Grover G. George est né le 18 août 1887 à Zanesville dans l’Ohio. Son père Arthur Alexander George (1866-1955) est avocat pour le cabinet George & Leisure. Grover est le dernier d’une famille aisée de quatre enfants. Il développe un intérêt pour la magie dès l’âge de dix ans. Il présente son premier spectacle magique pour son école Old South Zanesville et s’inscrit ensuite à l’université en continuant la magie. En 1910, il épouse Ruth M. Cornell (1891-1959) et le couple a un enfant ensemble : Mildred Ruth George (1910-1972). Grover devient ensuite semi-professionnel et démarre tant bien que mal une carrière dans la magie sous le nom de George. En 1917, il se produit pour quelques dates dans des petites villes du Middle West et des théâtres de second ordre. En avril 1918, il donne un spectacle devant six mille personnes au West Side Chautauqua, dont les bénéfices sont reversés à sa ville natale.
En 1920, George réussit à finaliser son propre spectacle avec plusieurs de ses propres créations. Il fait alors construire un petit théâtre dans l’arrière-cour de sa propriété de Zanesville. La scène mesure 5 mètres de large sur 2,50 mètres de profondeur. Le magicien y installe ses projets de décor, teste les éclairages et répète ses numéros avant de partir en représentations.
George décide de développer son entreprise de spectacle et d’accélérer sa carrière qui piétine. Il intensifie alors son jeu et améliore ses numéros pour les proposer aux grands théâtres d’Amérique. En 1922, il achète l’équipement et les droits du spectacle « Hong Kong Mysteries » de Doc Nixon1 puis crée sa propre compagnie la Mysteries Production Company. George embauche alors comme assistant le tout jeune Paul Rosini2 en 1923 et commence à faire des tournées dans tout le pays, avec beaucoup de succès jusqu’en 1924.
George structure son spectacle en trois parties bien distinctes avec un répertoire et des effets variés. Un programme à la hauteur d’un professionnel. Il aime montrer son exploit du doigt qui disparaît, manipuler les balles et les cartes. Il termine souvent ses représentations par son Boulet de canon flottant, qui, selon lui, pèse six kilos. Une adaptation originale de La boule volante (Floating ball).
George vs Thurston
En 1924, la carrière de George semble définitivement lancée et il établit un contrat avec la société Otis Lithograph Co. pour faire réaliser une série d’affiches en se proclamant « Le maître suprême de la magie » où le spectacle promet de mettre en vedettes « 18 personnes » et « une cargaison d’effets scéniques » dans un voyage exotique à travers l’Inde et la Chine. Le magicien est sur le point de passer un contrat avec les principaux théâtres du pays pour présenter son spectacle d’illusions. C’est alors qu’il rencontre à nouveau des problèmes en la personne d’Howard Thurston, le plus grand nom de la magie en Amérique de l’époque
Depuis 1922, Thurston met régulièrement la pression sur George pour avoir le monopole du marché institutionnel. Craignant la concurrence, il met tout en œuvre et fait du chantage aux théâtres en les menaçant de ne plus jouer sur leurs scènes s’ils embauchent George. Il envoie son jeune protégé du moment Harry Jansen (Dante), pour persuader George de retirer toutes les illusions appartenant soi-disant à Thurston qui l’accuse de plagiat, bien que la plupart de ces illusions ne soient pas « uniques » à l’un ou à l’autre (Thurston n’avait à l’époque aucuns brevets ni copyrights dessus).
Thurston passe ensuite à la vitesse supérieure en mandatant ses avocats qui déposent un déluge de poursuites contre George. Ce dernier tente alors, avec l’aide de son père avocat, de combattre Thurston légalement, mais il n’est pas à la hauteur financièrement et décide de stopper ce combat perdu d’avance. George est alors contraint d’abandonner pour un temps le marché américain à cause des jalousies de Thurston (né comme lui dans l’Ohio). Généralement perçu comme magnanime et sympathique, les poursuites vindicatives de Thurston envers George révèlent alors un côté sombre et méconnu du plus grand magicien d’Amérique.
L’exil en Amérique latine
En 1924, ayant perdu le marché américain et sa femme (dont-il divorce), George décide de se lancer dans une tournée en Amérique latine, avec l’aide de son manager et agent Felix Blei3. Il se rend à La Havane puis se dirige vers l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud jusqu’aux Caraïbes. Si les premiers temps sont difficiles pour se faire comprendre et former son équipe, George rencontre vite un énorme succès et joue devant une foule de personnes à San José, Rio de Janeiro, Porto Alegre, Buenos Aires, Montevideo… Son public est composé de « locaux » mais aussi de colons installés dans des villages reculés de l’Amazonie. Lors d’une représentation, il rencontre le général Juan Gomez, alors président du Venezuela, qui lui offre un sac de bolivars d’une valeur de 1000 dollars.
En 1927, Thurston envoie Dante se produire en Amérique du Sud mais celui-ci a du mal à se faire accepter et dénicher des contrats dû au fait que George a une grande popularité dans le pays.
