Extrait de Mes perruques, coups de peigne politiques. Mes perruques à marteau (Savin, 1832).
Des éclats de rire fixèrent hier mon attention en traversant la place du Carousel. Curieux de mon naturel, je m’approchais du cercle joyeux et j’y vis un homme à gros favoris, haut toupet, petits yeux, joues pendantes, teint basané, c’était un escamoteur. Il était au milieu du cercle. Il cherchait par ses promesses à retenir ses dupes, tandis que ses compères exploitaient à leur aise les poches du pauvre peuple.
Mes chers camarades, mes très chers camarades, disait-il, encore un peu de patience et je vous ferai voir ce que je vous ai promis. Je ne suis plus ici sur la place de l’Hôtel-de-Ville, où il faut promettre plus qu’on ne peut tenir, pour obtenir des suffrages. Ici, grâce à la liberté conquise en 1850, je rogne, je taille, je bâtis, je démolis, sans qu’il m’en coûte rien. Au contraire, je fais argent de tout. En un mot, je suis presque roi.
Cela est si vrai que j’ai : liste civile, budget et fonds secrets, représentés par ces trois pelotes. J’en mets une sous chacun de ces trois gobelets. Je prends ensuite la première que j’envoie en Amérique. La seconde, je l’avale. La troisième, invisible. Je lève maintenant les trois gobelets et il n’y a plus rien dessous, dessus, ni dedans.
Voici maintenant un foulard dans lequel vous voyez tous qu’il n’y a rien, absolument rien. Eh bien ! Moi, je prétends en tirer quelque chose. J’y fais donc un noeud coulant et je le présente à madame. Serrez ce noeud, madame. Encore. Là, très bien. Voyez, mes chers camarades. Voici un testament en règle qui vaut des millions.
Nous allons passer à quelque chose de plus difficile. Arrive ici, Paltoquet. Remarquez, mes chers camarades, que ce nain n’a que le tiers de la taille ordinaire. II est très laid, mais doué d’une agilité surprenante. Quoique sans plumes ni ailes, il vole avec beaucoup d’adresse. Comme je ne puis exécuter ce dernier tour sans lui, il vous prie de mettre la main à la poche, il reçoit jusqu’à six cent mille francs, ce sont ses petits profits.
(S’adressant à une dame de la société)
Avec l’aide de Paltoquet, je vais escamoter Madame. C’est uniquement pour obtenir la majorité… des suffrages de ceux qui m’entourent. Ainsi Madame n’a aucun danger à courir. Je prends donc Madame, mes chers camarades, vous voyez tous que je la prends. Je la tiens un moment et je l’envoie près de Bordeaux. Cherchez maintenant, vous ne la trouverez plus.
Allons ! Messieurs et Dames, du courage, la main à la poche, avant que nous partions. Bien, très bien ! Merci. Puisqu’il n’y a plus rien à ramasser, c’est Messieurs et Dames, pour avoir l’honneur de vous saluer.
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