Houdini est sans aucune contestation possible le nom le plus célèbre de l’histoire de la magie. Arrêtez un homme dans la rue et demandez-lui le nom d’un magicien ; il donnera sans aucun doute celui d’Houdini. Pourtant ce n’était pas pour ses talents de magicien qu’Houdini était surtout connu, mais plutôt comme un génie de l’évasion.
Comme magicien il n’égalait sûrement pas beaucoup de ses contemporains. En tant que « plus grand homme de scène qu’aucune machine ou aucun homme n’arrêtait », il n’avait pas son pareil. « Jouer à Houdini » est immédiatement compris comme se sortir d’une situation difficile et le verbe anglais to houdinize (s’échapper) complètement intégré dans le vocabulaire courant, a trouvé sa place dans le dictionnaire Webster. L’auteur dramaturge et essayiste George Bernard Shaw dit un jour que les trois plus grands hommes (réels ou imaginaires) étaient Jésus-Christ, Sherlock Holmes et Houdini !
Houdini adolescent.
On pense qu’Harry Houdini naquit sous le nom d’Erich Weiss à Budapest — bien qu’il ait affirmé plus tard qu’il était né à Appleton dans le Wisconsin, fait encore discuté par les historiens. Son père était un rabbin aux revenus assez restreints et, quand Erich eut douze ans, il partit de chez lui en espérant gagner de l’argent pour aider sa famille.
Ses années d’escapade ne furent pas longues et on pense qu’il rejoignit son père à New York où ils travaillèrent afin de faire venir le reste de la famille Weiss demeuré dans l’Est.
Erich passait tout son temps libre à améliorer ses possibilités physiques. Petit mais musclé, il commença dans sa jeunesse à nager, à courir, et à faire quotidiennement des exercices de musculation. A cette époque-là son héros était le grand magicien français, Robert-Houdin et à dix-sept ans il lui emprunta son nom en y ajoutant un « i » (Harry étant un dérivé de « Ehrie », surnom qu’on lui donnait quand il était petit).
Le nouveau magicien Harry Houdini et un de ses amis commencèrent à donner leur petit spectacle dans les maisons de la bière et les clubs de rencontres. Quand son ami le quitta, Houdini appela son plus jeune frère, Théodore, et sous le nom des « Frères Houdini » ils firent leur chemin, des musées à un sou et des spectacles périphériques jusqu’au Chicago World’s Fair en 1893.
A vingt ans, Harry rencontra et épousa Wilhelmina Beatrice Rahner — connue sous le nom de Bess — et ensemble ils jouèrent dans des cirques et de petites troupes, faisant des numéros de magie et de transmission de pensée. Leur vie n’était ni facile ni très lucrative, mais ils étaient jeunes et survécurent, produisant même un spectacle burlesque.
Le spectacle s’arrêta, mais tant qu’il marchait, Houdini lui faisait de la publicité en se débarrassant de ses menottes dans les postes de police locaux. L’été suivant il ajouta au spectacle un numéro dans lequel il s’échappait d’une camisole. Ce fut un désastre. Il sortait de la camisole derrière un rideau et le public, pas du tout convaincu, supposa simplement qu’il se faisait aider par un assistant.
Métamorphosis (1895)
Quand il était jeune, Houdini se présentait comme un manipulateur de cartes mais il travaillait déjà sur ce qui devait faire sa réputation plus tard. Dans un numéro déjà existant, il avait les mains attachées dans le dos (son idée), et on l’enfermait dans un sac à l’intérieur d’une malle cadenassée. Houdini se libérait mystérieusement et réapparaissait. On voyait alors que la malle, toujours fermée, contenait son frère Théo, bien enfermé dans le sac, les poignets attachés dans le dos.
A peu près à la même époque, Houdini commença à se passionner pour les menottes et les verrous, passant des heures à chercher le meilleur moyen de déjouer leurs mécanismes. Quand lui et sa femme Bess présentèrent ce numéro, ils l’appelèrent Métamorphosis, les menottes aux mains, comme avec Théo, Harry échangeait sa place contre celle de Béatrice, reine du mystère, dans les trois secondes. On faisait venir sur scène deux personnes de l’assistance pour contrôler la malle dans laquelle Houdini était enfermé, attaché et dans un sac. Bess restait à côté de la malle, tenant un drap. Après avoir compté jusqu’à trois, elle disparaissait face au public et Houdini apparaissait à sa place — libéré. On ouvrait alors la malle et on trouvait Bess à l’intérieur, dans le sac toujours noué, les mains attachées comme l’était Houdini.
