Eugene Greenleaf est né à Denver dans le Colorado le 19 août 1875. Son intérêt pour la prestidigitation vient d’une boîte de magie. Il se produit pour la première fois en 1890, à l’âge de quinze ans, comme « Eugene The Boy Magician » à l’Orpheum de Chicago. Il fait partie d’un numéro de vaudeville connu sous le nom du Carl Nillson’s Flying Ballet. Eugene rejoint ensuite une autre troupe The Magnascope Company où il joue son numéro entre des projections du tout nouveau cinématographe.
Eugene Laurant devient professionnel en 1896 et rencontre le succès en 1899 lorsqu’il est engagé pour jouer au Chutes Park à San Francisco. Un parc d’attractions ouvert depuis 1895 proposant aussi des spectacles dans un théâtre de trois mille places.
Sur les routes
À partir de 1900, Laurant commence ses grandes tournées à travers les Etats-Unis avec le Chautauqua1 (dont la première se tient à Boulder, Colorado) et le Lyceum2 sous les noms de « The Man of Many Mysteries » et « The Foremost Lyceum Magician ». Il devient la tête d’affiche du Boston Lyceum Bureau de James Redpath et est très apprécié du public des petites villes américaines qui le considère comme « le roi des forains » et l’égale de Thurston et Kellar. Laurant passe tout de même par New York en 1904 et, alors que la Première Guerre mondiale éclate, il continue les circuits jusqu’en 1928.
Laurant a passé près de cinquante saisons en tournée, parcourant des millions de kilomètres à travers l’Amérique. Contrairement à ses contemporains (Houdini, Thurston, Raymond…), la majeure partie de sa carrière s’est déroulée sur les routes secondaires et accidentées de l’Amérique rurale et non pas dans les grandes villes animées. Laurant a eu l’intelligence d’aller là où ses concurrents n’étaient pas, préférant les chemins de traverse et les chapiteaux montés aux théâtres luxueux des institutions.
Son répertoire
Sur une scène surmontée de draperies couronnées d’un « L » géant, Laurant et sa compagnie construisent un grand spectacle familial qui laisse une place importante aux enfants, que le magicien aime initier à son art.
Il présente un numéro de chapeaugraphie3 (accompagné de vers rimés), une routine de Chinese Linking Ring pour onze anneaux (publiée dans le Tarbell’s Course In Magic Volume 4), une disparition de colombes dans une cage, une carte déchirée et restaurée, des « cartes aux enveloppes », The nest of boxes (quatre anneaux attachés sur un ruban, dans des boîtes, avec assistant), The sands of the desert, Soup plate and handkerchiefs (deux foulards disparaissent et réapparaissent sous une assiette à soupe disposée sur une chaise).
Laurant est le premier à introduire des grandes illusions dans les programmes Lyceum et Chautauqua. Il créé des numéros comme Le diner du Sorcier, Face à face avec Satan et La Sorcière du Feu (The Witch of the Flame). Cette dernière grande illusion est son premier grand numéro scénique, qui a pour origine l’ancienne coutume hindoue qui consiste à brûler l’épouse du défunt. L’histoire, racontée par Laurant, est celle d’une belle princesse sur le point d’être brûlée et sauvée par un magicien qui l’a fait disparaître des flammes. Déguisé en moine hindou, Laurant place la princesse dans un coffre capitonné décoré de médailles et de petites fenêtres en forme de diamants à travers lesquelles on peut voir la victime. Une fois le couvercle fermé, le coffre est transpercé de deux épées puis ouvert et des flammes jaillissent. Le moine répète l’opération trois fois et un policier bondit sur scène. C’est alors que la princesse réapparaît saine et sauve. Le moine hindou montre que cette mise en scène n’est qu’une plaisanterie et le policier se révèle être Laurant en personne ! Ce tour n’est pas sans risque et faillit provoquer un énorme incendie à l’Iroquois Théâtre de Chicago en 1903. Laurant vend ensuite sa Sorcière du feu à Von Arx qui l’a présente en Orient.
Un artiste et un homme apprécié de tous
En tant qu’interprète, Laurant est aimé de tous les publics et sa présence est synonyme de succès dans un spectacle. En dehors de la scène, Il devient l’ami de tous les magiciens qu’il rencontre. Ses contemporains l’apprécient énormément et en font l’éloge, comme Howard Thurston, T. Nelson Downs ou Maurice Raymond. Peut-être aussi parce qu’il ne représente pas un « concurrent directe » pour ses collègues. Laurant s’engage naturellement dans la corporation magique en devenant président de l’Assemblée S.A.M. de Chicago, vice-président national du S.A.M. et vice-président de l’I.B.M. Alors qu’il se prépare pour un spectacle, Eugene Laurant décède subitement d’une crise cardiaque le 19 février 1944 à son domicile de Chicago, dans l’Illinois.
