L‘auteur Nicole Edelman, maître de conférence en histoire contemporaine, nous propose une plongée dans le paranormal. Loin d’offrir des effets spectaculaires et des révélations incroyables, il s’agit plutôt pour l’historienne d’analyser et de replacer dans le temps les différents domaines du paranormal, à savoir la voyance, l’astrologie, la numérologie, la parapsychologie et le spiritisme. Ainsi chaque discipline est replacée dans son contexte en convoquant l’histoire, les sciences et les religions. Que tous ces phénomènes soient fiables ou non, n’est pas sa question. C’est en comprenant leur origine que nous pourrons forger notre propre opinion et évaluer nos propres croyances.
Chaque terme, chaque phénomène possède une signification propre et recouvre une pratique et un domaine conceptuel qui évoluent au fil du temps. Ainsi, ce que le vingtième siècle nomma « paranormal », le dix-neuvième siècle le désignait comme « sciences occultes ». De nombreux écrits attestent de l’existence de la voyance ou de la divination par l’astrologie depuis des millénaires, partout dans le monde. Toutes les civilisations ont eu recours à ces pratiques. En cela, la figure de la bohémienne qui lit les lignes de la main est le symbole de cette imagerie que la peinture de la Renaissance et de l’Age baroque ont élevée au rang de thème classique.
Dans l’Europe chrétienne, la voyance a souvent été considérée comme diabolique, relevant de pratiques magiques et de sorcellerie. De la même manière les états modifiés de conscience et toutes les formes de transes ont été largement interprétés comme phénomènes de possession jusqu’au dix-neuvième siècle. Le pouvoir politique et religieux ont brûlé les « sorcières » et tenté de guérir les possédés par des exorcismes théâtralisés.
Gravure représentant une femme accusée de sorcellerie.
Au Moyen Age, existait une large palette de techniques de clairvoyance : divination par le miroir, divination dans un récipient d’eau claire, divination par les flammes ou la lumière d’une chandelle, géomancie (divination par la terre et les cailloux). Ces thèmes et pratiques magiques mélangeaient les références culturelles et religieuses.
Au milieu du dix-neuvième siècle, la voyance devient un métier et a pignon sur rue, prenant une vraie place dans la société. Elle console, rassure, prédit l’avenir en mélangeant volontiers les pratiques du somnambulisme à un attirail folklorique (boule de cristal, marc de café). Ces voyants sont majoritairement des femmes. Elles sont nommées successivement somnambules extra-lucides, sibylles, pythonisses, cartomanciennes et … sorcières ! Elles assiègent les salons, les antichambres et les cabarets à la mode, se mêlant aux magnétiseurs, médiums et illusionnistes. En fait la frontière entre toutes ces pratiques est floue, certains allant jusqu’à tout combiner dans leur séance. Les magnétiseurs donnent des cours et des spectacles publiques et payants, les somnambules se font alors voyantes ou actrices de cirques de foire en exposant leur corps en catalepsie, totalement raidi entre deux chaises, ou en se brûlant et en se transperçant avec des aiguilles. La voyance est aussi un spectacle. Cette attraction suscite une réelle curiosité intellectuelle. Tarot et chiromancie sont les deux principaux supports des voyantes. Des traités sur la chiromancie sont rédigés vers 1840. La conviction que l’on peut lire sur des détails du corps les capacités intellectuelles et psychiques d’un être humain « s’objective » autour de différentes sciences qui naissent à cette époque : anthropologie, ethnologie et phrénologie. La chirognomonie, ou l’art de reconnaître les tendances de l’intelligence d’après les formes de la main parait recevable à certains savants crédules de l’époque. Chiromancie et astrologie se retrouvent parfois mêlées pour la dénomination des mains portant des traces de correspondance planétaire.
Au vingtième siècle, les frontières s’estompent entre voyance et astrologie qui deviennent intimement liées. Leurs supports de prédictions usent de l’ancien comme du moderne : tarot, boule de cristal, numérologie, chiromancie, graphologie et astrologie. C’est alors que la voyance s’introduit sans poser de problème dans les journaux de la presse hebdomadaire à grand tirage sous la forme de prédictions régulières et d’horoscopes. Bientôt l’astrologie trouve une place sociale importante et s’insère dans les nouveaux médias : la radio, la télévision puis internet. Elle renouvelle ses concepts et ses références en prenant appui sur la psychologie et la psychanalyse. Comme l’astrologie, la voyance n’est plus questionnée aujourd’hui, elle va de soi. Présente dans tous les médias, sa véracité est peu souvent interrogée et ce depuis des décennies. Le recours aux astres ou à la voyance est rassurant, directif, simple et subjectif, il permet de contourner les obstacles et d’éviter d’affronter les problèmes. C’est une alternative à toute réflexion critique.
