En 2012, Cyril Lefebvre1 m’avait contacté pour monter un festival de magie à Montbard. Une aubaine pour une région désertée par ce genre de spectacles2. Après plusieurs rencontres, nous avions abouti à l’organisation d’une Nuit de l’Illusion avec un plateau d’artistes comprenant Michel Dejeneffe et Tatayet, Kenris Murat, Parenthèse cubique, Mikael Szanyiel, Eric Leblon et Frank Truong. Une soirée programmée le samedi 27 avril 2013 et délocalisée à la salle des fêtes de Semur-en-Auxois. Malheureusement, le destin en aura voulu autrement. Cette soirée n’eut jamais lieu à cause du décès prématuré de mon collègue début 2013.
Voir arriver, dans la petite ville fortifiée de Semur-en-Auxois, un festival en 2019 était un signe du destin et un désir enfin achevé. Ainsi, « le plus grand festival de magie d’Europe » Vive la magie a posé une nouvelle fois ses valises en Bourgogne le temps d’un week-end pour sa deuxième édition, après « une pause Covid ».
Grâce à Marie Alison, la chargée de mission culture et directrice du Théâtre du Rempart, la ville a pris en charge l’accueil des différents artistes dans trois lieux privilégiés : la bibliothèque municipale, le Théâtre du Rempart et l’ancien tribunal. Trois endroits, trois ambiances avec du close-up (le samedi après-midi), un gala (le samedi soir) et une conférence le dimanche après-midi. C’est une situation rarissime et idéale pour les Souchet, programmateurs de l’événement, que d’être soutenue par une municipalité et de ne pas être obligés de louer une salle avec toutes les incertitudes (finance et fréquentation) que cela comporte.
Malgré un taux de fréquentation en berne des salles de spectacle depuis septembre, cette année marque le retour du public avec un beau succès, remplissant à chaque représentation la jauge maximale, démontrant que la magie attire un public familial et multigénérationnel.
CLOSE-UP
Pendant deux heures, le public va déambuler dans les différentes pièces et entre les livres pour découvrir trois univers de la magie de proximité avec François Normag, Anaël Meunier et Gérard Souchet.
François Normag propose aux spectateurs des classiques de la magie comme une routine de gobelets qui se termine par l’apparition de quatre grosses balles. Vient ensuite une routine de torsion de cuillère où le spectateur dit stop sur une série de petites photos de cuillères (maintenus par un élastique) et signe sur le manche. La vraie cuillère est alors placée sous un foulard (comme un mini « cabinet spirite ») et se met à bouger toute seule pour se révéler tordue. La photo est alors retirée de l’élastique et montre la cuillère tordue, comme en vraie, avec la signature sur le manche. François Normag propose ensuite à une spectatrice de gagner 200€ si elle retrouve une carte signée et perdue dans le jeu. Après avoir fait remonter plusieurs fois la carte (Référence : Carte Ambitieuse), le jeu est coupé en deux et la spectatrice pose sa carte sur l’un des deux paquets avant de reconstituer le tout. Le magicien retourne alors la situation et somme un autre spectateur de faire remonter la carte de la spectatrice et s’il réussit, c’est lui qui lui donnera 200€. Ce n’est malheureusement pas la bonne carte qui remonte sur le dessus du jeu. Qu’à cela ne tienne, le magicien change immédiatement cette « erreur » en carte signée, qui se retrouve ensuite dans un portefeuille rangé dans sa poche de veste. Pour terminer, la carte signée est placée librement dans le jeu par le spectateur et le paquet est placé dans l’étui. Le tout est maintenu fermement par l’assistant occasionnel et on voit la carte choisie sortir doucement du paquet (Référence : Rasing card).
