Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
A 13 ans, j’ai reçu une boîte de magie pour mon anniversaire et j’ai été fasciné, non pas par la façon dont les tours marchaient, mais pourquoi les tours marchaient. La psychologie m’intéressait. Je me souviens qu’à cet âge, étant très maladroit et geek comme tant d’autres magiciens, je découvris qu’avec la magie je pouvais tout à coup faire quelque chose que mes parents et mes professeurs ne pouvaient pas faire. Cela a été très stimulant.
1er show de magie.
A la même époque, Doug Henning apparaissait sur la scène. Je voulais être comme lui dès le début. J’adorais les grandes illusions. J’avais très peu d’intérêt pour toutes les autres formes de magie. Sans avoir accès à des livres spécialisés, j’ai construit et créé avec une vieille boîte en carton le tour de l’armoire aux épées. Je suppose que ce fut mon premier tour.
Peu de temps après, je découvris Hank Moorehouse et sa boutique The Magic Emporium à seulement quelques pâtés de maisons près de chez moi à Ann Arbor. C’est là que tout s’est ouvert pour moi.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Dès le début, je commençais à expérimenter. Il était question de mettre ensemble des boîtes de carton dans différentes configurations et d’essayer de tromper ma sœur avec. Chaque fois que j’échouais, j’apprenais de mes erreurs. Et cela continue encore aujourd’hui. J’ai vite découvert des « modèles », des principes psychologiques, le Black art, la misdirection…. Je ne savais rien de tout cela à l’époque mais je savais que ca pouvait m’aider à duper les gens. D’avoir baigné dans ce genre de magie m’a forcé à inventer mes propres numéros.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Hank Moorehouse est aussi proche qu’un professeur que je n’ai jamais eu. Juste en le regardant et en passant des milliers d’heures dans sa boutique de magie, je suis venu à comprendre les bases de cette forme d’art.
En 1984, Michael Jackson annonça qu’il allait faire une tournée de concert : le Victory Tour. Je voulais faire partie de l’équipe. Je l’adorais. Je lui ai envoyé une cassette vidéo où je faisais apparaître une voiture dans un parking vide. C’est un principe que j’avais inventé quand j’avais 16 ans et je l’utilise encore aujourd’hui. Il a vu la vidéo et quelques jours après j’étais dans un avion en direction de Los Angeles pour rencontrer mon idole !
Michael et moi sommes devenus rapidement amis. Nous avions environ le même âge, nous avons passé beaucoup de temps ensemble. Il aimait la magie. J’ai créé des effets magiques pour chacun de ses spectacles ainsi que dans sa maison de Neverland Ranch où il y a un tas de trucs et des illusions partout. Au cours de ces vingt-six ans de collaboration, nous avons créé un grand nombre de nouveaux tours ensemble. Mais le plus grand tournant de ma carrière eu lieu en 1987, lorsque que Michael m’a dit, « Tu créé toute cette magie pour moi, mais ne veux-tu pas la créer pour toi ? »
La vérité est que j’ai manqué à être un magicien. J’ai raté l’opportunité d’avoir un public à moi. J’ai donc écouté Michael et je me suis mis à apprendre absolument tout de ce métier et bien plus encore : l’éclairage, le son, la vidéo, la danse, la mise en scène, etc. J’ai appliqué cette « philosophie de production » pour créer mon propre spectacle aux allures de concert de rock.
Avec Michael, j’avais fait de mon mieux pour créer un nouveau genre de magie. Bien sûr, il y a de cela 26 ans, et depuis, tout le monde a adopté à peu près le même style.
Rétrospectivement, Michael m’a donné la plus grande opportunité et c’est lui qui m’a appris le plus. Étonnamment, la chose la plus importante que j’ai apprise n’a rien à voir avec la magie. Il m’a dit : « Franz, quoi que tu fasses, faits-le différemment et mieux que quiconque. Ne cesse jamais d’atteindre l’excellence. » Aujourd’hui, je vis encore par cette maxime.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
J’aime Steven Spielberg et sa façon de raconter des histoires. L’idée de prendre une personne ordinaire et de la mettre dans une situation extraordinaire est à la base de mon spectacle. Je pense que je suis un mec normal dans un rôle surprenant.
Harary et Copperfield.
J’aime aussi Salvador Dali. Tout est une question de point de vue ; comment voir votre environnement sous un angle différent et être libre d’imaginer n’importe quoi. Prendre des risques en déformant ce que nous croyons être la vérité.