Ce numéro, appelé ici « le Plus Grand Mystère de la malle jamais vu au monde » et plus connu sous le nom de La malle des indes, est encore populaire de nos jours et est devenu un classique de la magie de scène.
Une nouvelle carrière
Un soir à Omaha, Houdini fit grande impression sur Martin Beck, imprésario des théâtres Orpheum. Pouvait-il se libérer de ses menottes ? Bien sûr, je le peux, disait Houdini, et ils allèrent dans une tour située en pleine campagne ; là il s’échappa des menottes, des fers, des cellules, des camisoles et de tout ce que la police avait pu inventer.
Depuis ce jour sa situation s’améliora de façon sensible. En juillet 1900 il démarra à Londres à une cadence effrayante, puis ce fut sur le continent où il eut tant de demandes qu’il ne put y faire face et dut demander à son frère Théo de lui servir de second assistant (sous le nom de Hardeen).
Des années plus tard, les publics furent subjugués par quatre-vingt-dix minutes de spectacle pendant lequel Houdini se contorsionnait pour sortir de coffres cadenassés et pleins d’eau, de costumes de plongée en eaux profondes, et même d’une baleine morte.
Dans les théâtres où Houdini brillait de tous ses feux, les salles étaient pleines et les foules se bousculaient chaque fois qu’il réussissait une évasion. Les plus frappantes étaient d’une part celle où il était attaché par des menottes et des chaînes et enfermé dans un coffre plein d’eau, et d’autre part celle où il restait suspendu au-dessus de la rue du haut d’un immeuble de plusieurs étages, prisonnier d’une camisole de force : « Le premier être humain capable de se libérer d’une camisole de force semblable à celles qu’on met aux fous meurtriers. »
Ehrenerklärung, Cologne (1902)
Houdini relevait tous les défis. Quand un policier allemand l’inculpa parce qu’il avait dit qu’il pouvait échapper à toutes les chaînes de la police, l’escapologiste engagea un procès et gagna ! Il fit immédiatement imprimer une nouvelle lithographie le représentant enchaîné devant la Cour allemande à Cologne.
Le texte annonçait : « Au nom du roi Guillaume II, Kaiser d’Allemagne ». Et il continuait en disant que « la police perdit le procès dans les trois plus hautes cours, car elle était incapable de retenir ou d’enchaîner Houdini de manière qu’il ne puisse s’échapper. Il réussit même à ouvrir un verrou qu’ils avaient fait construire de telle sorte qu’une fois fermé on ne puisse plus jamais l’ouvrir » ! Non seulement Houdini fit une « apologie honorable » mais apparemment la police dut « payer tous les frais des procès ». N’étant pas satisfait de son exploit — et de la publicité qu’il en retirait — à Cologne, il refit la même chose à Amsterdam quelques mois plus tard…
Prison d’Amsterdam (1903)
N’étant pas homme à perdre une occasion de se faire de la publicité, Houdini était toujours prêt à établir un nouveau record d’escapologie afin d’améliorer son image de marque. En janvier 1903, alors qu’il était à l’affiche du Rembrandt Theatre à Amsterdam, il convainquit les personnalités de la ville de le mettre en prison, comme il l’avait déjà fait au paravent.
Pourquoi les autorités civiles étaient-elles si désireuses de collaborer avec un artiste à la recherche de publicité, c’est une question qui serait intéressante à débattre ! Naturellement Houdini se libéra et les foules se pressèrent encore plus nombreuses aux portes du théâtre.
Houdini connaissait nombre de méthodes pour s’échapper. En général on lui permettait d’examiner la cellule à l’avance pour vérifier, par exemple, si le verrou était en bon état de marche. Une fois, il eut la clé en main et il ne lui fut alors pas difficile de prendre son empreinte dans un morceau de cire. Parfois il avait un complice qui lui passait la clé, pour laquelle il connaissait de nombreuses cachettes possibles, y compris un faux talon à ses chaussures — qui avaient pourtant été examinées — et qu’on lui laissait souvent porter à cause du froid qui régnait dans la cellule. Il trouva parfois le moyen de cacher un double de la clé dans la cellule elle-même, et on raconte qu’un jour il prit la clé de la bouche de Bess qui lui donnait un baiser d’encouragement passionné à travers les barreaux !