Anaël Meunier présente au public une « nouvelle » baguette magique sous la forme d’une petite ventouse (modèle réduit d’un déboucheur pour W.C). Après quelques blagues sur sa fonction (corne de licorne sur le front), il propose à un enfant de soulever le nombre de cartes choisies dans un paquet. Le magicien chuchote alors à la ventouse le nombre, place l’objet sur le jeu et soulève le nombre exact de cartes. L’opération est répétée plusieurs fois. Une carte est alors librement choisie et perdue dans le jeu. L’enfant se saisit alors de la ventouse qui soulève toutes les cartes au-dessus de la carte choisie. Très ludique et participatif (Référence : Magic Plunger de Tenyo).
Anaël enchaîne avec une routine classique pour quatre anneaux chinois de close-up. Ensuite, cinq cartes sont déchirées en deux dans le sens de la largeur. Un spectateur choisit un bout au hasard ; les autres étant disposés face en bas sur le tapis par ligne de trois. Le spectateur est invité à poser l’étui de cartes sur quatre morceaux de son choix et fait de même avec un stylo. Petit à petit les morceaux sont éliminés pour n’en garder qu’un (au choix du spectateur). Le morceau restant correspond à la première moitié choisie au début du tour.
Anaël nous propose une grande illusion en miniature. Celle de « la femme transpercée ». La boîte est remplacée par une enveloppe, la partenaire est représentée sous les traits d’une cuillère à soupe et la lame a les traits d’un couteau. Après avoir placé la cuillère dans l’enveloppe (manche visible), le magicien transperce le cuilleron avec le couteau. Les matières semblent fusionner pour révéler au final une transformation : celle de la partenaire transformée en fourchette.
Après un échauffement des doigts qui voit le pouce du magicien s’allonger (Référence : Thumbalong de Martin Gardner et Dan Harlan), une couleur préférée est demandée à un enfant (bleu). C’est alors que le magicien fait apparaître une petite balle bleue et la dédouble. Les deux balles permutent alors d’une main à l’autre puis dans celle de l’enfant (Référence : routine classique de balles éponge).
Anaël termine sa prestation avec la présentation d’un jeu de cartes représentant différentes paires de chaussettes. Le jeu est séparé en deux paquets, face en bas, et le magicien fait défiler les cartes une par une en les retournant face en l’air en même temps. Au stop du spectateur, deux cartes sont mises de côté (face en bas) et le magicien continue sa distribution pour bien montrer que les paires sont différentes à chaque fois. Les deux cartes sont retournées face en haut et on s’attend à voir une correspondance de modèle… mais c’est une paire dépareillée ! C’est alors que le magicien montre qu’il avait prévu le choix du spectateur en révélant ses propres chaussettes à ses pieds, identiques aux deux cartes (Référence : Socks de Michel Huot).
Gérard Souchet commence par une énigme topographique (qu’il distribuera à la fin aux enfants) représentant un groupe de six personnages et quatre chapeaux (hauts-de-forme). Après une inversion des deux parties supérieures du dessin, un personnage disparaît et un chapeau apparait (Référence : The vanishing magician d’Ali Bongo). Gérard Souchet exécute ensuite le Tour des trois cordes (Référence : Professor’s Nightmare) sur un texte de Jean Merlin (Les trois sœurs). Puis Le fil hindou (Référence : Gipsy Thread) sur un beau texte qui « réunit » les liens que nous tissons ensemble. Pour conclure en beauté, le magicien présente un pliage en carton souple. Il fait choisir une carte librement et la perd dans le jeu. Après différentes transformations qui s’enchaînent (une couronne, un canard, un renard, une poule, un bateau à voile, une barque, une étoile, une cabane, un interrupteur, une boîte), le magicien retrouve la carte du spectateur à l’intérieur d’une boîte. Voir le papier se transformer au grès de l’histoire est vraiment étonnant et subjugue petits et grands par la simplicité minimaliste des évocations. (Référence : Origamagique de Ludovic Toulouse)
GALA
C’est le grand moment du festival avec un plateau de six artistes d’une grande qualité, qui montre toute la diversité de l’art magique. Au Programme : François Normag, Adrien Quillien, Nathalie Romier, Laurent Piron, Mikaël Szanyiel et Jérôme Murat.