Et, bien sûr, il y a Doug Henning. En fait, quand Doug est mort, j’ai acheté presque la moitié de l’ensemble de son matériel. Les dix années qui ont suivie, j’ai intégré ses illusions dans mon spectacle. Je suppose que cela a été ma façon de lui rendre hommage et de garder sa magie vivante.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Les illusions, les grandes illusions, les illusions conceptuelles, et … laissez-moi réfléchir… ai-je dit illusions ? Je suis venu à reconnaître mes compétences et mes faiblesses. J’ai le plus grand respect pour les magiciens de close-up, mais ce n’est pas pour moi. J’aime manipuler de gros objets dans de grands espaces, créer des effets visuels sur une échelle aussi grande que possible. Voilà ce que je l’aime.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Mes influences artistiques ont tendance à changer avec la culture pop. Comme les styles de musique, de design, de mode, de danse, et d’architecture. J’ai toujours essayé de garder ma magie en prise avec le monde contemporain autant que possible. Bien sûr, mes spectacles sont devenus chers car cela signifie une constante évolution de la musique, des danses, des costumes, etc. Tout ce que j’ai appris de Michael Jackson.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Prenez toutes les occasions possibles pour travailler et faites le ! La seule façon d’obtenir de bons résultats dans la magie ou dans toute autre forme d’art est de continuer à travailler sans relâche. Vous découvrirez petit à petit des rythmes, des modèles qui fonctionnent. Plus important encore, quoi que vous fassiez, soyez VOUS-MEME. N’essayez pas d’être quelqu’un d’autre car cela ne fonctionnera jamais.
Dans les premières années de ma carrière, je voulais être Jon Bon Jovi. Cela n’a pas fonctionné. Une fois que vous acceptez qui vous êtes en tant que personne, trouvez un moyen de le communiquer sur scène. Le public voit tout. Si vous êtes honnête avec eux, ils vous accepteront, vous et votre magie. À ce moment-là, vous les possédez. Si vous regardez les plus grands magiciens de notre temps, ils ont une personnalité marquante et un personnage bien défini. Et chacun d’entre eux viennent d’une vérité profonde. Croyez-moi, il m’a fallu 20 ans pour comprendre cela. Une fois que vous vous rendez compte que la magie n’est qu’une affaire de communication, et de connexion avec un public, vous avez gagné !
Un bon ami à moi, Jack Goldfinger, réalisait un numéro de colombes avec son épouse, qu’ils ont présenté pendant des décennies. Leur magie n’était pas unique. Cependant, la personnalité de Jack, qui était un homme aimable, et tout ce qu’il faisait sur scène se connectait parfaitement avec le public. Il s’est dit qu’il pouvait présenter ce numéro sur scène et le rendre amusant, à sa façon.
Je sais que cela est surprenant venant de ma part, moi, un gars qui passe du temps et dépense de l’argent dans des mégas productions. Mais croyez-moi, la chose la plus importante est de savoir qu’est-ce que le public pense de vous, comment il vous ressent ? S’il ne vous aime pas, s’il ne vous fait pas confiance, aucune somme d’argent au monde ne peut vous acheter ce succès. Regardez les grands spectacles de magie à Las Vegas, les gars qui réussissent sont ceux qui ne cherchent pas à être quelque chose qu’ils ne sont pas ! Ils sont à leur tour ovationnés par le public pour leur singularité.
Enfin … mon conseil à quelqu’un qui envisagerait une carrière dans la magie est la suivante (et je le dis du fond du cœur) : s’il y a quelque chose d’autre dans le monde que vous seriez heureux de faire, autre que de la magie, faites-le ! S’il y a quelque chose dans votre vie qui vous épanouisse, faites-le ! Gardez la magie comme votre tout dernier recours. Ne le faites que s’il n’y a absolument rien d’autre qui peut vous apporter de la joie.
Je sais que cela semble étrange, mais le fait est, si vous choisissez de devenir un magicien, vous entrez dans l’un des domaines les plus concurrentiels au monde. Si vous regardez la quantité de magiciens existants sur la planète qui gagnent leur vie et atteignent leurs objectifs, le pourcentage est extrêmement faible. Dès le premier jour, vous êtes destiné à une vie de haute compétition, de lutte personnelle, de tension non-stop pour rester au top.
