Textes : Heiner Müller. Conception et musique : Wilfried Wendling. Chorégraphie aérienne : Cécile Mont-Reynaud. Musicien et mécaniques plastiques : Grégory Joubert. Plasticienne : Cécile Beau. Scénographie fileuse : Gilles Fer. Comédien : Denis Lavant.
Ici, musique, théâtre et cirque se rencontrent sous la houlette de la Muse en circuit. Au centre du plateau, un dispositif circulaire en rideaux de fils concentriques. Sorte de cage aux parois mouvantes, fortement éclairée… Sur de grands écrans, défilent images de guerre, paysages urbains ou ruraux. Alentour, quelques niches et miroirs, une fontaine… autant de petits autels qui s’animeront sporadiquement… Nous pénétrons dans cet environnement, libres de nous asseoir où bon nous semble, sur des tabourets en carton distribués à l’entrée, ou de circuler mais toujours enveloppés par un décor sonore vrombissant. Des mots surgissent de l’obscurité et, grimpé dans les filins, un acrobate (remplaçant au pied levé Cécile Mont-Reynaud) décrit des arabesques, comme s’il tissait de son corps ce matériau malléable. En écho, le récitant (Denis Lavant) sculpte les phrases d’Heiner Müller et Wilfried Wendling pilote à la console, debout parmi les spectateurs, musiques électroniques, images vidéo et lumières. Denis Lavant, surgit et disparaît aux quatre coins du plateau, funambule du verbe, en complicité avec le circassien sur sa « fileuse », un agrès inventé par Cécile Mont-Reynaud et Gilles Fer, combinant techniques de la corde et du tissu aérien.
Le compositeur, formé par Georges Aperghis, féru des nouvelles technologies et dans la lignée d’un Pierre Henry, a fait de l’ordinateur, son instrument de musique et de création visuelle. Il improvise à partir de séquences sonores multi-sensorielles pré-enregistrées choisies, en interaction avec les déplacements aléatoires du danseur sur fil et du comédien. En phase avec ses partenaires musiciens, Denis Joubert et Thomas Mirgaine, il pilote aussi lumières, éléments de décor et images vidéo, en fonction des textes livrés par bribes et variant à chaque séance : Héraklès II ou l’Hydre (1972), Paysage avec Argonautes (1982), Textes de rêve, Avis de décès (1975-76) et le mythique Paysage sous surveillance (1984). Wilfried Wendling y a puisé des poèmes, manifestes sur le théâtre, rêves d’enfant, réminiscences, révoltes… Denis Lavant les profère sauvagement ou laisse planer en boucle cette matière langagière véhiculant les éclats de mémoire et obsessions de l’auteur.
Erreurs salvatrices nous est livré en trois séries de cinquante minutes, dans le même dispositif mais aux couleurs différentes. Un voyage qui part de considérations philosophiques pour aboutir au plus intime de l’inconscient : le récit de rêve. Le premier module (A) s’attache à des thèmes existentiels, avec des questions par salves : « Pourquoi les arbres ont-ils l’air innocents, lorsqu’il n’y a pas de vent ? Pourquoi vivez-vous ? Pourquoi je pose des questions, Pourquoi je ne veux pas connaître la réponse ? Voulez-vous que je parle de moi ? Moi qui… De qui est-il question ? Quand il est question de moi. Qui est-ce moi ? Sous l’averse de fiente… » . Des aphorismes : « Lorsque le fumier croît, le coq est plus proche du ciel ». Des paysages : « Le nouveau clapier de fornication à chauffage urbain. » Des images récurrentes : « L’herbe, encore nous devrons l’arracher pour qu’elle reste verte à Auschwitz » … Des acteurs passent en cortège, peuplade dangereuse… Cette profération rageuse domine cette partition, pour finir en borborygmes.
Dans le deuxième programme (B), nous plongeons dans un univers plus enfantin et onirique mais toujours cruel : un jeu de cache-cache qui tourne mal…. Un « père requin » ou « un père mort-né » semblent souhaitables, comme « une mère baleine bleue ». Des personnages mythiques apparaissent : Hamlet, le mal-compris « trébuchant de trou en trou », « Lautréamont mort à Paris en 1871, inconnu. » La mort rôde : « Je fume trop, je bois trop, je meurs trop lentement »…
Miroirs et vidéos démultiplient la présence scénique de l’acteur et du circassien, reflets fugaces saisis dans un univers vibratoire de sons et lumières. Magnifiquement servie par Denis Lavant au sommet de son art, cette écriture divagante, porteuse d’images ou de pensées macabres où l’auteur se dédouble en pages rageuses, guide la création d’une équipe artistique aguerrie. Nous sommes immergés dans la pensée créatrice, heurtée et heurtante d’un Heiner Müller travaillé par son temps mais aussi par les fantômes de l’Histoire et de son histoire personnelle. Il faut aller voir et écouter ce poème dramatique à la fois théâtral, sonore et visuel. Impressionnant….
– Article de Mireille Davidovici. Source : Le Théâtre du Blog.
A lire :
– Holy Motors avec Denis Lavant.
–Tabac Rouge avec Denis Lavant.
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