Nous entrons dans une salle plongée dans le noir d’où ressort une dizaine d’installations placées sur des tables hautes. Un faisceau zénithal éclair chaque élément comme dans une scénographie muséale. Cette mise en lumière révèle des phénomènes impossibles arrêtés dans le temps ou habités de mouvements invisibles.
Les nuages de coton
Une série de nuage mit sous cloche est présenté comme autant de variation que le temps le permet. Pluie figée, éclaircie, brouillard,… la météorologie est déclinée en vase clos. Nuages fabriqués avec du coton qui lévitent mystérieusement au centre de sa carapace de verre. Un arrêt sur image saisissant qui agît comme un catalyseur hypnotique. L’étrangeté et la poésie qui se dégage de ces installations rappellent certains éléments d’un cabinet de curiosités. L’emploi de la cloche de verre assimile l’installation à un reliquaire minimaliste.
Pour la petite histoire, ce genre de globe en verre, qui servait initialement à protéger les mouvements d’horloges de la poussière, trouva un second emploi au 19ème siècle et au début du 20ème siècle dans les campagnes, sous le titre de « globe de mariés ». Les premiers globes sont apparus à Paris sous le second empire. La coutume voulait que la jeune épouse conserve sa couronne de mariée sous une cloche de verre posée sur un socle de bois. Le globe était offert, le plus souvent, par les parrains ou les marraines ou les grands-parents des fiancés. Les diverses garnitures ornant le globe étaient choisies par les futurs époux. Chaque ornementation avait une signification et une symbolique. Au fil des années, les gens rajoutaient des objets dans le globe. Certain globe était personnalisé suivant les événements : guerre de 1870, 1914 et 1940. Cet art populaire eut un grand succès, témoignant d’une esthétique baroque à la limite du kitsch, associant des objets hétéroclites dans l’esprit d’une nature morte.
Etienne Saglio et ses créatures de papier.
Rien de toute cette symbolique dans l’installation d’Etienne Saglio. L’artiste nous propose de contempler un moment d’éternité minimaliste, en reconstituant un élément météorologique universel. Sa « nature morte » est plutôt une reconstitution figée et artificielle. Paradoxalement, cette artificialité rend sensible l’expérience qui se déroule devant nos yeux. C’est par l’artifice et l’illusion que l’on touche à la réalité du monde. La vérité sensible se trouve dans la reproduction.
Les danseurs de papier
Dans un mouvement perpétuel et aléatoire, un couple de papier danse sur une table rehaussée de guirlandes lumineuses ; qui rappelle les guinguettes du début du XXème siècle. Cette installation, réalisée avec du papier froissé et « trois bouts de ficelle », possède un charme désuet et enfantin. Le pari était risqué ! L’apparente simplicité de ce faux bricolage cache une mélancolie profonde. Nous assistons à un ballet emprunt de fragilité qui voit léviter, légèrement du sol, ces frêles figurines. Le temps semble suspendu dans un mouvement d’éternité qui se répète à l’infini. Une sensation proche de ce que décrit Proust dans A la recherche du temps perdu.
Les serpents
Sur une table carrelée de faïence blanche, des tuyaux se meuvent avec nonchalance et soubresauts, semblables à des serpents dans un vivarium. La texture du plastique imite la peau de l’animal qui aurait mué après une ultime transformation. Cette installation fascinante possède une grande force symbolique. Avec peu de chose et un matériau « pauvre », Etienne Saglio fait marcher l’imaginaire du spectateur en lui proposant différentes interprétations. Ces tuyaux recroquevillés, gisant sur une surface aseptisée (de laboratoire), convoquent l’image de l’hydre à 7 têtes et plus particulièrement le mythe de la Gorgone. Cette créature mi femme mi serpent, affublée d’une chevelure reptilienne, pétrifiait du regard tout mortel. Nous aurions alors sous nos yeux « médusés », les restes d’une civilisation disparue, figée dans l’éternité, qui vit ses dernières minutes.
Conclusion
Le silence du monde est une escapade hors du temps où les lois de la physique sont détournées par des procédés magiques. Un instant suspendu, sensible et gracieux qui plonge le spectateur dans un univers préservé et éphémère traversé de rêves et de fantasmes, où se côtoie la poésie et la fascination. Le regard est au centre de ces installations. A l’image de Gorgo, la méduse : il anime et pétrifie les objets. Fige dans l’éternité et le silence, un monde oublié et nostalgique. Bravo à Etienne Saglio (jongleur de la compagnie 14:20) pour ce travail d’une recherche plastique exemplaire et à Charles Goyard, le programmateur technique, qui donne vie à ce monde préservé.
A lire :
– Les Limbes.
– Le bruit des loups.
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