Vous avez eu une carrière professionnelle hors norme. Pouvez-vous nous parler de votre enfance, de votre première rencontre avec la magie, et des rencontres qui ont été décisives et qui ont marqué votre vie ?
Je suis né, dans le vieux Nice, le 28 avril 1943. J’ai, ensuite, suivi mes parents qui ont déménagé à Paris quand j’avais cinq ans. Ma première rencontre avec la magie a eu lieu à l’âge de douze ans. À l’époque, entre la Porte de Clignancourt et la Porte de Saint-Ouen, il y avait une allée composée d’une vingtaine de camelots de toutes sortes. Trois d’entre eux vendaient des accessoires de magie et le plus connu se faisait appeler le Professeur Marcel. C’est à lui que j’ai acheté mes premiers tours de magie. Je lui ai pris une raquette avec une pièce de monnaie qui apparaissait et se dédoublait et un jeu de cartes truquées (jeu radio). Il présentait des tours avec des dés à coudre qui apparaissaient et disparaissaient, comme par enchantement de ses doigts. Ça me captivait ! Je lui ai alors acheté un booklet (petit livret de magie) qu’il vendait pour apprendre à refaire ce tour. Quelle ne fut pas ma déception en ouvrant le fascicule. Il y avait deux dessins dedans, un avec une main présentant un dé sur un doigt et un autre où il avait disparu. Impossible de comprendre comment la disparition se faisait. J’étais très déçu. Vingt-quatre ans plus tard, en 1979, j’ai pris ma revanche en publiant, aux éditions Techniques du Spectacle, un livre exclusivement consacré à la magie des dés et où j’ai inventé une vingtaine de manipulations. Les dessins, signés du très talentueux James Hodges, rendaient justice à cette discipline et permettaient enfin de bien comprendre les manipulations magiques des dés à coudre.
Vers l’âge de quinze ans, pour me faire un peu d’argent je peignais des tableaux. J’étais partagé entre magie et peinture jusqu’au jour où, à Montmartre, un touriste canadien m’acheta les dix tableaux que je possédais. Il m’a payé en dollars canadiens. En me rendant à la banque, le lendemain, le banquier m’expliqua que ces billets ne valaient rien car ils étaient périmés. Ça a mis un coup d’arrêt total à ma carrière de peintre.
Je décidais alors de me concentrer sur la magie. À l’âge de seize ans, je passais mon examen pour rentrer à l’Association Française des Artistes Prestidigitateurs (AFAP). À cette époque, le président de la FAP était le Dr Jules Dhotel, qui m’a pris sous son aile, et, en échange d’un service de secrétariat, m’apprenait des tours de magie, le jeudi soir, en sortant de l’École normale des instituteurs de Paris. Je me souviens encore de sa femme qui n’était pas contente et le rappelait souvent à l’ordre pour qu’il s’occupe de ses patients, et lui, qui, discrètement, me montrait des tours de magie. Il m’a beaucoup marqué.
L’été, je passais dans des cabarets et restaurants sur la Côte d’Azur. C’est là que j’ai fait la connaissance de Fernand Raynaud et d’Eddie Barclay. Peu de gens le savent mais Fernand Raynaud pratiquait la magie des cartes. De retour sur Paris, j’ai recontacté Eddie Barclay. Il est devenu mon mentor, comme un père pour moi. C’est lui qui m’a donné envie de devenir artiste. J’ai ensuite rencontré Bruno Coquatrix, au cabaret La Tête de l’Art, qui était directeur général de l’Olympia de Paris. Il m’inclut dans la grande « Tournée Mondiale du Music-Hall de France » qui comprenait quatre-vingt-douze artistes. Nous avons parcouru de nombreux pays européens, l’Allemagne, l’URSS, la république Tchèque… Ce fût une expérience inestimable pour moi. C’est à ce moment que j’ai rencontré Fred Roby, un des meilleurs ventriloques au monde, capable de faire chanter sa poupée Coralie tout en jouant de l’harmonica, en buvant ou en fumant en même temps. Il m’a appris beaucoup de chose sur le rythme et la valeur des silences.
C’est pendant la « Tournée Mondiale du Music-Hall de France » que j’ai eu l’idée de l’émission Y’a un truc. Mais, j’ai, au départ, eu du mal à convaincre les chaînes de télévision. Il faudra attendre deux à trois ans pour que le projet se concrétise. Je décide alors d’arrêter mes études à l’institut de psychologie de la Sorbonne pour me consacrer pleinement à la magie. Je pars pour l’URSS.