Russie
En 1903, Houdini défia la police secrète russe de l’enfermer dans un fourgon cellulaire. Démuni, surveillé, menottes aux mains et enfermé dans le fourgon, il en ressortit en vingt minutes, libre comme l’air.
Etats-Unis
Houdini ne laissa jamais ces grands moments se perdre, des affiches, des tracts et des interviews dans les journaux témoignèrent de toute sa carrière. A son retour aux Etats-Unis, en 1906, il convainquit les autorités de l’enfermer nu dans une cellule à l’étage des meurtriers dans la United States Jail de Washington. En vingt-sept minutes, non seulement il sortit de sa cellule mais il ouvrit les autres, réinstalla les prisonniers, les enferma de nouveau, s’habilla et sortit.
Challenge
Houdini passait autant de temps à soigner son image de marque qu’à s’échapper. Quand un artiste d’évasion, faisant partie du cirque Sidoli, un certain Engelberto Kleppini, affirma avoir gagné un concours de menottes avec Houdini, ce dernier, sous un déguisement, assista au numéro de Kleppini, bondit sur scène et le défia. Kleppini accepta (de mauvaise grâce) qu’on lui mette les menottes françaises d’Houdini après que son imprésario lui eut dit que les cadenas s’ouvriraient s’il composait le mot « clés » — secret que l’impresario croyait avoir arraché à Houdini. Celui-ci avait bien sûr changé la combinaison et Kleppini n’admit sa défaite que longtemps après.
« Rien sur cette terre ne peut retenir Houdini prisonnier »
Un des signes indiquant qu’un artiste de théâtre ou de music-hall était devenu une tête d’affiche était que ses lithographies ne spécifiaient pas la nature de son talent. On ne disait plus Houdini, le génie de l’escapade, ou Houdini, le magicien mais, simplement, Harry Houdini. Les autres magiciens qui atteignirent ce stade furent Herrmann et Kellar.
Houdini venait de remporter de grands succès en Angleterre, en Europe et en Australie (pays où non seulement il remplit ses engagements avec bonheur, mais où, en plus, il fut le premier à voler en avion sur un biplan Voisin, le 1er mars 1910). Il était rentré aux Etats-Unis et remplissait les salles de spectacles. Pendant toute une année il fit des tournées dans les théâtres de variétés comme vedette, relevant les défis de se libérer de ses menottes ou de sortir de coffres pleins d’eau (souvent plongés au fond d’une rivière) et autres épreuves curieuses.
Houdini paraissait parfaitement sûr de lui, à son apogée. Un homme qui a réussi en tout et n’a pas de rival. Un homme qui peut arriver à tout ! Les affiches d’Houdini reflétaient son assurance, son égocentrisme qui touchait parfois à l’arrogance et, surtout, son très grand sens du drame.
The Chinese Water Torture Cell (1914)
Quand Houdini, à la fin de l’année 1912, à l’âge de trente-huit ans, revint en Europe après une tournée aux Etats-Unis pleine de succès, il ajouta à son spectacle l’évasion la plus extraordinaire expérience de sa carrière. Il présenta la Pagode chinoise pour la première fois au cirque Busch en Allemagne.
On remplissait d’eau un coffre de bois aux arêtes de métal — dûment examiné — qui avait un devant en verre. On mettait à l’intérieur une cage de métal. L’artiste, les chevilles enchâssées dans une plaque de métal, était descendu la tête en bas à l’intérieur de la cage. Le haut était verrouillé et un rideau était tiré tout autour du coffre. Des assistants se tenaient aux quatre coins (en cas d’urgence) et l’orchestre jouait un hymne incantatoire. Deux minutes plus tard, les membres de l’assistance, alors suspendus au bord de leurs sièges, étaient soulagés de voir l’artiste ruisselant sortir du rideau.
Pour le reste de sa vie, cette pièce mythique allait faire partie du répertoire d’Houdini. Il existe au moins deux exemplaires de pagodes, l’un appartenant au magicien et collectionneur Ab Dixon, à Atlanta, en Georgie, et l’autre, appartenant à l’artiste et collectionneur Sydney Radder.
Le film Houdini, réalisé par George Marshall en 1953 et interprété par Tony Curtis, montrait Houdini noyé pendant qu’il faisait ce fameux numéro. Ce n’est évidemment pas la réalité des faits. Le 26 décembre 1975 le grand Doug Henning réalisa ce numéro dans une rivière pour la chaîne NBC à Hollywood.
