Extrait de la revue L’Illusionniste, N°66 d’avril 1907
Je crois que je ne saurais mieux vous présenter notre héros qu’en citant d’abord ce qu’écrivait de lui — bien qu’il ne le nommât pas — notre excellent ami Raynaly dans ses Propos d’un Escamoteur : « Que vous servira-t-il d’apprendre — disait-il— que X… professe pour son art un enthousiasme difficile à décrire, que pour lui il n’y a rien au dessus de la prestidigitation ? Quand il n’en fait pas, il en parle ; quand il n’en parle pas, il en rêve ; quand il n’en rêve pas, il y pense ; et quand il n’y pense pas… c’est qu’il pense à autre chose ! Il sort alors de son état normal, mais il n’en sort pas souvent. Son langage a un petit goût de terroir d’une saveur particulière. Il attache à ses expériences une importance comiquement capitale. Pour lui, les secrets d’Etat et les mystères de l’antiquité ne sont que de vulgaires plaisanteries auprès des expériences qu’il présente lorsqu’il exhibe son noble talent. Ne lui dites pas qu’il existe un art supérieur à la Prestidigitation. Pour vous prouver le contraire, il vous ferait un discours tellement macaronique que vous ne sauriez ou mettre vos mains. Ce n’est plus de l’amour, c’est de la passion, c’est de la rage, de la frénésie. Il faut voir avec quelle sainte vénération il prépare sa boîte pour donner une séance. Disons, pour être sincère, qu’il travaille bien et présente de jolis trucs. »
Mais cette peinture, si intéressante et si plaisante soit elle, ne suffisant pas encore pour faire parfaitement connaître l’inénarrable type qu’est notre Folletto, je résolus de me rendre auprès de lui afin de l’interviewer et de livrer ensuite simplement à mes lecteurs le compte-rendu de notre conversation. Ce fut aux Folies-Bergère qu’eut lieu cette sensationnelle rencontre ; car, entre nous soit dit, où trouver Folletto sinon aux Folies Bergère !… il y est tout les soirs. Après les salamalecs d’usage avec lui, salamalecs qui laissent bien loin derrière eux les salutations emphatiques des Orientaux, et nous être traités réciproquement de Flot d’Or en fusion, de Diamant quintessencié et même de Bloc de Radium, je repris mon rôle de biographe sérieux et lui adressai les questions d’usage auxquelles il répondit comme vous allez l’apprendre.
– Où êtes-vous né ?
– A Mortera (Lomellina), Italie, le 21 mars 1853, à 6 h du soir, un lundi. Immédiatement et, en une minute, on tira six cent mille coups de canon ; ces détonations eurent une telle force que tout le monde eut le tympan perforé et que le sang coula des oreilles des assistants émerveillés…
– À quel âge avez-vous débuté dans la Prestidigitation ?
– Vers mon quatrième lustre, je partis pour une universelle tournée avec le comte Patrizio di Castiglione. Je l’aidais sur la scène…
– Comme servant ?… (un bond de Folletto arrêta la parole sur mes lèvres, et c’est d’une voix indignée qu’il me reprit).
– Servant !… Comme c’est commun !… Gomme page !… Je conservai auprès de lui cette gracieuse fonction tant qu’il ne voyagea qu’en Espagne, mais lorsqu’il décida de quitter Cadix pour partir en Amérique où régnait alors la fièvre jaune, je refusai de le suivre ne voulant pas mettre en péril ma précieuse existence. Et puis, Paris m’appelait. Je sentais que là seulement le Prestidigitateur, essence immanente du Créateur, Foyer incandescent de l’Intelligence humaine, pouvait établir son influence irrésistible et donner libre essor a son art merveilleux. Je suis donc arrivé dans la Ville-Lumière le 28 octobre 1876, à 8 h 30 du soir, un samedi. Et Folletto ajoute en riant : « je sais bien les dates, puisque je fais les calendriers. » Mais il reprend vite son sérieux pour me conter son entrée à Paris.
– Dès que je sortis de la gare, la ville entière sembla s’éteindre, les malheureux becs de gaz parurent subitement couverts d’un épais brouillard ; l’électricité même, s’il y en avait eu, aurait pâli devant le Soleil irradiant qu’était ma personne. Les mortels qui me rencontrèrent, en eurent les yeux tellement éblouis que depuis… ils portent des lunettes bleues.