Une publicité sans spectateurs
En raison de son départ forcé en Amérique latine, George n’a pas pu utiliser les affiches qu’il avait fait réaliser par l’Otis Lithograph Co., annonçant sa tournée américaine. Ces milliers de lithographies en anglais n’étant d’aucune utilité dans les pays hispanophones, George les abandonne sans payer l’imprimeur ! Elles sont alors achetées par le marchand Gerald Heaney (par l’intermédiaire de Charles Carter), puis restent stockées de nombreuses années dans une grange du Wisconsin jusqu’à ce qu’elles soient redécouvertes et dispersées chez des marchands et des collectionneurs du monde entier au début des années 1980.
Come-back perdant
En 1929, sa tournée finie, George est de retour aux Etats-Unis avec sa nouvelle épouse Anita Sosa. Le paria de l’Amérique, revient dans son pays pour (re)commencer sa « tournée triomphale américaine » avortée cinq ans plus tôt. Malheureusement pour George, cette grande tournée ne sera vue que par quelques américains car il est contraint de se produire dans des salles de second ordre, sous tente, voir dans des lieux indignes de sa renommée (Thurston étend encore bien présent !). Comme au milieu des années 1930, où George loue un ancien entrepôt vétuste à Revere Beach dans le Massachusetts avec des sièges en bois et des objets accrochés au mur sans scène ni éclairage ! Malgré ses beaux accessoires et la présence scénique de l’illusionniste, le contexte et l’environnement rendent irrémédiablement le spectacle d’une tristesse absolue, mettant ainsi un terme définitif au « rêve américain » de cet enfant de l’Ohio.
Son spectacle
George ouvre son spectacle avec une production gigantesque. Son programme comprend une routine de balles, des voyages de cartes de la main à la poche, la disparition du canard de Nixon (Nixon’s duck vanish), le tour de l’aiguille hindoue, The vanishing lady, l’homme transformé en lion (une variation de The Lady to Lion Illusion de Gustave Fasola, utilisée par Thurston dès 1909). George exécute de grandes illusions scéniques dont beaucoup sont vendues dans le catalogue de la Thayer Magic Company de l’époque. George travaille avec sa femme sur scène pendant quarante-cinq minutes, utilisant un décor insolite et original. Une autre caractéristique unique est l’utilisation d’un « bungalow itinérant », sous forme de bus, qui permet un transport confortable et des quartiers d’habitation pour toute la troupe du magicien. Ce grand bus est équipé de couchettes, d’une douche, d’une plaque chauffante électrique, de lumières, d’une armoire, ainsi que de beaucoup d’espaces de rangement.
La qualité du spectacle de George est décrite par M.S. Mahendra dans la revue The Linking Ring d’avril 1939 : « George vend sa magie avec un S majuscule. Voici l’un des meilleurs numéros de magie sur la route aujourd’hui. La chose merveilleuse est la façon dont il travaille la grande magie et les illusions, avec seulement sa femme pour l’aider. Il y a vingt ans, j’ai vu Grover George au National Theatre de Chicago, dans un spectacle complet. C’était avant sa tournée en Amérique du Sud. Il a le plus bel équipement de tous les temps ».
Retraite
A la fin des années 1930, George est contraint de retourner définitivement en Amérique du Sud et passe ses deux dernières décennies au Brésil, où il s’occupe d’un ranch. Il travaille aussi pour la télévision brésilienne et dirige une entreprise prospère de fabrication de machines de projection pour les théâtres. Il remonte un temps sur scène au début des années 1950 et prend définitivement sa retraite magique en 1956. Il décède à Sao Paulo le 14 septembre 1958, à soixante et onze ans.
Notes :
1 William John Nixon alias Doc Nixon (1884-1945) tient ce même spectacle d’Okito qui l’interprète dans un vaudeville avec des tours appropriés du magicien germano-anglais Paul Valadon. Nixon fait également une tournée en Amérique du Sud, inspirant peut-être George à tenter le même pari…
2 Paul Rosini (1902-1948) est un magicien d’origine autrichienne de son vrai nom Paul Vucic ayant émigré aux Etats-Unis en 1912. Il s’installe à Chicago où il découvre la boutique de magie Roterberg. En 1919, Théo Bamberg (Okito) lui apprend la routine des gobelets. Il est également encadré et influencé par Julius Zanzig et Grover George. Il est ensuite l’élève puis l’assistant de Carl Rosini et adopte son pseudonyme en gardant son prénom. Il devient l’un des magiciens de boîte de nuit les plus populaires des années 1930 et 1940.
3 D’origine allemande, Felix Blei ou Bley (1874-1942) a son propre spectacle de magie pendant une courte période. Il devient ensuite gestionnaire et agent professionnel de premier plan pour de nombreux magiciens au début des années 1900, comme Morton Clivette (en 1900), The Great McEwen (de 1908 à 1909), Nicola (en 1909), Dante (en l911 sous le nom de The Great Jansen), Gustave Fasola (de 1912 à 1929), Annie Abbott (en 1913), LeRoy-Talma-Bosco (en 1914), Herbert Flint (en 1915), Charles Carter, etc.
Cet article a été publié pour la première fois dans le MAGICUS magazine n°236 (juillet-août 2022). Crédits photos – Documents – Copyrights : Collection S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.