avant tout un ressenti. Même si quelqu’un nous copie cela sera toujours différent car nous sommes uniques. Dans la vie réelle je suis plus sérieux, je fais moins le clown, mais tout dépend des situations. J’ai adoré mon expérience au Royal Palace de Kirrwiller, j’aimerais beaucoup revenir travailler dans ce magnifique écrin, l’environnement extérieur est aussi incroyable.
Avez-vous déjà travaillé avec les magiciens Voronin et Otto Wessely ?
J’ai beaucoup travaillé avec Otto, notamment pour des spectacles que j’organisais. Avec Voronin, j’ai eu l’opportunité de jouer en Ukraine en 2020, mais aussi avec un ami jongleur Viktor Kee qui a longtemps travaillé au Cirque du Soleil jusqu’en 2016, puis au cirque Knie en 2018. Récemment encore, j’ai participé à une tournée de trois semaines en Espagne, c’était une expérience incroyable me permettant de joindre l’utile à l’agréable en visitant les différentes villes espagnoles avec ma famille.
Vous avez aussi pratiqué un peu le Quick change avec le duo Sos & Petrosyan au Royal Palace ?
Effectivement, nous avons pris beaucoup de plaisir à mélanger humour et Quick change pour nourrir nos réseaux sociaux et ainsi communiquer plus facilement. Nous échangions beaucoup sur nos numéros respectifs, trois minutes avant d’entrer sur scène j’effectuais souvent des petits changements suite à nos discussions. L’ambiance familiale entre tous les artistes était vraiment propice à la création artistique.
Vous utilisez beaucoup la magie dans vos numéros, comme cette plume qui écrit toute seule lors de votre seul en scène au théâtre Dejazet, une bougie qui s’allume soudainement, etc. ? Expliquez-nous un peu plus ces tours ? Êtes-vous aussi féru de magie ?
C’est une très longue histoire. Lorsque j’habitais à Kiev, j’étais très proche de Victor Voitko, nous étions amis et nous avions beaucoup travaillé ensemble au cabaret. Il était magicien aussi, le numéro avec le lapin par exemple était son idée, puis j’ai conservé cet effet pour mon spectacle. Suite à cette rencontre, j’ai fait la rencontre d’un autre magicien qui m’a permis de continuer à affiner mon tour et ma présentation. Toutefois, je n’aime pas utiliser simplement des tours, il s’agit avant tout de raconter une histoire en saupoudrant le tout de quelques effets magiques. La magie est avant tout au service de l’histoire que je raconte.
Vous faites aussi apparaître plusieurs mains et un pistolet d’une cape digne de Sherlock Holmes. Cet effet magique, n’est pas sans rappeler le numéro de la magicienne allemande Alana Moehlmann, vous êtes-vous inspiré de cette artiste ?
Non, je ne connaissais pas cette artiste lorsque j’ai mis en scène cet effet, car je présentais déjà ce numéro lorsque j’habitais à Kiev en 1995/1996. En réalité, je me suis inspiré de la main de la Famille Adams. Dans la première version, en 1991, ces personnalités atypiques ont contribué a façonné Housch-ma-Housch. Dans ce film, les personnages à l’apparence négative étaient aussi très sympathiques, c’est ce paradoxe qui m’a vraiment fasciné et ainsi influencé dans ma conception artistique. Selon moi, le paradoxe demeure le secret de la réussite d’un comédien, car il agit à un instant T pour engendrer le rire à un moment T+1.
Souhaiteriez-vous refaire un seul en scène en France comme vous l’aviez fait au Festival d’Avignon ?
Oui, tout à fait, j’ai d’ailleurs participé deux fois à ce festival. La première fois en 2007, en tant que comédien, simplement pour jouer mon spectacle seul en scène, et c’est vrai que je serais ravi de revenir y jouer. Et la seconde fois en 2017, en tant que producteur, organisateur, comédien, metteur en scène et réalisateur. J’apprécie beaucoup la France qui investit énormément dans la culture. Le Festival d’Avignon dispose de nombreux spectacles, car les théâtres achètent des shows, devenant ainsi aujourd’hui une véritable marque. Même si mon travail est reconnu par mes pairs, cela reste toujours difficile, car je dois continuer à être au top de ma performance et sans cesse me renouveler pour être toujours dans la mouvance du moment.
Souhaiteriez-vous introduire des grandes illusions dans vos numéros comiques comme le duo Galina & Sonny ou Scott & Muriel ?
J’ai travaillé avec Scott & Muriel à Lima cet été, j’apprécie beaucoup leur travail. Comme Otto Wessely, c’est un travail de très haut niveau, qui nécessiterait un important investissement de ma part. Même si j’aimerais beaucoup mettre en scène de grandes illusions comiques, cependant il me reste un important travail à faire.
Comment qualifierez-vous votre magie : comique, excentrique ?
On ne peut pas me qualifier de magicien, car je suis un comique, Housch-ma-Housch est plus léger. C’est vraiment mon personnage qui s’appuie sur la magie pour communiquer, c’est une part du spectacle, tout comme le film Beetlejuice, le music-hall à Broadway. Mais, la magie est aussi présente dans ces œuvres et elle est utilisée pour raconter une histoire. Selon moi, il y a vraiment plusieurs sortes de magie, ce n’est pas seulement des effets avec un trucage, cela peut aussi être le fait de susciter une émotion qui créé une autre forme de magie.
Quelques anecdotes sur votre carrière ?
Les festivals demeurent d’incroyables expériences et de véritables tremplins pour nos carrières d’artistes, notamment le Festival Mondial du Cirque de Demain qui a été pour moi un vrai catalyseur de carrière. Tout comme le Festival International du Cirque de Monte-Carlo, dont j’ai eu la chance de participé à deux reprises en 2009 et en 2016 pour le 40ème festival avec les talentueux clowns Fumagalli et Bello Nock. Je tiens à remercier encore son Altesse Sérénissime La Princesse Stéphanie de Monaco pour son accueil chaleureux et son soutien tout au long de cet événement exceptionnel, ainsi que tous les établissements qui m’ont accueilli tout au long de ma carrière. Le cirque Vazquez aux États-Unis, a lui aussi été une expérience artistique tout aussi exceptionnelle. Mais l’un de mes anecdotes les plus drôles restera l’un des spectacles dans lequel j’ai joué à la sortie de l’école du cirque de Kiev en 1993, à l’époque j’avais commencé au cirque national de Kiev qui est un cirque fixe où j’ai pu travailler avec un partenaire. Lors de ce numéro de clowns avec des claquettes, j’ai crié dans la salle « maman je suis kaput » et soudain ma vraie mère m’a répondu : « Oh mon fils je suis là ».
Avez-vous des anecdotes en lien avec la magie qui ont marqué votre parcours artistique ? Avez-vous côtoyé ou travaillé avec le duo de magiciens ukrainien Double Fantasy ?
Bien-sûr, je les connais, Victor Voitko est à l’origine de la conception de ce numéro, présentés aujourd’hui par le duo Double Fantasy. Voronin, Victor Kee et moi-même, sommes tous les trois diplômés de l’école de cirque de Kiev.
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Interview réalisée en décembre 2024. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © Sasha Torgushnikova / Pit Buehler / Igor Kulinskii / Semen Schuster. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.