Comme à son habitude, François Normag (habillé d’un costume en velours violet, gilet orange, haut-de-forme noir et rouge, canne éclaire), joue le maître de cérémonie avec gourmandise et en profite pour réaliser des petits numéros entre chaque artiste. D’abord un hommage au music-hall avec la transformation d’un foulard en canne, l’apparition d’un éventail et d’une colombe, puis d’une deuxième sous couvert d’autres foulards. Deux grands anneaux chinois s’enclavent et se désenclavent avec sur chacun une colombe qui reste en équilibre. Pour terminer, les deux colombes sont placées dans une cage à disparition et se transforment en lapin.
Deuxième passage avec le « dressage d’un fantôme » grâce à une clochette. François Normag confie la clochette à un spectateur qui n’arrive pas à la faire sonner (gag répétitif). Le magicien, transformé en médium, se propose d’attraper un fantôme en le fabriquant avec un mouchoir surmonté d’un nœud (Référence : Spirit handkerchief). Le médium prend un de ses cheveux (gag du chauve) et commence à animer la « tête de nœud » du mouchoir. Le foulard s’anime ensuite derrière une mallette disposée sur un guéridon, derrière un foulard (Référence : lévitation Kellar), puis dans la main et sur l’épaule du médium.
Troisième passage avec un hommage aux indiens. François Normag est affublé d’un chapeau melon avec des plumes dessus. Après un chant rituel repris avec le public, le magicien montre une boîte avec écrit dessus « Danger ». Cette dernière est montrée vide puis fait apparaître Patrak, un animal totem sous les traits d’un raton laveur (Référence : The Raccoon). Vient ensuite un numéro d’hypnose avec l’animal qui est mis en catalepsie pour être placé dans une petite boîte verticale (la tête et la queue dépassent) et être coupé en trois puis reconstitué (Référence : Zig Zag Raccoon / Zig Zag Girl).
Quatrième passage avec une chasse aux pièces classique accompagnée d’un enfant.
Cinquième passage avec la description audio d’un cours de magie grâce à une chaîne Hifi vintage. Comment devient-on magicien ? Grâce à des livres, mais aussi avec des cours par correspondance. François Normag insert un CD avec « le cours n°1 » qui propose d’apprendre le Tour des trois cordes (Référence : Professor’s nightmare) pas à pas. Mais cela s’avère moins facile que prévu et l’apprenti magicien Normag se prend littéralement la tête avec la voix du CD (gags verbales). En colère, il fait disparaître la chaîne Hifi sous couvert de sa veste.
Sixième et dernier passage avec la présentation d’une œuvre d’art contemporaine intitulé Mur de briques sur fond bleu, d’une valeur de 850 000€. C’est une œuvre évolutive sous forme de pièces de puzzle géométriques symbolisant le spectacle (Référence : Paradoxe de Winston Freer). François Normag va passer en revue toutes les composantes symboliques de la réussite d’un spectacle, pièces par pièces (en les retirant du cadre) : un festival idéal, un théâtre, des artistes, de la lumière, de la technique, du mystère, des répétitions, de l’humain, une équipe organisatrice et l’élément le plus important : la passion. Les éléments sont ensuite remis un par un et le public s’aperçoit qu’il y a deux espaces vides. Le magicien annonce que l’on peut ajouter deux nouveaux éléments pour parfaire le tableau du spectacle idéal : un présentateur et un public en or ; faisant ainsi monter le prix de l’œuvre à 950 000€ ! Une très belle présentation scénique de ce paradoxe qui sort des sentiers battus.
Adrien Quillien ouvre le gala avec un numéro festif et dynamique en mode apéritif magique. Il fait apparaître une bouteille dans un effet pyrotechnique, fabrique des « potions magiques » sur une musique swing où des citrons apparaissent de trois shakers à cocktail et disparaissent un à un de façons différentes (en confettis et en serpentins). Un citron se retrouve collé à son chapeau. Des pétards retentissent et le magicien-barman jongle avec ses shakers. Il fait ensuite apparaître des piles entières de verres à shot sous les shakers, allume deux grosses bougies en feu et produit des glaçons puis de l’eau des shakers. Le tout est versé dans la ligne de verre qui fait apparaitre un liquide de couleurs différentes à chaque fois. Pour finir en feu d’artifice, le magicien actionne une bombe lance-flamme et fait apparaître un citron géant, puis un shaker géant sous sa veste.
