Extrait de la revue L’Illusionniste, N°58 d’août 1906
Avant de se lancer dans le sentier mystérieux de la magie, notre ami G. de Thorcey a, naturellement, et comme tant d’autres, fait autre chose. D’abord peintre en miniature — art distingué — il se sentit bientôt des dispositions musicales et se découvrit une voix qui éveillèrent en lui le bien légitime désir de cultiver ces dons heureux. Malheureusement, quelque temps avant d’entrer au Conservatoire, la perte de sa voix vint mettre un obstacle définitif à la réalisation de ce projet. Ce fut très certainement une perte pour l’art lyrique, car avec son goût raffiné de musicien, son intelligence, son éducation et ses avantages physiques, de Thorcey n’eut pas manqué de fournir une belle carrière et de devenir une des plus brillantes étoiles du firmament artistique.
Le sort en décida autrement, de Thorcey quitta le théâtre et dans un avatar dont la genèse se perd dans la nuit des souvenirs, il se jeta, était ce de désespoir, à corps perdu dans la prestidigitation, au tour de laquelle, tout bien servi qu’il était par un talent avéré et une présentation de haut style, il devait plutôt louvoyer, si j’ose ainsi dire, et se livrer à différents labeurs, dont l’heureuse connexité à notre grande satisfaction, le maintenait cependant parmi nous. C’est ainsi qu’on le vît d’abord en compagnie d’Isidore Bonheur, parcourir une grande partie de la France et de complicité avec ce magnétiseur célèbre, étonner les populations en remplissant ce rôle bizarre que je qualifierai de véritable faux sujet magnétique, dans lequel il obtint constamment des succès mérités.
Puis le cours de cette carrière spéciale se trouve brusquement interrompu par de patriotiques obligations et, pendant un temps, c’est dans la bonne ville de Valence qu’il fît un séjour au cours duquel, sans trop d’enthousiasme, je crois, il dut se livrer à l’étude d’une balistique bien comprise, sous prétexte que sa situation d’artilleur l’y contraignait impérieusement. Libéré enfin de ces occupations martiales, mais peu rétribuées, il s’associa en 1879 avec Donato, le bien connu et également célèbre magnétiseur, avec qui il resta trois années, au cours desquelles, en plus de sa coopération artistique, il commença à donner des preuves de sa science, de la réclame et de la publicité. Ayant ainsi pris, au contact de Donato, le goût des sciences que je ne vois aucun inconvénient à qualifier d’occultes, il se lança hardiment dans l’arène magnétique et pendant des années les apôtres de l’hypnotisme tels que les Verbeck, Pickman et Donato lui-même, eurent à compter avec un redoutable et « successful » concurrent.
C’est en 1887 qu’il donna à Reims, dans la cage aux lions du cirque des frères Pianet, cette fameuse et sensationnelle séance. Jamais entreprise aussi hardie n’avait été tentée ni même conçue. Le record de l’extraordinaire, en fait de magnétisme (bien animal cette fois), était décidément détenu par de Thorcey et son gracieux et courageux sujet. La création de ce numéro sans égal produisit une vive sensation à Paris, lorsqu’on 1887 il fut présenté aux Folies-Bergère. Il fit ensuite son tour d’Europe et poussa plus tard jusque dans l’Amérique du Sud. Avant de connaître Inaudi avec qui il a naturellement fait les nombreux et lointains voyages indiqués précédemment, de Thorcey avait déjà fait le tour du monde. Il a actuellement à son actif quarante-sept traversées dont certaines se comptent par des trente-deux et même quarante jours de mer. Encore un record.
Je suis trop son ami pour m’employer ici à le couvrir de couronnes qu’on pourrait croire tressées par la main de l’exagération, si je puis me permettre cette figure. Je me bornerai, pour cette raison, à exposer que, grâce à son intelligence très ouverte, et à son instruction très soignée, tout semble pour lui d’une assimilation facile. Il fut, en effet, tour à tour, directeur de cirque, de théâtre, de concert, puis conférencier, mnémotechnicien, acteur, chanteur, compositeur et même, circonstance aggravante, comme il dit plaisamment lui-même : prestidigitateur. Laissons lui la responsabilité de cette boutade par laquelle, et avec trop de modestie, il semble s’excuser de tant de travaux dus à son activité mentale et matérielle ainsi qu’à son entente des affaires auxquelles préside toujours la plus franche loyauté. Enfin, puisque je suis entrain de l’accabler, j’ajouterai à sa charge, qu’à l’âge de quarante ans, il s’est mis tout tranquillement à l’étude des langues et qu’aujourd’hui il parle couramment les plus usitées. Ce qui peut être considéré comme un exploit intellectuel peu banal. Actuellement « manager » et présentateur d’Inaudi. C’est encore un titre ça. N’en jetons plus s’il vous plaît ! Il me faut, d’ailleurs, terminer cette esquisse crayonnée un peu à la course. Très préoccupé de dépeindre l’artiste, je n’ai encore rien dit de l’homme. Ce sera facile : C’est le meilleur de tous.
E. Raynaly
Note de Didier Morax
De Torcey : Albert Ferdinand Guyot né à Paris le 26 avril 1853 et décédé à Champigny (94) le 15 aout 1937. Robertson (Colson) le remplaça comme manager d’Inaudi. Tout d’abord précisons que le portrait est fait par celui qui a été remplacé auprès d’Isidore Bonheur. De Thorcey, Torcy ou de Thorcy a aussi été l’imprésario de Arnould. D’après une publication de 1896 dans un journal d’Orléans, il tenait la baraque foraine dans laquelle eu lieu le premier incendie de cinéma lors de la foire du mail (juin 1896). La baraque appartenait à Inaudi et Méliès.
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