Avant de partir pour un voyage au pays des devins et pour me guider dans ma route, j’ai consulté les grands quotidiens. Bien, sûr, plusieurs noms m’étaient venus à l’esprit : à quoi servirait la publicité incroyable que font certains fakirs et, certains astrologues célèbres, un professeur Hamon, un fakir Kerneiz de Paris-Soir et du Journal de la Ferre et surtout le fakir Birman. « Dans l’ennui, venez à lui. » « N’attendez, pas plus longtemps. Votre bonheur en dépend. » « Ne restez pas indifférent devant les mauvais coups du sort que vous pouvez éviter. » « Un lot de un million est gagné par un de mes clients. »
Slogans, formules conçus selon les méthodes éprouvées de la publicité commerciale, ni plus ni moins étranges, ni plus ni moins hardis, mais qui, lus mille fois, à toutes les pages de presque tous les journaux contribuent, à suggérer le désir de consulter le devin. « Dans l’ennui, venez à lui », c’est aussi fort que « Dubo, Dubon, Dubonnet », « Le fourreur qui fait fureur ». Je savais, d’avance, avant de commencer l’enquête que j’irais consulter le fakir Birman. Mais s’il y a à Paris de célèbres mages, des fakirs et des astrologues, il y a aussi l’armée des milliers de voyantes et de cartomanciennes. Elles sont plus discrètes, elles n’usent pas des grands placards de publicité quotidiens, qui représentent un budget de centaines de milliers de francs et parfois de millions. Elles se contentent des petites annonces, Là, entre celle des mariages et celle des sages-femmes, à côté de celle des policiers privés, la rubrique des sciences occultes offre des noms par centaines.
Beaux noms mystérieux qui évoquent l’Espagne, l’Orient, l’ancienne Egypte, Juanita la Gitane, Maina, Aquita, Alzina, Lilith, Mme Manoska, Mme Jade, Rahma, Thi-Ba, Aïcha la Noire, Mme Memphis, noms à particule d’une vieille noblesse extrêmement inquiétante Mme de Savigny, Mme de Brien, Mme de Kerden, Blanche de Paunac, Mme de Soria ; titres scientifiques qui veulent inspirer la confiance professeur Hamon, professeur Aour, professeur Roxroy, ingénieur P. 0., astrologue conseil, professeurs diplômés d’on ne sait quelles universités de magie, laboratoires de téléradiesthésie ou de magnétisme, où l’on ne consulte que par correspondance.
Si vous êtes sensible au prestige des pays inconnus, dont la réputation magique est bien établie depuis le temps qu’on parle de l’Inde et de la Chaldée, vous irez consulter la gitane, fausse ou vraie si vous êtes timide et que vous sentiez le besoin d’être protégé, vous irez voir Mme de … dont l’autorité est celle des patronnes de maison close si vous connaissez le principe d’Archimède ou l’usage de l’ampèremètre et qu’on vous ait appris dans votre enfance à respecter la science, vous vous sentirez justifié, moins honteux, en allant consulter le professeur, l’agrégé de chiromancie, le docteur ès sciences occultes et le licencié de tarots. Vous n’irez donc pas au hasard : le style même des noms sera à l’origine de votre choix.
Il y a aussi à Paris une répartition géographique fort claire des centres occultes. Il est certain que l’on trouve partout et dans tous les quartiers cartomanciennes et voyantes. Elles vivent pourtant plus spécialement aux alentours des gares, gare Saint-Lazare, gare de l’Est, gare du Nord des grands magasins, Galeries Lafayette, Samaritaine près des Halles, dans les quartiers où prospère une prostitution à demi-élégante quartier de l’Etoile, avenue de Wagram, avenue de Tilsitt, avenue de la Grande-Armée, avenue des Ternes. Les environs des gares sont aussi le lieu de la plus intense prostitution, mais d’une prostitution plus pauvre. Chaque voyante, selon le quartier, aura une certaine clientèle à laquelle elle adaptera son propre style.
Aucun attirail de sorcière n’entoure l’art des cartomanciennes. Je n’ai trouvé nulle part, au hasard de mes promenades dans le Paris de la magie, de hiboux, de vases où fumée d’encens, de chaudrons, de mystère, de serpents, de crapauds. Les chats noirs même, étaient plus rares que les matous tigrés. A peine, parfois, une boule de cristal ou une sorte de thermomètre non gradué dans lequel bouillonne et monte, au contact d’une main chaude, un liquide rouge ou violet. Je n’ai trouvé partout qu’une atmosphère bourgeoise et « cossue », le goût le plus abominable et l’absence complète du pittoresque.
Chez Mme A…, rue Saint-Lazare, il y avait des meubles Louis-Philippe, quelques gravures romantiques, un divan turc et cette bonne odeur de ragoût de mouton qui règne dans tous les escaliers de ce Paris-là. Chez Mme de S…, rue Mogador, un entassement de coussins trop neufs, de satin groseille ou citron, avec de grosses fleurs peintes ou appliquées, d’énormes poupées « modernes », Pierrots espagnols ou marquises aux yeux morts, sur le piano, tout un petit mobilier breton de bazar, avec le rouet et le lit clos, et, sur la commode Louis XVI ces pêcheurs normands de terre cuite, associés deux à deux, qu’on achète au sous-sol du Bazar de l’Hôtel-de-Ville.
Chez G…, près de la Samaritaine, des lampadaires de bois tourné, de bois doré ; quatre, cinq, dix lampadaires, avec des abat-jour ornés de pendeloques de perles, de ces lampadaires sans ampoules qui ne sont là que pour « faire riche ». Et les bouddhas creux de plâtre peint « façon bronze », et tous les objets d’art en série, et toutes les fleurs d’étoffe poussiéreuses.
Voilà ce qu’on trouve chez les voyantes de Paris. Une partie de ces objets ont été achetés par lots entiers dans les bazars et Saisies Warrants, pour éblouir la clientèle pauvre et ne point effaroucher la clientèle moyenne, accoutumée au faux luxe. D’autres sont des dons des clients. Personne ne reçoit plus de cadeaux que les cartomanciennes ; on leur apporte des offrandes comme aux prêtresses de dieux inconnus et puissants. J’ai vu une vieille femme craintive et pauvre présenter un gros bouquet de fleurs à Mme de S. qui le lui arracha des mains, sans un merci, sans un sourire, comme une chose due. C’est peut-être par leur dureté même, leur exigence, que les cartomanciennes en imposent à tant de gens faibles, influençables, égarés.
Toutes les cartomanciennes que j’ai vues avaient l’air, à divers degrés d’entremetteuses. Est-ce pour cela que leurs appartements sont décorés et meublés comme des maisons de passe ? J’ai pourtant été éblouie par l’antichambre de Mme de K. (force fluidique), avenue de l’Opéra, qui ne m’a pas reçue, à cause d’un deuil récent. Sur un de ces magnifiques escaliers des immeubles de l’Opéra s’ouvre une grande porte. Une femme de charge (et non une bonne) l’ouvre, digne, sévère, sans défauts on entrevoit derrière elle de grandes pièces seigneuriales aux volets demi clos, avec des meubles d’une « Renaissance » à faire rêver Dumas père, et quelque chose qui luit dans l’ombre, une armure de chevalier. Ca c’est du style.
– Extrait de la série Trafiquants de Mystère (2ème partie) parue dans le journal L’Humanité du 6 janvier 1937.
A lire :
– Des Gris-gris aux petites annonces.
Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.