Premier prix de manipulation et Champion de France de magie de scène en 2017, le Bar Act d’Adrien Quillien est taillé pour le spectaculaire malgré un début qui tâtonne et qui mériterait la suppression des passages parlés. Sa réécriture des classiques (cups & balls) avec des accessoires modernes apporte un vent de fraîcheur aux manipulations où le magicien et le serveur, l’alchimiste et le cocktailiste se confondent judicieusement. Un mélange des genres qui doit beaucoup à la formation de manager de bar et restaurant de son auteur lors de son passage à l’École supérieure de cuisine française Ferrandi.
Une femme bohème, interprétée par Nathalie Romier, traine une grande malle et une poule suit ses pas (sous la forme d’une marionnette). D’un coup, la femme rabat la malle sur la poule et l’écrase dans un rire nerveux. La femme se place alors derrière la malle, à la verticale, où une petite fenêtre s’ouvre comme un castelet. Elle y apparaît déguisée en Edith Piaf et chante Milord. La poule réapparaît avec elle dans la fenêtre. Un nouveau changement de costume et Nathalie Romier apparaît sous les traits d’Aznavour. Nouvelle transformation avec une robe noire et la chanson de Barbara, l’aigle noir avec la poule qui lévite derrière un foulard, à l’effigie d’un aigle (Référence : lévitation Kellar). Nouveau changement de costume sur la musique de Mon truc en plume (de Zizi Jeanmaire) et la poule est déplumée. La robe de la femme apparaît alors déchiquetée après un combat avec l’animal sous l’air de Quand on a que l’amour de Jacques Brel. Sous couvert d’un voile blanc, la robe en lambeaux se transforme en robe de bal blanche avec de petites fleurs rouges dessus. La transformation est saisissante. La chanteuse monte alors sur un piédestal et se met à léviter, faisant apparaître la poule sous ses pieds, qui chante à l’unisson avec elle.
Nathalie Romier, Championne de France de magie de scène en 2015, mêle chanson en direct, magie et Quick change avec son numéro de La poule Mistinguett (conçu et réalisé par Jérôme Murat) dans la pure tradition du music-hall. Si sa prestation plaît au public, elle n’en demeure pas moins systématique, sans véritables surprises et légèrement veillotte.
Dans un décor d’atelier, Laurent Piron interprète un concepteur-designer en bleu de travail qui griffonne sur un carnet de dessin le croquis d’une lampe. On entend le bruit du feutre amplifié par la bande son. La feuille se plie alors toute seule et disparaît dans un chapeau. Elle réapparaît, légèrement dépliée, et se froisse à nouveau dans les mains du designer puis rampe sur le sol jusqu’à se cacher sous un des cartons qui jonchent le sol. La feuille est à nouveau froissée et jetée dans un carton et se téléporte dans un autre plusieurs fois de suite. Le carton se met à léviter dans les mains du designer et il réussit à dompter la feuille qui lui obéit et joue à cache-cache. Il finit par fixer le dessin sur un tableau et construit avec des cartons le modèle de la lampe dessinée à grande échelle. Une vraie ampoule est alors visée dans l’abat-jour et s’éclaire. La feuille se froisse de nouveau toute seule et se cache dans le bleu de travail du designer pour être ensuite placée dans un bocal transparent, qui fait léviter l’homme (superbe effet). C’est alors que le papier disparaît à l’intérieur du bocal en s’enflammant tout seul, réduit à des cendres (très poétique).
