Aller voir une cartomancienne ou un guérisseur, c’est malgré tout un acte que certains gens se refusent à accomplir. On a peur d’être vu et reconnu dans leur salon, de passer pour un imbécile. Si on craint de passer pour un imbécile aux yeux d’autrui, on redoute tout de même beaucoup moins sa propre conscience et ceux-là mêmes qui « n’y croient pas » cèdent souvent à l’attrait de l’inconnu et à la puissance de la réclame. De là, le succès invraisemblable de l’horoscope par correspondance : on se dit qu’après tout, il n’en coûte que trois francs pour envoyer au professeur Hamon, au professeur Roxroy, au professeur Arahman, au maître Kerneiz, son nom, son adresse et sa date de naissance. L’avenir pour trois francs, ce n’est pas cher…
J’ai écrit au professeur Simon. Pas une fois, plusieurs fois. Chaque fois, j’ai joint trois francs de timbres et j’ai donné différents noms et diverses adresses. Dans chaque demande d’horoscope, j’ai posé une question précise, pour savoir, non pas si on y répondrait (je me doutais bien que pour ce prix-là on ne répond pas aux questions précises), mais si une phrase quelconque de la réponse impliquerait qu’au moins la question avait été lue.
Everyday Astrology magazine (décembre 1938).
J’ai reçu, ou plutôt Mlle Germaine X, Mlle Pauline Y, Mme Marguerite Z, ont reçu sur deux belles feuilles ronéotypées le portrait barbu du professeur à lunettes, sur champ d’azur semé d’étoiles, avec un « horoscope partiel » dicté par le professeur Simon. J’ai lu :
« Madame. Des événements d’une importance exceptionnelle qui vont influencer votre vie à une date très rapprochée me font un devoir de vous renseigner sans retard. J’espère qu’en vous répondant bien avant votre tour, vous voudrez bien apporter toute votre plus grande attention à la lecture de cette étude partielle que je viens d’établir pour vous, car le bonheur de toute votre vie en dépend. […] Vous avez un jugement très sûr et une grande activité mais certaines faiblesses et surtout une grande hésitation vous empêchent de réaliser vos ambitions et vos désirs. L’examen rapide de votre horoscope m’a étonné par la quantité de réussites heureuses qu’il contient et que vous ne pouvez soupçonner, ne pouvant le voir comme moi à la lumière de la science astrologique. […] Il est indispensable que dans l’état actuel d’incertitude qui règne à travers le monde, où l’évolution sociale de la femme cherche son chemin, il faut qu’elle soit bien armée et soutenue. Mes connaissances approfondies en astrologie me font un devoir de vous guider. […] Mes honoraires pour une étude complète et détaillée sont de 100 francs, mais votre thème de nativité et la base de vos influences astrales étant déjà établies, de plus votre cas présentant des particularités très intéressantes que j’ai rarement rencontrées au cours de mes longues études… je vous consentirai exceptionnellement un prix de faveur de 50 francs. »
En ouvrant la première enveloppe, j’avais été flattée, j’étais prête, à cause des « particularités très intéressantes », à envoyer mes 50 francs. Le professeur avait deviné que j’étais indécise, que je manquais de confiance en moi : je me reconnaissais. J’ouvris la seconde, puis la troisième, la quatrième enveloppe : Hélas ! Mademoiselle Germaine, qui était née trois mois avant moi, mademoiselle Pauline, qui était née quinze jours après moi, madame Marguerite, qui avait soixante-cinq ans, présentaient les mêmes « particularités intéressantes », étaient promises au même destin que moi. J’ai pensé que les « connaissances approfondies » du professeur Simon ne portaient pas que sur l’astrologie, mais embrassaient aussi le commerce et l’exploitation cynique des naïfs.
Everyday Astrology magazine (décembre 1938).
Il existe bien des variétés d’escroquerie à la lecture de l’avenir, toutes fondées sur l’ignorance ou la crédulité. J’ai écrit à madame Rose, en joignant comme toujours quelques timbres à ma lettre. Madame Rose proposait, dans un de ces grands journaux à images et à beaux crimes, de révéler à toute personne curieuse, la manière d’avoir au choix fille ou garçon. Madame Rose m’a répondu, qu’une science fort antique permettait d’avoir à volonté une fille ou un garçon. En ce qui me concernait je pouvais concevoir une fille très exactement du 11 juin à 20h45 au 14 juin à 3h08, et du 3 juillet à 12h20 au 6 juillet à 17h13.
Je n’avais donné à madame Rose ni mon âge – je pouvais avoir douze ans, ou soixante-dix – ni aucun détail sur ma santé. Ainsi cette dame gagne sa vie en racontant une petite histoire invraisemblable, mais qui, si beaucoup de femmes ont suivi son conseil, a tout de même quelques chances de lui rapporter le témoignage de quelques lettres de reconnaissance dont elle se servira : après tout, elle n’a guère que cinquante chances sur cent de se tromper. Naturellement, madame Rose offre pour 50 francs, et pourvu qu’on lui donne quelques précisions, plus de garanties encore d’avoir fille ou garçon.
J’avais oublié le professeur Simon, lorsque quinze jours ou trois semaines plus tard, Germaine X, Pauline Y et Marguerite Z reçurent chacune une lettre, avec toujours, sur un fond de ciel étoilé, le portrait du professeur, avec sa belle barbe récolteuse de sauces et de soupes…
« Chère madame (ou chère mademoiselle). Je suis tout à fait surpris devant votre indifférence à me demander votre horoscope complet. Manqueriez-vous de confiance en moi ? Je ne le crois pas, car mon seul but est de vous conduire surement vers votre bonheur. Mon devoir m’impose devant votre silence de vous écrire à nouveau […] Parmi les milliers de personnes de tous les coins du monde qui m’adressent des lettres de reconnaissance, certaines ont comme vous un peu hésité et pour certaines, il a été trop tard… Ne faites pas comme elles. Je suis persuadé que vous n’aurez plus aucune hésitation devant l’offre d’un ami sincère qui vous prie de ne pas douter en sa science et qui serait heureux de recevoir une réponse sans retard. »
Quinze jours plus tard, une troisième circulaire, en termes plus émus encore, vint me proposer une diminution de 20 francs sur le prix de l’horoscope. Sur les trois francs que j’avais envoyés, le professeur avait dépensé un franc cinquante de timbres : il ne lui restait plus qu’un franc cinquante pour couvrir ses frais de publicité. Je persistais dans mon silence. Espacées, mais régulières, les circulaires du professeur continuèrent à me parvenir, chaque fois plus pressantes, mettant à 20 puis à 15 francs le prix de l’horoscope. Mes trois francs de timbres y étaient passés. Je connais trop de femmes qui ont lu avec fièvre de pareilles circulaires en série. Elles ont cru voir entre les lignes des révélations qui n’y étaient certes pas contenues, elles les ont gardées dans leurs sacs, relues vingt fois comme des lettres d’amour, comme si elles avaient vraiment été composées pour chacune d’elles. Elles ont, sur la foi de ce message, qui a exactement la valeur d’une réclame pour une marque de pneus ou de rouge à lèvres, envoyé à ce Mage ingénieux un billet de cinquante francs bleu, rose et mauve, aux couleurs mêmes de leurs rêves.
– Extrait de la série Trafiquants de Mystère (6ème partie) parue dans journal L’Humanité du 10 janvier 1937.
A lire :
– Des Gris-Gris aux petites annonces.
– Géographie des voyantes.
– Filtre d’amour.
– La devineresse qui questionne.
– La visite au FAKIR.
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