La magie n’est pas quelque chose que les gens perçoivent comme étant une exigence dans la vie, comme par exemple la musique. Personne ne pousse la porte de sa maison après une dure journée au travail, et dit : « Mon Dieu, il faut que je me détende en regardant quelques tours de cartes ! »
Cependant, si vous vous regardez dans le miroir et que vous choisissez la magie comme étant votre destin, je peux vous assurer que vous allez entrer dans « un processus infernal ». Je n’ai jamais eu un vrai travail dans ma vie. La magie est ce que je fais de mieux. Dans une année, je parcours en moyenne plus de 322 000 kms. Mes amis proches sont littéralement dispersés à travers le monde. J’ai vu des choses et vécu des événements que l’on ne voit que dans les films. Chaque fois que je prends l’avion, je me rappelle toujours que ce même avion est rempli de gens qui ont économisé toute leur vie pour faire un voyage et moi je suis payé pour faire ce voyage…
Les bénéfices de ce métier peuvent être la joie, l’excitation et l’accomplissement, dans des ordres de grandeurs différents. Je ne regrette pas une minute ma vie. Cependant, je peux aussi vous dire que la charge de travail est au-delà de votre imagination. Pour confirmer cela, il suffit de parler à tout le monde de notre entreprise.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Voilà une question intéressante. La magie, comme toute forme d’art, continue d’évoluer et de se changer. Doug Henning, David Copperfield, puis David Blaine ont, à leur manière, chaque fois modifiés et apportés de nouvelles choses. Je crois que nous sommes sur le point d’entrer dans une nouvelle ère de la magie, une phase dans laquelle les secrets deviendront secondaires aux effets. Nous vivons dans un monde où le public peut littéralement Googliser les solutions des tours pendant que vous les jouez devant eux ! Les trucs prendront moins d’importance que les effets et l’expérience des illusions.
Pour moi, je serai toujours obsédé par la méthode et l’invention de nouveaux procédés, de nouvelles « formules secrètes ». Cependant, de plus en plus, je me suis rendu compte que la seule chose qui importe vraiment est l’effet final. Aujourd’hui, mon spectacle est plus visuel que jamais. Je combine autant de technologies que je peux. Le spectacle n’est pas basé sur des « casse-tête » mais sur l’énergie et la beauté de l’instant. Jeff McBride a découvert cela il y a trente ans. Sa magie a toujours été animée par l’imagerie. Le reste de notre industrie suit le même chemin…
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Pour moi personnellement, la culture est plus importante qu’elle pourrait l’être pour d’autres magiciens. Mon marché est littéralement dans le monde entier. Pour que mon modèle fonctionne, je dois travailler à l’échelle mondiale. Cela m’a conduit à un certain nombre de découvertes fascinantes.
Tout d’abord, la magie est un miroir pour les espoirs et les rêves de la culture qui la porte. Si vous regardez la magie traditionnelle chinoise, elle consiste à faire apparaître du riz et du poisson. Il est compréhensible de voir à quel point c’est vital pour ce pays. Si vous allez en Asie du Sud-est, la magie intervient pour surmonter la peur, la douleur et les limites du corps humain. En Occident, nous sommes tous des capitalistes. Donc, notre magie, à commencer par la mienne, est de faire apparaître des voitures, des bateaux, des avions, etc. Ces effets, je les réalisais il y a des décennies. Je pense en fait qu’il y a beaucoup plus à faire dans ce domaine…
Sur le plan fonctionnel, la culture devient la clé définissant les éléments dans la production de mon travail. Je commence par étudier et comprendre mon public avant d’effectuer des numéros, ce que signifie la magie dans leur culture.
Pour en revenir à la Chine, aujourd’hui, la magie chinoise est différente de celle que l’on voit partout ailleurs. Le public chinois considère la magie comme une énigme à résoudre. Il n’a aucun égard pour le côté artistique ou l’histoire. Au début, il est difficile de constater que les milliers d’heures de travail que je mets dans la conception de la production de mon spectacle désintéressent ce genre de public. Cependant, une fois que j’ai compris la mentalité chinoise et la façon dont ils perçoivent la magie, je leur donne, en grande partie, ce qu’ils veulent voir : un puzzle. Il faut toujours s’adapter.
À votre tour, si vous allez au Moyen-Orient, il y a beaucoup de cultures dans lesquelles la magie est toujours considérée comme un art obscur, comme de la magie noire et de la sorcellerie. Ayant travaillé dans un certain nombre de pays de cette partie du monde, c’est seulement récemment que j’ai pu annoncer mon spectacle comme « de la magie ». À Abu Dhabi, nous avions un « cirque d’illusions » qui a été perçu comme de la sorcellerie. Nous avons eu affaire à la censure du gouvernement…
Notre monde change si vite aujourd’hui. La planète entière est en train de devenir une boutique duty-free géante. Je ne pense pas que la culture évoluera si vite, mais pour l’instant, la magie fonctionne toujours et personnellement, j’en suis heureux.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
J’aime la production télévisuelle. Si je n’étais pas magicien, j’aurais voulu être un producteur vidéo. On pourrait dire que je le suis déjà. En fin de compte, c’est juste un moyen de plus pour créer une illusion, placer les gens dans un monde nouveau avec une nouvelle définition de la réalité. S’il n’y avait pas cela, laissez-moi réfléchir… Je suppose que je serais un homme politique. C’est la seule autre profession qui paie pour tromper et manipuler les masses.
– Interview réalisée en octobre 2014.
A visiter :
– Le site de Franz Harary.
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