Le belge Laurent Piron a été sacré Champion d’Europe de magie en 2021 avec son Paper Ball Act (créé en 2019 avec sa compagnie Alogique), une subtile métaphore de la création où il donne une réinterprétation du Foulard spirite (Spirit handkerchief) avec des objets épurés du quotidien dans le cadre d’un atelier de travail de design d’objets. Nous sommes ici dans la tête du concepteur-magicien qui créé ses objets-illusions et matérialise ses idées qui évoluent au fil du temps et prennent vie. Avec une économie de moyen et une scénographie minimaliste, Laurent Piron offre une belle épure aux spectateurs avec cet univers singulier et un brin surréaliste.
Cela fait maintenant seize ans que Mikaël Szanyiel présente dans le monde entier son numéro du Magic Maestro avec la même énergie et le brin de folie qui l’anime et c’est toujours un succès. Le numéro n’a pas vieilli car il est intemporel et convoque un univers et des accessoires reconnaissables par tous les publics à l’international. Le magicien a eu l’intelligence de travailler des situations burlesques par le mime et la gestuelle qui rappellent les grandes heures cinématographiques des comédies américaines de la première moitié du XXe siècle et des cartoons des années 1940-1950.
Le gala se conclut par un des numéros visuels les plus beaux du monde avec La statue à deux têtes de Jérôme Murat. Une pièce d’une suprême délicatesse qui a enchanté un public international depuis les années 1990.
CONFERENCE
Le cadre solennel de l’ancien tribunal de Semur-en-Auxois accueille le grand Gaëtan Bloom pour une conférence-spectacle inédite et sur mesure à destination du grand public ; un genre normalement réservé aux corporations magiques. Bloom va nous montrer comment fonctionne le cerveau d’un magicien quand il conçoit un numéro de magie et la construction d’une présentation.
L’envie du grand public étant toujours en attente, Gaëtan Bloom se propose de montrer des choses simples expliquées et d’autres non. La magie est basée sur deux principes essentiels : le détournement d’attention et la curiosité. Le fait de regarder les choses autrement change considérablement notre créativité.
Gaëtan Bloom demande au public de participer au « test des deux index » (les yeux fermés) comme dans le préambule d’un numéro d’hypnose de spectacle. Par cette expérience, le magicien démontre que ce phénomène n’a rien à voir avec de l’hypnose mais est un mécanisme naturel (les doigts se fatiguent et se resserrent automatiquement) qui permet à l’hypnotiseur de choisir des sujets « réceptifs » pour la suite de sa démonstration employant plus de compères que de vrais spectateurs…
Gaëtan Bloom évoque la citation de Robert-Houdin : « Un prestidigitateur n’est point un jongleur ; c’est un acteur jouant un rôle de magicien » et affirme que le magicien, quel qu’il soit, doit croire en sa magie pour faire adhérer le public !
Bloom nous montre et nous explique une expérience avec une petite figurine d’extraterrestre enfermée dans une bouteille remplie d’eau, qui monte et descend aux ordres du magicien. Ce tour est décrit dans le bestseller La science amusante de Tom Tit (Arthur Good) datant de 1889. L’introduction de ce bouquin résume bien, le but de la conférence de Bloom : « Parmi les expériences contenues dans ce livre, les unes sont de simples jeux destinés à récréer parents et enfants, lorsqu’ils sont réunis le soir autour de la table de famille. D’autres, au contraire, d’un caractère vraiment scientifique, ont pour but d’initier le lecteur à l’étude de la physique… »
Effectivement, la magie est un des premiers spectacles que l’on faisait en famille : des ombres chinoises projetées sur les parois des cavernes aux tours « récréatifs » de fin de repas. Aux XVIIIe et XIXe siècle, beaucoup de magiciens s’intéressaient à la science (voir Robert-Houdin) et reprenaient à leur compte des expériences de « sciences ou physiques amusantes ».