Et les réponses se continuaient ainsi ; pour un seul mot de ma part c’était une telle avalanche de réparties fantaisistes et abracadabrantes que j’en suis à peine revenu. D’ailleurs, pour peindre exactement mon interview à mes lecteurs, il faudrait que je puisse l’écrire avec le zézaiement et la prononciation spéciale à ce cher Folletto surtout lorsqu’il parle de la Prestidigitation « oune arte si zoli ! » Enfin j’ai pu retenir que son père, qui était établi pharmacien droguiste à Mortera, était un spectateur assidu des représentations données par les Prestidigitateurs de passage, il ne manquait pas d’y conduire son fils qui eut ainsi l’occasion de voir Buatier de Kolta à l’époque de ses débuts en 1867. Folletto me dit : « Cette séance fit jaillir en moi la magique étincelle. Je m’en souviens comme si c’était hier : Buatier était vêtu d’un costume de velours noir comme en portait Bosco. »
En 1880, je revis ce grand prestidigitateur au Bijou-Concert, faubourg Poissonnière. J’allais l’applaudir chaque soir en compagnie d’une docte phalange comprenant : Tissot, de Thorcey, Cordelier, Dieudonné, etc. J’eus l’honneur de faire sa connaissance et d’être reçu chez lui, rare privilège pour qui connaît la misanthropie de ce grand inventeur, si rarement jugé à sa valeur. Voici une lettre de lui.
– Maintenant, dites-moi, je vous prie, afin que j’en fasse part à mes lecteurs, quels sont les principaux endroits où vous avez travaillé ?
Folletto passa par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, puis semblant faire un puissant effort sur lui-même pour recouvrer son sang froid, il mit sous mes yeux un objet bizarre que je pensais être un fétiche, et me dit : Voici un coq en zinc ; apprenez, Monsieur, que je ne suis jamais monté en poser au sommet du clocher des églises. Les prestidigitateurs ne travaillent pas, ils exhibent leur noble talent. Puis, comme pour terminer, je réclamais à Folletto, quelque photographie destinée a orner la première page de L’illusionniste. Il jeta encore les hauts cris et se fâcha presque en me disant : Mais ignorez-vous donc qu’aucun appareil n’a jamais pu fixer l’incandescence lumineuse de mes traits. Mon seul passage devant la maison d’un photographe, mais c’est la mort de toutes les plaques et de tous les produits si bien cachés soient-ils !
– Je possède cependant un portrait de vous dans ma collection…
Folletto en fut suffoqué et quand je le lui mis sous les yeux, il m’exprima son admiration pour la documentation dont s’entoure L’Illusionniste. Cependant tout en me témoignant sa haute estime pour notre publication, il ne me cacha pas son mécontentement d’y voir publier les explications des plus jolies découvertes de la Magie ; car il a en horreur la vulgarisation. Je profitai de cette circonstance pour lui affirmer que le Journal L’Illusionniste sait apprécier tous les talents et rendre hommage à tous les artistes de mérite, abonnés ou non. Car disons-le, Folletto n’est pas de nos abonnés, ce qui me place en attitude excellente pour lui témoigner toute ma sympathie.
J. CAROLY.
FOLETTO par Akyna et Morax
Joseph Ferraris est né à Mortara Lomellina (Italie) le, 21 mars 1853. Il débuta au théâtre Robert-Houdin le 10 avril 1901. En réalité suite à l’incendie chez Tourtin le photographe, successeur de Lumière qui exerçait au dessus du théâtre, le spectacle fut déplacé vers la salle des Capucines, ancienne salle des frères Isola. Méliès dira de lui : « Il fut le bouffon de la Reine des Arts ! C’est lui du reste qui inventa cette dénomination… C’était un blagueur infernal, intarissable ; son accent italien ajoutait à la cocasserie de ses éloquentes dissertations ! Ainsi appelait-il ses boniments, en dehors de cela excellent artiste, très sérieux au travail, méticuleux en diable même, à l’excès plaisant, bien à la scène et encore plus en séances privées. » Le 6 décembre 1905, il joua pour le gala du centenaire en l’honneur du Maître, et en 1906 il se lia d’amitié avec Houdini. En juillet 1916 Folletto joue au Musée Grévin en alternance avec Carmelli et Frémeaux, puis revient au Théâtre pour les matinées des jeudi et dimanche. Au début de 1919, gravement malade il est remplacé par Maurier. Il décédera à Paris dans le 10ème arrondissement le 20 février 1919.
A lire :
– Eloge à l’art sublime de la prestidigitation.
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