De retour en France, en 1975, Armand Jammot, directeur des programmes d’Antenne 2, me fait enfin confiance. L’émission Y’a un truc est diffusée du lundi au samedi à une heure de grande écoute, à 19h45, juste avant le journal de 20h. Le principe de l’émission est simple, je présentais une expérience de « physique amusante ». Les candidats pouvaient alors poser une question et proposer une solution. C’est, de suite, un grand succès ! Durant une année, l’émission draine 40 % d’audience, et à la fin de la première année on recense 1 550 000 lettres de spectateurs enthousiastes, de toutes provenances, de tous âges, de toutes conditions. J’ai depuis reçu une trentaine de lettres de magiciens professionnels qui me remerciaient car c’est cette émission qui leur avait donné l’envie de faire de l’art magique leur vie. Comme une médaille a toujours un revers, je me suis attiré quelques jalousies, un ou deux magiciens, qui, par ignorance, surement, ne trouvaient rien d’autre à dire que je dévoilais des « secrets magiques » alors qu’il s’agissait juste d’expériences de « physique amusante ».
J’ai ensuite fait quinze ans de télévision avec des émissions qui ont remporté un gros succès comme Passe-passe le dimanche après-midi, Abracadabra, Magie-surprise avec pour la première fois des caméras cachées magiques, La Caverne d’Abracadabra, Magic-Hall, le Club Dorothée, Magic Club, ou encore Magie-Majax où le 25 décembre 1981 des vedettes du show-bizz présentaient des grandes illusions sur le thème de Noël. Armand Jammot m’a beaucoup appris sur la magie à la télévision. Il m’avait notamment expliqué que le close-up à la télévision était bien à condition de « rentrer dans le salon des téléspectateurs » pour qu’ils aient l’impression que les numéros sont faits pour eux.
Tout au long de votre carrière, vous avez édité une vingtaine de livres. Parlez-nous du premier livre que vous avez édité et de votre collaboration avec James Hodges.
Il s’agit des Allumettes Magiques, un livre en forme de boite d’allumettes paru en 1967. J’avais rencontré, dans un cercle magique, André Mayette qui tenait la boutique Mayette Magie Moderne. C’était un des seuls marchands de trucs qui possédait, dans son magasin, un atelier de création de tours. Il maitrisait ainsi parfaitement son art. Je lui avais parlé des choses que je faisais avec des allumettes et il me proposa d’en faire un livre. Il me présenta James Hodges, un formidable chorégraphe, dompteur, metteur en scène, ventriloque et surtout dessinateur. Ensemble, on travailla sur ce livre et sur plusieurs autres. Il m’accompagna aussi dans des émissions de télévision comme La Caverne d’Abracadabra aux côtés de Gaëtan Bloom qui jouait le rôle d’un chinois toujours un peu fou. James Hodges, lui, animait des marionnettes toujours qui se plaignaient parfois de leur sort. Il effectuait, de sa plume, des dessins, qui ne se révélaient qu’en les retournant.
Ont poursuivi l’aventure lors d’une comédie musicale Carré Magique, avec James Hodges, Gaëtan Bloom et Annine chez Silvia Montfort directrice du théâtre où on jouait et à l’initiative de ce projet. Le décorateur était Pierre Simonini et le costumier Roberto Roselo, très réputés à l’époque. Silvia a toujours été de bon conseil pour moi, notamment sur les émissions que j’ai présentées.
Toutes votre vie, vous vous êtes battus contre les charlatans, les escrocs. D’où vous vient cette pugnacité ?
J’ai toujours lutté contre les escrocs. Cette vocation doit venir de ma formation en psychologie. Certains font croire qu’ils peuvent faire des guérisons à distance en utilisant des techniques de mentalisme ou qu’ils ont des pouvoirs surnaturels. J’ai toujours mené des croisades contre ces gens-là. Ce fut le cas quand j’ai confondu Yuri Geller. C’était un très bon artiste mais, il mentait, il faisait croire à du paranormal. C’est très difficile de faire disparaitre ces charlatans car ça rapporte beaucoup d’argent. À ce jour, Yuri Geller continue de faire ses démonstrations dans le monde entier.
J’ai écrit de nombreux livres pour expliquer les arnaques de ces charlatans, comme en 1978 Le Grand Bluff, en 1992 Les faiseurs de miracles ou, encore, en 1996 Gare aux gourous. De 1987 à 2002 on a lancé « le grand défi zététique international » avec Henri Broch (physicien) et Jacques Theodor (immunologue). On avait mis en jeux deux cent mille euros pour qui nous prouverait un phénomène paranormal. Personne n’a jamais réussi à gagner cette somme. En 1990, pour tout ce travail de démystification, le président de la République française de l’époque, François Mitterrand, m’a décerné la médaille nationale du Mérite.