Bloom nous montre un tour saisissant avec une simple ficelle et une bague empruntée. Il fait participer un enfant pour l’expérience. Il montre deux bouts de ficelle (quatre bouts) et place dans la main de l’enfant les deux bouts qu’il souhaite et fait dépasser de son poing. L’enfant choisit alors un des deux bouts restant à l’autre extrémité pour enfiler la bague. Celle-ci tombe dans le poing et quand le magicien tire sur ses deux bouts, la bague s’enclave magiquement sur une seule ficelle raccommodée (la deuxième ayant disparu). Tout peut-être donné à l’examen. Avant de nous expliquer les principes (de la « double » ficelle et du « choix équivoque »), Bloom nous rappelle qu’en magie il n’y a pas qu’une seule explication à un tour, mais autant de solutions possibles. Il faut aussi savoir « habiller » une routine avec une histoire.
Gaëtan Bloom nous montre ensuite un casse-tête en bois d’où sort une tige accrochée par un soi-disant élastique. Tige qui est tirée et qui revient à chaque fois se loger dans son foyer. Quand le spectateur essaie, il n’y arrive pas et se rend compte qu’il n’y a aucun élastique qui relie les deux morceaux. Le magicien ancre son histoire dans l’enfance où il s’amusait à éjecter des noyaux de cerises entre ses doigts.
Le magicien polonais Max Malini (1873-1942) travaillait pour les Rois d’Europe et avait une technique pour se faire embaucher par les gens riches. Il côtoyait les grands hôtels et invitait leurs locataires occasionnels à des représentations magiques dans l’établissement. C’est ainsi qu’une grande partie de la société mondaine le voulait chez eux. Après cette introduction, Bloom nous présente un des tours inventés par Malini : La pièce déchirée. Une pièce de monnaie empruntée est emprisonnée dans un morceau de papier sur ses quatre côtés. Malgré cela, le papier est déchiré et la pièce disparaît. Bloom explique le principe à plusieurs enfants qui remontent le tour en pliant d’une certaine façon le papier pour permettre la libération secrète de la pièce à un moment de « faible attention ».
Voici un tour de cartes diabolique révélé par Gaëtan Bloom avec le concept « îles / pas îles » (une carte « close » étant « une île »), un système de classement invisible qui permet de repérer une carte « intruse » parmi d’autres. Le magicien demande à une jeune fille de choisir une carte au hasard dans un paquet (la carte à retenir), puis d’en choisir quatre autres et de les mélanger à la première carte choisie. Les cinq cartes sont étalées face en l’air et le magicien devine la carte choisie grâce à un trombone se baladant sur un élastique et s’arrêtant sur la bonne carte.
C’est maintenant un tour de « numéromagie » avec un jeu marqué sur son dos (avec des numéros au feutre). Le magicien fait une triple prédiction et demande ensuite, tour à tour, à trois spectateurs différents une carte en choisissant d’abord un numéro entre 1 à 20, ensuite un numéro entre 30 et 52, puis une carte face en l’air librement choisie au stop dans le jeu. Les trois cartes sont alors retournées et correspondent aux prédictions du début.
Un nombre entre 1 et 100 est demandé dans la salle et écrit sur un carnet. Le magicien invite toute la salle à se lever. Une spectatrice ouvre une enveloppe visible depuis le début de la conférence et en sort une lettre avec écrit dessus : « Dans mon rêve c’est une femme qui gagne, elle a des chaussures noires, un peu plus de trente ans, des cheveux blonds, un pantalon de couleur, une écharpe orange et elle me répond Christiane. » Au fil des descriptions successives, les personnes non concernées s’assoient. Au final, il ne reste plus qu’une seule personne correspondant à toutes les descriptions : la spectatrice qui se trouve à côté du magicien depuis le début.