Vanishing Elephant
Si la réputation d’Houdini a d’abord été fondée sur ses talents d’évasion, il eut toujours l’esprit de compétition pour tout et pour cette raison il s’exerça à la magie, présentant des numéros de haute volée comme la Disparition de l’éléphant avec la complicité de Charles Morritt en 1918 (sur la scène de l’Hippodrome de New York).
Cinéma
De 1919 à 1923, Houdini fut acteur de cinéma dans des films très moyens comme The grim game, ou The master mystery. Pour un feuilleton : Terror Island ; produit par sa propre société, la Houdini Picture Corporation. Ou encore The man from beyond et Haldane of the secret service.
Anti-Spirits
Houdini dénonça les « médiums », charlatans prospères qui faisaient croire à leurs adeptes qu’ils communiquaient avec leurs chers disparus. Sir Arthur Conan Doyle, créateur du plus rationnel des personnages de fiction, Sherlock Holmes, était profondément convaincu de l’authenticité du spiritualisme et des pouvoirs occultes des médiums et ce fut grâce à son amitié avec lui qu’Houdini put être confronté à ce monde-là, et tout de suite intimement persuadé que c’était de la charlatanerie.
Les images des « esprits » et autres photos spirites n’étaient que des photographies truquées, les messages des morts, des effets sonores, et le tintement des cloches et le vol des tambourins faciles à réaliser pour quiconque savait manipuler dans le noir. Houdini faisait partie du comité de recherche pour le Scientific American, quand ce journal offrit 2500 dollars à quiconque pourrait, sous contrôle, produire des phénomènes psychiques ou la photographie d’un esprit. Des médiums aussi connus que Margery (Mina Crandon) ne se relevèrent pas de cette épreuve et personne ne reçut la récompense.
La révélation des procédés spirites était au centre du spectacle d’Houdini en 1925, qui comportait trois parties distinctes. Dans la première partie, le magicien présentait des pièces mécaniques comme Le coffre transparent de Robert-Houdin et deux illusions à miroirs de Charles Morritt. Dans la deuxième partie, l’escapologiste présentait ses évasions dont sa fameuse Water Torture Cell. Dans la troisième partie, l’anti-spirite débinait les pratiques frauduleuses des médiums dans une conférence-spectacle marquante.
Une mort tragique
Le 22 octobre 1926, alors qu’il se produisait à Montréal, Houdini reçut un coup de poing dans le ventre d’un étudiant qui avait demandé au magicien s’il savait recevoir des coups sans avoir mal. Houdini répondit que oui, mais avant qu’il ait pu bander ses muscles, le garçon frappa. Un peu plus d’une semaine après, le grand Houdini mourut. Les médecins n’avaient pu arrêter la péritonite qui avait suivi la rupture de l’appendice causée par le choc.
C’était le 31 octobre – jour de la Toussaint – qui est depuis devenu La Journée nationale de la magie aux Etats-Unis. A son enterrement des milliers de personnes vinrent le pleurer et chaque année à cette date les magiciens se retrouvent sur sa tombe et donnent des représentations dans le domicile qu’il occupait de son vivant, suivant la promesse qu’il avait faite de communiquer avec eux après sa mort si la chose s’avérait possible. S’il y avait eu un moyen, Houdini l’aurait trouvé, étant donné qu’il aimait lancer des défis, obtenir vengeance était d’un égoïsme suprême.
A lire :
– HOUDINI, l’interview Extrait de L’Illusionniste, Vol 4, de Juin 1905.
– La face cachée d’Houdini.
– Harry HOUDINI, Le Roi des Menottes.
– Houdini, Le Maître du Mystère.
Bibliographie de Harry Houdini :
– The Right Way to Do Wrong (1906). Manuel du malfaiteur, Réédition et traduction en français chez Fantaisium (2019).
– Handcuff Secrets (1909)
– The Unmasking of Robert-Houdin (1908)
– Magical Rope Ties and Escapes (1920). Manuel des noeuds magiques, Réédition et traduction en français chez Fantaisium (2019).
– Miracle Mongers and their Methods (1920)
– Houdini’s Paper Magic (1922)
– A Magician Among the Spirits (1924). Un magicien chez les médium, Réédition et traduction en français chez Fantaisium (2019).
– Imprisoned with the Pharaohs / Under the Pyramids (1924) écrit avec Howard Phillips Lovecraft.
Cet article a été publié pour la première fois dans le MAGICUS magazine n°199 (mars-avril mai-juin 2016). Crédits photos – Documents – Copyrights : S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.