Mesdames et messieurs, c’est l’heure de la plaidoirie et du jugement pour un ancien « repris de justice » espagnol nommé Hector Mancha. Enfant, il volait des sacs sur les plages des îles Canaries d’où il est originaire. Féru de jeux vidéo, il les subtilisait dans les magasins et les entassait chez lui, jusqu’au jour où son père lui demanda ou il avait eu tous ces jeux. Sa « cleptomanie volontaire » et compulsive s’arrêta nette. Il décida alors d’utiliser sa maîtrise du vol à la tire exclusivement de façon honnête sur scène et en représentation pour divertir les gens et ne plus les prendre pour des pigeons.
Les jurés installés dans la salle du tribunal sont plutôt dubitatifs et demandent quand même à voir les techniques et les astuces misent en œuvre par ce drôle de personnage facétieux à la gueule de cartoon, pointure (dans les deux sens du terme) de la magie mondiale, champion du monde FISM en 2015 avec un numéro virtuose de manipulation.
Pringles
Pour introduire l’art de « détrousser » ses semblables de façon honnête, Hector Mancha propose une routine prétexte qui s’appuie sur le grand principe du pickpocketisme : le détournement de l’attention (misdirection).
Muni d’une boîte de chips apéritif Pringles, il va effectuer une hilarante adaptation des boulettes de Slydini. Il fait asseoir une spectatrice sur une chaise disposée sur le promontoire du tribunal et lui demande d’ouvrir la boîte de chips. Le magicien se propose de faire disparaître une chips dans sa main en réalisant un faux dépôt et en écrasant au-dessus de sa main la chips empalmée pour produite des « miettes magiques » qui font disparaître la première chips ! Il y a également une irrésistible « disparition à la bouche » de la spectatrice sous couvert des énormes mains du magicien. Après ces passes gag, Hector Mancha réalise de vraies passes magiques pour faire disparaître une demi-douzaine de chips un à une. Il utilise le fameux « geste au lancé » des boulettes ainsi que différentes techniques empruntées à la manipulation des pièces comme la révélation sur l’épaule ou l’apparition dans la main du spectateur. Des techniques classiques que l’on retrouve dans le Traité de la prestidigitation des pièces, la bible écrite par J.B. Bobo. Pour le grand final, c’est la spectatrice qui va faire disparaître le reste des chips restant dans la boîte… en secouant frénétiquement le tout, aidé du magicien, ce qui a pour conséquence de déverser une flopée de chips par terre, et voilà !
Une fois la séquence comique terminée, le magicien, mué en pickpocket, rend la montre de la spectatrice qui lui avait subtilisé lors de la routine, sans que celle-ci ne s’en aperçoive.
La montre
Mancha continue sur sa lancée et demande à un jeune homme de monter sur scène. Ce dernier sait très bien que le pickpocket va essayer de lui voler sa montre et est très méfiant. C’est bien le but du magicien : montrer aux spectateurs que même si la victime est avertie, cela n’empêche pas de la voler !
Mancha va pour cela appliquer le principe de la misdirection en proposant au volontaire de faire disparaître une pièce et de focaliser toute son attention sur cette pièce. Il réalise une disparition classique en main et la pièce réapparaît dans son pli de pantalon, puis dans son poing. Il se propose de faire disparaître cette même pièce dans la main même du jeune homme. L’ opération est répétée plusieurs fois car l’effet n’est pas au rendez-vous. Ce n’est pas grave puisque le magicien a obtenu ce qu’il voulait : la montre de sa victime à son insu !
Hector Mancha démontre avec brio que même sur le qui-vive le cerveau peut être trompé car il ne peut pas se concentrer sur plusieurs actions en même temps. L’illusionniste a très bien conditionné sa victime en lui touchant plusieurs fois son poignet pour l’habituer à la normalité de la chose, justifié par le fait de faire disparaître une pièce. N’étant pas à une montre près, il s’offre même le luxe de voler son téléphone portable plusieurs fois de suite.
Les techniques des « vrais » pickpockets
Hector Mancha propose maintenant de détailler quelques techniques employées par les pickpockets comme « le jeu de foot », « la tâche sur l’épaule », « la bousculade » (escalator, métro et mouvements de foule), « La carte géographique », « le journal » (utilisés comme couverture et écran), la veste sur le dos de la chaise… Par contre, il ne détaillera pas les deux mouvements basiques à maîtriser pour saisir les objets volés, à savoir la pince et la fourche.
Le billet
Trois personnes sont invitées sur le promontoire. Le magicien sort un billet de 50€ d’une petite bourse et le fait signer. Ce dernier est placé dans un foulard à clochettes qui est disposé dans l’avant du pantalon d’une des trois personnes dans une position cocasse et comique. Le porte-monnaie est montré vide et confié à une autre personne.