Les Chaldéens sont probablement les premiers à avoir établi des horoscopes pour prédire l’avenir de l’homme. Cette astrologie gagne la Grèce. Les noms des planètes s’actualisent et se renouvellent en conservant leur liens religieux et anthropologiques : ceux de la mythologie grecque remplacent ceux des divinités chaldéennes. Cette pseudoscience se répand ensuite dans le monde gréco-romain. La mythologie devient ainsi une des composantes majeures dans laquelle prennent sens les propriétés astrales, qui demeurent jusqu’à nos jours. De religieuse et initiatique, l’astrologie devient alors profane et s’individualise. Elle s’intéresse au destin personnel.
Au Moyen Age, l’astrologie prend de l’ampleur avec l’arrivé de l’imprimerie qui permet la diffusion d’ouvrages savants. Les souverains d’alors font régulièrement appel à des astrologues pour les aider à déchiffrer les signes des temps. (NDLR : Il n’y a pas si longtemps François Mitterrand a consulté régulièrement l’astrologue Elisabeth Tessier et Leonid Brejnev suivait les conseils de la voyante Georgienne Djouna Davitchavili, dite «la Sorcière».)
Au seizième siècle, l’astrologie est soutenue par des « médecins » qui maintiennent l’idée de l’existence de liens intimes entre l’homme et l’univers. Ainsi, Michel de Nostredame, dit Nostradamus, médecin-astrologue, prophète et poète est une des figures les plus emblématique de cette tendance. A la Renaissance, le « médecin » devient un expert dans l’art de décrypter le message des corps et des astres. Il est celui qui sait élaborer un remède au moment où la figuration du ciel lui conférera son efficacité optimale. (NDLR : Il valait mieux être bien portant !)
Michel de Nostredame, dit Nostradamus (1503-1566).
Médecin et apothicaire français de la renaissance, il pratiqua l’astrologie comme tous ses confrères de l’époque. Il est connu pour ses prophéties qui sortent en éditions dès 1555.
L’astrologie, qui ne se distingue pas encore de l’astronomie, autorise un certain type de voyance, et adopte d’autres pratiques comme la chiromancie et la physiognomonie, qui apparaissent en occident dès le douzième siècle. C’est après les observations de Nicolas Copernic, affirmant une terre en mouvement de rotation sur elle-même et autour du soleil, que l’astrologie et l’astronomie commencent à se séparer irrémédiablement. Après 1660, l’astrologie ne sera plus pratiquée par des savants et de nouveaux types d’astrologues apparaissent : sorciers, devins et charlatans de toutes sortes exploitant financièrement le filon de la crédulité humaine.
La révolution scientifique du dix-septième siècle rompt radicalement, jusqu’à nos jours, les liens entre la science et l’astrologie. Sous Louis XIV cette dernière avait présenté des dérives vers des pratiques magiques voire criminelles. Ces adeptes de magie noire sont alors condamnés par ordre royal comme exploitants de la crédulité publique !
Au dix-huitième siècle, la voyance se transforme. Elle est immergée dans le courant ésotérique de l’illuminisme qui prend sa source dans la découverte du somnambulisme magnétique : un état de conscience modifié mise au jour en 1784 par le marquis de Puységur formé par le médecin autrichien Mesmer, inventeur du magnétisme animal. La voyance est ainsi ancrée dans la science et plongée dans l’occulte.
En 1843, le somnambulisme magnétique est renommé hypnose par le médecin anglais James Braid. Le malade endormi parle et dialogue avec son magnétiseur. Ce sommeil lucide est une formidable redécouverte. Il met au jour un état modifié de conscience que d’autres lieux et d’autres temps ont déjà connu sous les noms d’extase, de léthargie, de catalepsie ou de transe. Cet état de pré conscience pose la question de l’énergie fluidique qui s’accorde avec les découvertes simultanées de l’électricité et de son pouvoir. Une autre théorie est avancée, celle où le magnétisé lui-même transforme seul son état physiologique, le fameux effet placebo.
Hegel considère le somnambulisme comme une maladie de l’âme qui permet d’échapper au pouvoir de la conscience, et ainsi rend possible entre autre, de retrouver des voleurs, des meurtriers ou des cadavres à l’aide d’une sorte de seconde vue. Les succès thérapeutiques du somnambulisme seraient dorénavant démontrés par une pratique hospitalière, en particulier les bienfaits analgésiques et anesthésiques et la réduction de douleurs chroniques.