Vous proposez une conférence sur ce thème, pouvez-vous nous en parler un peu ?
Dans cette conférence, je fais la démonstration de phénomènes paranormaux. J’explique les principes, par des trucages, que j’ai pu rencontrer en parcourant le monde, du gourou de New Dehli au sorcier en Afrique. Des thaumaturges qui mélangent philosophie de l’occultisme et principes de magie. J’ai dû me méfier des poisons et des pièges. Puis, dans la seconde partie de la conférence, il y a un débat avec le public sur le sujet. Je réponds aux questions sur des points précis.
Quels magiciens vous ont le plus inspiré et vous inspirent encore ?
Channing Pollock était très élégant et charismatique, un prodigieux manipulateur, avec un magnifique numéro de colombes. Shimada présentait un numéro très artistique de magie japonaise avec un dragon qui apparaissait au final. Sa femme était dans le dragon (mais, il ne faut pas le dire…)
Siegfried & Roy ont démontré qu’on pouvait attirer, à Las Vegas, un public plus familial, en soirée, pour un spectacle de magie. Avant eux, les spectacles de magie en soirée proposaient des danseuses sein nues. Leurs spectacles étaient démesurés, il y avait jusqu’à cent cinquante personnes sur scène. Ils ont utilisé, pour la première fois, dans un show d’illusions des animaux sauvages : tigres, lions et tigres blancs. La salle de spectacle était construite pour eux, ce qui fait qu’ils voyageaient peu, contrairement à David Copperfield.
Ils ont beaucoup travaillé avec Christian Fechner qui, en amateur éclairé, a inventé des effets pour eux, et, généreux comme il était, leur en a fait cadeau. Très vite, Las Vegas est devenu la capitale mondiale de la magie. Siegfried & Roy sont devenus des amis. Je suis resté un an au Crazy-Horse Saloon et eux étaient au Lido. C’est là qu’on s’est rencontrés. On sortait après nos représentations, avec Siegfried. Ils m’ont invité plusieurs fois dans leur magnifique villa à Las Vegas. Un jour, ils m’ont fait une blague. Ils m’ont dit de venir caresser un tigre dans la piscine et, celui-ci a rugit, ce qui m’a effrayé et les a bien fait rire !
Quels conseils pouvez-vous donner à un jeune qui débute en magie ?
Je conseillerais à un jeune de faire une formation théâtrale pour pouvoir commencer sur scène et viser un spectacle complet d’une heure. Les jeunes font beaucoup de concours internationaux avec des numéros de dix minutes qui n’ont pas de débouchés sur les grandes scènes. À notre époque, on avait la chance de faire trois-quatre cabarets par soir, ce qui était très formateur et rémunérateur. Les jeunes qui débutent aujourd’hui font beaucoup de close-up. J’ai initié ce genre de choses dans les banquets. À l’époque ça n’existait pas et j’ai créé une troupe de dix magiciens dans laquelle il y avait Pierre Edernac, James Hodges, Gaëtan Bloom, Duraty, Georges Proust… On faisait du « table à table » dans les grandes soirées, notamment à l’Orangerie du château de Versailles, déguisés en marquis.
Vous venez de lancer une boutique en ligne où une partie des bénéfices va aux enfants d’Ukraine, pouvez-vous nous en dire plus ?
Après le débat d’entre deux tours du mercredi 20 Avril 2022 où, face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron a sorti la formule « C’est pas Gérard Majax ce soir ! », j’ai eu la bonne surprise d’être énormément sollicité. Il y a eu un nombre incroyable d’articles, et même une page entière dans le quotidien Le Monde, en quatrième de couverture.
J’ai aussi eu la surprise de découvrir des t-shirts et tasses, vendus sur Internet, avec cette phrase, et donc, mon nom écrit dessus. Je les ai appelés pour leur signaler qu’ils auraient dû me demander mon autorisation. Nous avons trouvé un compromis. Le directeur de l’entreprise Tostadora, Aurélien Brulé, m’a proposé de créer un design à mon effigie pour l’utiliser sur différents produits. Il a même accepté qu’une partie des bénéfices soit reversée à l’Unicef, au profit des enfants d’Ukraine. Le site propose des t-shirts, sweat-shirts avec dix-neuf couleurs possibles, des sacs, des tasses, tous avec un dessin de ma tête qui sort d’un chapeau haut-de-forme.