Une nouvelle prédiction dans une enveloppe est confiée à un enfant. Un spectateur est invité à choisir un journal ou un magazine parmi une vingtaine disponible sur une table. Le magicien lui demande de lancer un dé invisible et d’annoncer son résultat (par exemple : 4). La page 4 du magazine est déchirée, puis une nouvelle fois en deux. Le spectateur donne un des deux morceaux au magicien qui le met à la poubelle. Il plie son bout en six qui est ensuite coupé plusieurs fois. Les bouts sont mélangés et le magicien laisse tomber les morceaux un à un. Au stop du spectateur, deux morceaux sont dans chaque main et il faut en choisir un. A la manière de Robert-Houdin, Gaëtan Bloom récapitule toutes les actions menées « librement » par le spectateur pour déterminer, au final, un seul bout. Maintenant, le magicien demande au spectateur de prendre connaissance de ce morceau et de penser à quelque chose qui est écrit dessus. L’enveloppe est alors ouverte et la prédiction correspond au mot pensé. Le magicien demande alors au public comment le tour peut bien marcher, avant de révéler une autre prédiction dans un sac noir, visible depuis le début du tour, dans lequel le même journal choisi est révélé contenant qu’une seule page, le numéro 4 avec le nom choisit qui est entouré au feutre.
C’est l’heure de « la pêche aux canards » avec un dispositif fabriqué maison : un plateau tournant sur lequel sont disposés des boîtes surprises. Les enfants, munis de mini cannes, sont invités à pêcher les boîtes. A la fin, toutes les boîtes sont prises sauf une. Elles sont ouvertes et révèlent des bonbons. Quant à la dernière, elle contient… un billet de 50€.
Un spectateur garde une nouvelle enveloppe à prédiction. Une boulette est envoyée trois fois dans la salle et la personne désignée imagine un jeu invisible et nomme une carte au hasard. L’enveloppe est ouverte et contient un jeu de cartes cacheté. Le boitier est ouvert et le paquet étalé face en l’air. Une seule carte apparaît face en bas. Elle est retournée et il s’agit de la carte nommée (Référence : Brainwave).
Pour finir cette conférence, une épuisette est tenue par une spectatrice et un paquet de cartes est mélangé. Au stop, des petits paquets sont éliminés et jetés dans l’épuisette suivant les choix de la spectatrice. Elle est ensuite invitée à poser le doigt sur une des six cartes restantes, face en bas. Le magicien lui demande d’imaginer une ville à 4/5 lettres maxi puis de révéler le surnom de son chéri. Une enveloppe géante est alors saisie par le magicien qui gribouille dessus au feutre le mot « NON » (gag). Il révèle ensuite à l’intérieur un grand papier plié où sont révélés successivement : le premier mot choisi dans le magazine (dans l’expérience des journaux), la ville choisie, le surnom du chéri et la carte choisie.
Ainsi se termine cette intervention généreuse de Gaëtan Bloom, véritable « Géo Trouvetou » de la magie, maître dans l’art de recycler de vieux principes oubliés et de les remettre en lumière. Car c’est bien connu : « c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes. » C’est pareil pour la magie !
Conclusion
Comme à leur habitude, Gérard et Monique Souchet portent à bouts de bras ce festival unique et familial avec une vraie exigence artistique et un sens de l’accueil incomparable. Ils n’hésitent pas à braver les difficultés financières et organisationnelles pour toujours proposer au public l’excellence. Parcourant les routes de France, chouchoutant leurs artistes (qui se pressent pour venir travailler avec eux), ils se battent pour la démocratisation et la diversité de l’art magique auprès du grand public.
Notes :
1 Directeur de la Maison des jeunes et de la culture (MJC) de Montbard entre 2008 et 2010, Cyril Lefebvre (1972-2013) originaire de Laon dans les Ardennes, s’était engagé dans la vie culturelle montbardoise avant de monter sa propre maison de production Cyril Lefebvre Evènements en juillet 2012. Une société d’évènementiels des arts du spectacle vivant qu’il voulait hétéroclite.
2 A part les Scènes magiques, le festival de magie de Mâcon créé par Stefan Leyshon en 2009 et 2011, puis récupéré par la ville depuis 2013, tous les deux ans.
A visiter :
– Le site du Festival International Vive la Magie.
A lire :
– Le festival à Dijon.
– La conférence d’Hector Mancha lors de la première édition du festival à Semur-en-Auxois.
– La troisième édition du festival à Semur-en-Auxois.
Crédit photos : Monique Souchet et S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.