La personne avec son foulard dans la culotte, gardien du billet signé, est ensuite la victime du pickpocket qui lui vole tour à tour, portefeuille, téléphone portable, clés, lunettes, ceinture… avec la complicité des deux autres spectateurs qui récupèrent certains biens, tous rendus à la fin.
Pour terminer la routine, la victime est invitée à secouer son foulard et ses « grelots », puis le magicien extrait d’un coup le tissu pour montrer la disparition du billet qui se retrouve dans le porte-monnaie.
Le mode opératoire des « vrais » pickpockets
Etre pickpocket, c’est être un voleur. Et comme il n’opère jamais seul, cela constitue une circonstance aggravante car il y a association de malfaiteurs. Les techniques employées par ces vilains sont très différentes de celles utilisées par les pickpockets de spectacle et font souvent appel à des accessoires sophistiqués.
Les « vrais » pickpockets investissent les endroits où il y a foule : métro, bus, champs de courses, fêtes foraines, foires, grands magasins, expositions, concerts et grandes manifestations publiques sont des lieux de prédilection des voleurs à la tire. Ces regroupements de personnes favorisent les bousculades et les attouchements involontaires et offrent un terrain de jeu idéal à ces vilains escrocs, qui plus ils sont noyés dans la foule, plus ils passent inaperçus.
Les « victimes » sont tellement concentrées et préoccupées par tous ce qu’elles voient et entendent, que l’esprit « efface la sensation de la main qui les vole ». Le cerveau ne peut avoir qu’un seul centre d’intérêt à la fois et l’esprit enregistre la sensation la plus forte entre deux sollicitations.
Le pickpocket travaille rarement seul et est entouré de barons, des complices qui vont lui permettre de passer presque inaperçu. Une bande très organisée, généralement composée d’un trio. Les vilains lascars opèrent en trois étapes dont chacun est le garant. Le premier détourne ou oriente l’attention de la future « victime », le deuxième le dépouille de ses biens et le troisième emporte le butin loin, très loin de la pauvre « victime ». Même si la malheureuse s’aperçoit du vol, il est déjà trop tard car le troisième compère est hors de vue et d’atteinte.
Le chef de brigade (celui qui vole) peut aussi désigner un barreur (celui qui repère la victime), un bloqueur (celui qui ralentit la victime), un bouclier (celui qui bloque la victime) ou un caleur (celui qui conditionne la victime aux « attouchements »).
Les objets volés
Les biens les plus volés dans la rue sont évidemment les portefeuilles, les portes monnaies, les montres, les téléphones portables, les trousseaux de clés, les lunettes, les sacs, les objectifs d’appareils photos…
En pickpocket de spectacle, l’artiste étend ses « prises » à d’autres objets de moindre valeur comme les cravates, les nœuds papillon, les ceintures, les bretelles, les briquets, les paquets de cigarettes, les agendas, les stylos, voir même les chemises ! Certains vont même jusqu’à utiliser des objets supplémentaires leur appartenant, lors de la célèbre séquence du « déballage » où le pickpocket incognito, après avoir volé des objets au début du numéro, les déballe devant le public avant de lui rendre.
Concernant les bijoux, il est quasiment impossible de les subtiliser sans que la victime ne s’en aperçoive, sauf pour certains colliers et bracelets. Certains pickpockets attendent que leur victime soit saoule ou utilise une bombe narcotique pour les droguer (ou du savon liquide) et leur voler leurs bagues.
Ombromanie
Pour finir sur une touche plus poétique, Hector Mancha propose au public une séance d’ombromanie accompagnée d’un télescope astronomique miniature projetant un halo de lumière sur le mur. Il enchaine une vingtaine de figures classiques du répertoire d’ombres chinoises comme, le chien, le lapin, le cygne, l’oiseau, l’éléphant. Mais aussi des personnages et célébrités comme Louis Armstrong chantant La vie en rose, une reprise d’Edith Piaf.
Conclusion
Encore une belle idée concoctée par l’équipe du Festival International de Magie orchestrée par Gérard Souchet. Cette conférence-spectacle sur le pickpocketisme à l’intention du public profane mais aussi plus averti est un vrai moment d’amusement et d’enseignement sur un sujet très peu traité et réservé à un cercle encore plus fermé que celui des illusionnistes (le pickpocket étant un art annexe) car se transmettant essentiellement de façon « orale ». Il n’existe pas d’« école » de pickpocketisme et il faut apprendre sur le tas, souvent à la limite de la légalité ou grâce aux rares manuelles sur le sujet.
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