« La magie, en tant que forme de divertissement, aura toujours, je crois, une place dans notre monde bien occupé. La nouvelle génération n’est pas différente de l’ancienne. Il y a toujours un moment où nous aimons être mystifiés. Le lapin qui sort du chapeau ne mourra jamais, dès lors qu’il y aura des enfants pour s’en émerveiller. » Eugene Laurant
Notes :
1 Le Chautauqua est une forme de spectacle itinérant spécifiquement américaine (originaire de New York), organisée sous des chapiteaux parcourant les états du Middle West et proposant une représentation différente tous les soirs. Edwin Brush en est l’un des pionniers. Le Chautauqua est vite devenu une institution qui voyage à travers tous les États-Unis en présentant des numéros de divertissement ainsi que des conférences. Ces spectacles sous chapiteau n’ont lieu que durant les mois où le climat le permet et pendant l’hiver, les artistes se produisent dans des locaux en dur tels que des bâtiments municipaux ou des amphithéâtres. Des salles baptisées Lyceum. De nombreux magiciens se produisent sur le circuit Chautauqua dont : Al Baker, McDonald Birch, Charles Carter, Frank Ducrot, Paul Fleming, Jansen (Dante), Joseffy, Silent Mora, Nicola et Eugene Laurant.
2 Les Lyceums sont une série d’organisations qui parrainent une variété de programmes d’éducation publique et de divertissements. Ils prospèrent au milieu du XIXe siècle, en particulier dans le Nord-Est et le Midwest. Certaines de ces organisations ont duré jusqu’au début du XXe siècle. C’est Josiah Holbrook, enseignant et conférencier, qui fonde le premier Lyceum en 1826 à Millbury, Massachusetts. En 1831, plus de huit cents Lyceums existent. Au début, ce sont des organisations locales et en 1840, ils deviennent des institutions professionnelles qui embauchent des artistes externes et indépendants.
En 1868, James Redpath fonde le Boston Lyceum Bureau, où il négocie une rémunération élevée pour ses célébrités. Redpath veut faire tourner des conférenciers, des artistes et des musiciens. C’est ainsi que de nombreux magiciens mettent en vedette la musique dans leur numéro. Certains illusionnistes, comme Joseffy qui jouait du violon, sont aussi musiciens. D’autres embauchent des artistes musicaux pour apparaître avec eux. Ainsi, Walter Floyd, prétendant être le « premier magicien du Lyceum », en 1881, présente « une soirée de joie, de mélodie et de mystification ».
La liste des magiciens ayant tourné avec les Lyceums est conséquente : E. Clinton Adams, Anderson, Argus, Frank Armitage, Al Baker, Barton, Becker, Edgar Bergen, Bernilo, McDonald Birch, Harry Boughton (Blackstone), Evans Brown, Edwin Brush, Clinton Burgess, Caldwell, Loring Campbell, Black Carl, Carter, Chas. Craig, Richard Davis, DeJen, DeVilliers, Chas. Dietric, Frank Ducrot, John Duffy, Durno, Duval Bros., Ellwood, El Roy, Ferrante, Paul Fleming, Walter Floyd, Fox Novelty Company, Fredrik, Wm. Friedell, Eugene Frye, John Frye, Germain, Haenchen, Harrell, Hendrickson, SS Henry, Hlavin, Homar, Houston, Rupert Howard, Dr H. Sheng Huang, Ralph W. Hull, Phil Hunter, Hurd, Jean Irving, Arthur Irwin , Jansen (Dante), Joseffy, James Kater, L. Krieger, Kringsborg, Frank Lane, Laurant, The Great Lee, Lightner, Lockman, Mandy, Marco, Mardoni, Mario, Maro, Matt Martin, Hal Merton, The Milburns, Arthur J. Moose, Silent Mora, The Morphets, Ray Newton, Nicola, C. Porter Norton, W. Byrd Page, Pereira, WJ Poluhni, Powell, Ramona, Elmer Ransom, Razoux, Madame Reno, Reno, Ritchie, Roltaire, Rosani, JW Sargent, Seymour, Showe, Shungopavi, Bennett Springer, George Staples, Lee Stewart, Herbert Tabor, Tarbell, Herbert Taylor, Totten, Ulrich, Van Wagner, EM Vernilo, Dana Walden, Wallace, Robert Wassmann, Wilfrid C. Wilson et Bois.
3 La chapeaugraphie ou Chapeau de Tabarin est apparue avec son créateur Tabarin (Jean Salomon, 1584-1633) vers 1618, qui utilisait un feutre gris, troué en son centre, pour son numéro du Chapeau parlant. Cet effet, tombé dans l’oubli, est repris dans les années 1870 par Léon Fusier (1851-1901), Félicien Trewey (1848-1920), Hercat (R. D. Chater, 1843-1913), puis de nos jours par Harry Anderson (1952-2018), Paul Wildbaum (1957-2020), Sir Richard, Arturo Brachetti, Disguido ou Diaz Kristof.
À lire :
- Laurant : Man Of Many Mysteries de Gabe Fajuri (Squash Publishing, 2005).
Cet article a été publié pour la première fois dans le MAGICUS magazine n°234 (mars-avril 2022). Crédits photos – Documents – Copyrights : Collection S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.