En 2015, la jongleur Françoise Rochais se lançait dans la rédaction d’un livre pour panser ses blessures d’enfance et poser des mots sur un parcours de vie cabossé malgré le succès artistique qu’elle rencontre à l’échelle mondiale. En février 2022 sort le travail d’une longue introspection avec son titre choc. Françoise Rochais ne fait pas dans la demi-mesure et livre une sorte d’autobiographie sans fard où les strass et paillettes du spectacle sont le reflet de son mal être quotidien. Comme elle le dit si bien : « jongler c’est parler, respirer, se dépasser, partager et surtout VIVRE ! » Un échappatoire salutaire aux calvaires subits quand elle était enfant et jeune adulte. Car ce qu’elle ne peut exprimer par la parole, Françoise Rochais le démontre magistralement par son art qui demande un contrôle total sur les choses ; tout ce qu’elle ne peut pas maîtriser dans la vie ! Devenir la meilleure pour ne pas sombrer, réhabiliter son estime de soi, aller de l’avant et libérer la parole ; tels sont les messages de cet ouvrage poignant.
Née dans une famille de quatre enfants, Françoise Rochais est la seule fille. Son père, qui violentait sa mère, quitte le foyer avec fracas le jour de ses cinq ans. Elle part s’installer aux Sables-d’Olonne avec sa maman et ses frères. C’est en Vendée que la jeune Françoise intègre le groupe de majorettes locales : Les Mignonnettes Sablaises et qu’elle s’initie au lancer de bâton. Proche de ses grands-parents maternels, sa vie bascule à l’orée d’un bois quand son grand-père la contraint à des rapports sexuels. Ne réalisant pas vraiment ce qui lui arrive, le temps passe jusqu’à ses huit ans et la rencontre d’un jongleur australien de passage en Vendée. Ce dernier lui donne des cours particuliers avec en prime la violation de son corps. Un deuxième retour de bâton pour la petite Françoise qui voit le sort s’acharner sur elle et son enfance volée.
Continuant coûte que coûte son apprentissage du jonglage, elle se raccroche à ses bâtons à défaut d’autre chose et participe au spectacle de fin d’année de l’école avec un numéro de jonglage. A neuf ans, Françoise Rochais voit à la télévision Anthony Gatto, un jeune jongleur américain de son âge, gagner la médaille d’or au prestigieux Festival Mondial du Cirque de Demain. Il va devenir sa référence et son objectif artistique.
A dix ans, les vieux démons n’ont pas quitté la jeune Françoise et se rappellent à elle quand elle est invitée à passer un séjour en Australie chez son ancien professeur et bourreau pour un stage de perfectionnement. Elle aura le droit à un passage télé sur une chaine australienne, mais aussi à d’autres attouchements…
A treize ans, Françoise Rochais enregistre un nouveau record du monde avec un lancé de six bâtons de majorette, qui est enregistré dans le Guinness book. Elle enchaîne alors des spectacles dans sa région alors que son frère ainé quitte définitivement le foyer familial comme son père auparavant.
En 1989, Françoise est sélectionnée pour participer au 12ème Festival Mondial du Cirque de Demain au Cirque d’Hiver Bouglione dans la catégorie des moins de quinze ans. Elle y remporte la médaille d’argent.
Encore lycéenne, elle passe une audition au Puy du Fou, dans la grange du village du XVIIIe siècle devant Philippe de Villiers qui l’engage comme jongleuse et professeur pour son parc d’attractions qui vient d’ouvrir ses portes. Elle y restera jusqu’en 1993 sur un rythme de vingt-six spectacles par semaine (quatre cents dix-sept représentations en quatre ans).
C’est dans ce contexte qu’elle peut s’entrainer tous les jours et réaliser différents stages de perfectionnement à l’étranger, cofinancer par le parc et le Festival de Demain. Ainsi, Françoise part dans une école de danse et de cirque à Paris, puis dans une troupe acrobatique de l’armée de Canton en Chine (pendant neuf semaines à rude épreuve) et en Russie chez le chorégraphe Valentin Gneushev.
Fort de ses diverses expériences, Françoise Rochais décide de se représenter au Festival Mondial du Cirque de Demain, cette fois-ci dans la catégorie des plus de quinze ans. Mais c’est un échec artistique cuisant… Les lendemains ont un goût amère et les contrats se font très rares. François atterrit à l’école du cirque d’Amiens où elle enseigne, prend des cours de danse et construit un nouveau numéro grâce à sa directrice qui deviendra son amie. Elle vit dans une caravane comme une circassienne itinérante et la solitude ne tarde pas à s’emparer d’elle comme ses crises de boulimie. Les journées sont longues et Françoise a le temps de penser à son parcours qui est semé d’embûches. Artistiquement, elle a connu la consécration mais ne trouve pas beaucoup de travail à l’étranger et encore moins en France. Sentimentalement, c’est le néant, enchaînant des histoires toxiques et des échecs amoureux avec les garçons. Psychiquement, le poids du secret lui pèse de plus en plus et elle décide de rompre le silence en parlant de ses viols à son frère Denis.