Vers les années 1840, avec le développement du libéralisme et de la science officielle, le somnambulisme est désavoué. Il faudra attendre la fin du vingtième siècle pour voir réapparaître un usage de ce que l’on appelle l’hypnose.
Né en France en 1857, le spiritisme est l’héritier du somnambulisme magnétique et du mouvement spiritualiste nord américain. En 1848, des esprits se seraient fait entendre à de très jeunes filles (les sœurs Fox), frappant des coups dans les murs d’une maison d’Hydesville et soulevant des pieds de tables. Bientôt un code alphabétique fut mis au point permettant de traduire les coups frappés en mots. Les deux sœurs et leur mère se donnèrent à voir et à entendre en privé puis en public après 1850.
Les formes de communication avec les esprits évoluèrent rapidement. Bientôt les médiums usèrent, sur les conseils des esprits, de tables et de guéridons dont les pieds bougeaient et frappaient le sol. Ces tables ne se mettaient en mouvement que si le médium du groupe réunissait et formait avec les autres personnes une chaîne de mains au dessus du meuble.
L’écriture automatique fait également son apparition. Les somnambules magnétiques ou médiums, placent un crayon dans leur main et attendent que l’esprit en dispose.
Une sorcière du XXème siècle, mise en scène par Tod Browning en 1925 dans le film The mystic.
Avec l’invention de la photographie, c’est tout un pan de l’invisible qui devient observable. Les conditions techniques de l’apparition de l’image sur le daguerréotype (1838) puis sur le papier (Nicéphore Niepce) sont déconcertantes en raison de leur nouveauté. Ainsi, cela crée un bouleversement dans la façon de voir les choses. Le regard est réorienté vers un ailleurs. La chambre noire devient le lieu d’apparition de l’image avant qu’elle ne soit celui de la venue des esprits, des ectoplasmes et des fantômes.
La photographie spectrale est inventée en 1860 aux Etats-Unis puis en Europe (Angleterre et France). L’appareil photo est ainsi employé dans le but de capturer l’invisible. Les trucages des plaques photographiques sont connus mais les photos floues, celles sur et sous exposées font tout de même apparaître d’étranges réalités sur le papier. Parallèlement à la photo psychique apparaît une nouvelle pratique chez les spirites, celle du cabinet noir : une véritable mise en scène théâtrale avec rideau, éclairage, et acteurs. Un coin d’une pièce est fermé par des rideaux noirs, créant un espace isolé des regards où se place le médium. Ce lieu permet la matérialisation des pseudos esprits, comme la chambre noire est nécessaire à la photographie. Les médiums produisent par la bouche, le nez, le nombril des ectoplasmes, des morceaux de corps qui sont à leur tour photographiés pour apporter la preuve de leur existence.
William H. Mumler (1832-1884).
Vers 1850, on relate l’apparition inexpliquée sur des photos, de figures translucides de personnes décédées. C’est avec Mumler photographe américain qu’apparut la première photo spirite en 1861.
Arrivées en Europe puis en France, les tables tournantes furent à l’origine du spiritisme, une nouvelle religion « pseudo scientifique » dont le grand prêtre est Allan Kardec. Celui-ci publie en 1857, « le livre des esprits » qu’il prétend avoir rédigé sous la dictée d’esprits extra-terrestres.
Aux questions philosophiques, religieuses, morales et scientifiques, le spiritisme propose des réponses précises d’une grande simplicité et d’une logique apparente. Il suffit d’accepter le postulat de la réincarnation et sa conséquence : l’existence d’esprits. Le spiritisme se présente comme une révélation divine. Les médiums sont majoritairement des femmes qui deviennent alors des consolatrices qui atténuent la solitude et la souffrance.
Édouard Isidore Buguet (1840-1901). Ce photographe spirite français démontre en 1875 un phénomène télékinésique appelé effet fluidique.
Au début du vingtième siècle, le spiritisme laisse place à une nouvelle science appelée métapsychique, qui explore l’ensemble des phénomènes mécaniques ou psychologiques dus à des forces qui semblent intelligentes, ou à des puissances inconnues. Trois grands phénomènes sont ainsi étudiés : l’ectoplasmie, la cryptesthésie et la télékinésie. C’est ainsi que la croyance d’un sixième sens serait née.
A lire :
– Histoire de la voyance et du paranormal, du XVIIIème siècle à nos jours de Nicole Edelman. Editions du Seuil (2006).
– Phénomènes psychiques.
– Les révélations d’un magnétiseur.
– Prestidigitateurs et parapsychologie.
– Les médiums sont-ils des prestidigitateurs ?
– Télépathie.
– Cinéma et hypnose.
– Le médium spirite.
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