Pouvez-vous nous parler de vos projets à venir ?
Je suis sur de nombreux projets, en partenariat avec Sylvain Gary, auteur de livres, BD et pièces de théâtres, qui a, entre autres écrit, aux éditions GLYPHE, Les mots farceurs, une déclinaison humoristique de nombreux jeux de mots. Nous écrivons une pièce de théâtre, une comédie policière magique et un long métrage d’animation. Ça fait déjà quatre à cinq ans que nous travaillons sur ce film d’animation dont je tiens à garder encore le sujet secret. J’ai aussi un projet pour Georges Proust avec un dessinateur très connu. Je suis donc en pleine écriture. Mais, je continue à jouer mon one man show Les dessous du Magic-Hall. C’est un spectacle itinérant que je propose aux municipalités, aux associations, aux théâtres. J’ai rajouté, à ce spectacle, il y a quelques années, une vingtaine d’anecdotes du métier, qui plaisent beaucoup et dont je vais vous donner un extrait.
J’étais à Paris, aux jardins des Tuileries, en terrasse en train de prendre mon café. Je ne prends jamais de sucre. Je n’y avais donc pas touché. Je vois alors une dame assez âgée, je dirais environ quatre-vingt-dix ans, s’approcher de moi et me dire : « Ah ! Gérard Majax ! » Comme je fais souvent, je lui dis, non, non, vous vous trompez madame, Gérard Majax est plus gros, plus petit que moi… Généralement, ça suffit à dissuader le tout-venant mais pas elle. Elle insiste et m’assure que je suis bien Gérard Majax. Elle ne veut pas en démordre. Elle me demande alors de lui donner le sucre qui est resté près de mon café. Je pense alors qu’elle veut le récupérer. Mais, non, elle me dit « mettez-le dans votre main. Fermez votre main. Soufflez dessus. Ouvrez votre main…. (elle voit le morceau de sucre) Ah oui, c’est vrai, ce n’est pas vous Majax ! »
Bibliographie de Gérard Majax (des fiches livres seront régulièrement ajoutées)
- 1967 Allumettes Magiques (Éditions Mayette)
- 1972 Le Merveilleux Magicien : Comment étonner ses amis (Éditions Nathan)
- 1975 Y’a un truc, avec Armand Jammot (Éditions Nathan)
- 1975 Les Secrets des tricheurs (Éditions Nathan)
- 1978 Le Grand Bluff (Éditions Nathan)
- 1979 Magie des dés – close up – Thimble magic (Éditions Techniques du Spectacle)
- 1979 Les 100 meilleurs tours de cartes (Éditions Nathan)
- 1981 Les Pickpockets (Éditions Jean-Claude Lattès)
- 1982 Carré Magique
- 1986 Le Pouvoir de la Magie (Éditions de la Table Ronde)
- 1989 100 tours de cartes faciles à faire (Éditions Nathan Pratique)
- 1991 Magie à la maison (Éditions Nathan)
- 1991 Magie en voiture (Éditions Nathan)
- 1991 Magie dans la nature (Éditions Nathan)
- 1991 Magie à l’école (Éditions Nathan)
- 1991 Magie à la neige (Éditions Nathan)
- 1991 Magie à la plage (Éditions Nathan)
- 1992 Les faiseurs de miracles (Éditions Michel Lafon)
- 1996 Gare aux gourous. Les trucs des sectes (Éditions Arléa)
- 1996 La magie du sommeil (Éditions Michel Lafon)
- 1998 Farces magiques pour les fêtes (Éditions de l’Archipel)
- 1999 Tours de cartes pour les amis (Éditions de l’Archipel)
- 2000 Magie au dessert (Éditions de l’Archipel)
- 2004 Magie à la maison (Éditions de l’Archipel)
- 2004 Magie en plein air (Éditions de l’Archipel)
- 2007 Tricheries au poker (Éditions Abracadabra)
- 2007 Pinocchia : l’aventure secrète, avec Sylvain Gary (Éditions Abracadabra)
- 2008 Les Dessous du Magic-Hall (Éditions Abracadabra)
- 2018 Les Miracles de la Bible vus par un illusionniste (Éditions First)
A visiter :
– Le site de Gérard Majax.
– La boutique de Gérard Majax.
A lire :
– À la conquête du paranormal de Gérard Majax.
Interview réalisée en janvier 2023. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Gérard Majax, Xavier Hodges. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.