Une opportunité s’offre enfin à Françoise pour travailler deux mois au Japon avec des répétions à l’école nationale de cirque de Montréal orchestrées par Guy Caron, un ancien du Cirque du Soleil. Cette escapade à l’étranger ne résout pas les problèmes financiers de Françoise qui, de retour à Amiens, se confie à son amie du cirque.
En 1995, grâce à une subvention du Conseil général de Vendée, Françoise Rochais participe aux championnats du monde de jonglerie à Las Vegas organisés par l’International Juggler’s Association. Cette 48ème édition prend place à l’hôtel-casino de l’Hacienda. Elle y décroche le titre suprême et a la chance de rencontrer Anthony Gatto qui l’invite à son show au Lady Luck sur Fremont Street. Elle en profitera pour aller voir le tout nouveau spectacle du Cirque du Soleil : Mystère.
Cette nouvelle visibilité assoit la réputation de Françoise comme l’une des meilleures jongleuses au monde dans une discipline dominée par les hommes. Elle fait preuve d’une incroyable maîtrise technique et est capable de jongler avec différents objets (massues, bâtons, cerceaux, ombrelles, raquettes, balles…) et de poids différents en même temps.
Françoise part alors pour une série de festivals de jonglage à travers les Etats-Unis pendant un mois et demi mais a toujours de gros problèmes financiers.
De retour en France, elle a l’opportunité de travailler pour le cirque Bouglione à Paris. Elle retourne au Japon en 1998 et établit un nouveau record du monde avec un lancé de sept bâtons devant un public. De retour en France, elle découvre que l’école de cirque d’Amiens a fermé et que son amie a disparu avec. Françoise retourne vers sa mère aux Sables-d’Olonne et retravaille au Puy du Fou de façon saisonnière. Elle continue ses voyages au Japon et à Las Vegas, en 2000, où elle est invitée chez le jongleur Dick Franco et rencontre les plus grandes stars de la discipline. Elle en profite, comme à chaque fois, pour découvrir les nouveaux spectacles du Strip comme O et Blue Man Group.
En 2001, Françoise entame sa sixième et dernière saison au Puy du Fou et son troisième voyage à Las Vegas. L’année qui suit se passe dans la solitude et la disette de contrats. C’est en 2003 que tout se débloque enfin, au niveau du travail, quand le jongleur Martin Mall l’introduit sur le marché des cabarets de variétés allemands. Françoise Rochais enchaîne alors plus de six cents spectacles en deux ans, travaillant dans le monde entier, dans trente pays et y côtoyant les plus grands artistes comme le jongleur ukrainien Viktor Kee ou le duo brésilien Vik et Fabrini. C’est la consécration artistique, mais dans la vie le malheur rattrape le succès avec la mort de son père, de sa grand-mère et de sa nièce.
Fatiguée par ce rythme incessant, pouvant aller jusqu’à dix mois de tournée, Françoise décide de réduire ses déplacements et de prendre soin d’elle en se construisant une maison aux Sables-d’Olonne. Elle fait une rencontre déterminante avec Catherine, une thérapeute, qui va l’aider énormément dans l’acceptation, le pardon et la guérison. Surtout, elle ne désespère toujours pas de trouver le grand amour de sa vie. En septembre 2015, lors d’un déplacement à Gap avec ses amis magiciens les Dressing Flash, les prières de la jongleuse et la félicité semblent se réaliser avec la rencontre de Stéphane Delvaux alias Elastic, le gag man visuel belge. Une nouvelle voie s’ouvre avec cet alter ego sur scène et dans la vie privée malgré des épreuves qui viennent rappeler à Françoise Rochais sa condition de femme mature.
Il aura fallu une force de caractère et un dépassement de soi total pour arriver à surmonter ces terribles épreuves et entrevoir un bonheur durable. Il reste encore un long chemin et de belles histoires à écrire en espérant que les tourments de la vie s’apaisent et que l’éclaircie gagne enfin durablement l’âme de cette prodigieuse jongleuse solaire. Que ce combat et cette leçon de résilience puissent aider les personnes qui ont vécu ces mêmes traumatismes et qu’ils soient capables d’entrevoir un jour la paix intérieure.
A lire :
– Jongler à la vie, à la mort de Françoise Rochais (Editions Max Milo, janvier 2022).
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