Comment êtes-vous entré dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
Je suis rentré dans la magie aussi simplement qu’on peut le faire, c’est-à-dire, par mon père qui était magicien et qui se produisait dans les années 1970 sous le nom de Jacky Jack. Il était affilié au CFIJD (Cercle Français de l’Illusion Jules Dhotel). C’est lui qui est à l’origine de mon premier déclic puisque c’est le premier magicien que j’ai vu sur scène. J’avais alors six ans et j’étais mystifié. Je me souviens encore de cette émotion ressentie comme si c’était hier. C’est lors de ce premier spectacle que j’ai eu l’intime conviction que ma vie serait consacrée au mystère.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
J’ai commencé à apprendre la magie par mon père qui m’a d’abord offert la boite Magie 2000 de Kassagi. Puis, voyant que j’étais mordu, il a commencé à m’enseigner quelques tours. « Avant de t’enseigner le prochain tour, tu devras parfaitement maitriser celui-ci, mais aussi le comprendre » me disait-il. C’est aussi lui qui m’a fait comprendre une notion malheureusement perdue aujourd’hui, qui est celle du secret. Je ne devais en aucun cas dévoiler les secrets magiques, car ce faisant, je tuerai la magie.
Malgré mon jeune âge, je l’accompagnais parfois lors de ses spectacles. J’étais le seul enfant à être autorisé à trainer dans les coulisses. J’étais très fier (rires). Je l’accompagnais aussi parfois à la boutique Mayette Magie Moderne, tenue à l’époque par Michel Hatte, ainsi qu’à celle tenue vers la place de l’Étoile par un ami de mon père, un certain Clifton. Bref, j’étais heureux comme un poisson dans l’eau dans ce monde magique, jusqu’à ce drame.
Je vais alors sur mes neuf ans lorsque mon père décède brutalement dans un accident de la route. Les ponts sont alors temporairement coupés avec le milieu magique et tout son matériel est remisé au grenier. « Tu auras le droit d’utiliser le matériel de ton père, quand tu auras des bonnes notes à l’école » me disait ma mère. Sauf que j’étais un cancre modèle. Ne pouvant officiellement approcher ces « merveilles », je faisais régulièrement, discrètement et secrètement quelques expéditions dans le grenier « magique ». Il y avait là ses malles et ses valises remplies de choses extraordinaires que j’explorais avidement. Du matériel de scène avant tout, mais aussi un peu de close-up. Dans ce grenier, je me suis surpris à m’illusionner en faisant apparaître diverses choses malgré moi. En effet, certains accessoires étaient « chargés » et bien involontairement j’avais déclenché le mécanisme permettant l’apparition de fleurs à ressort, foulards, et autres œufs en mousse…
Parmi le matériel, des livres. Parmi ces livres, le Cours Magica de Robert Veno. C’est vraiment avec cet ouvrage que j’ai acquis les bases techniques. Puis quelques années plus tard, je casse ma tirelire pour m’offrir le livre Magie et Mise en Scène de Henning Nelms. Ce dernier a été d’une importance capitale. Je découvrais des chapitres aux noms évocateurs, tels que « Mystifier ou convaincre », « L’établissement de la preuve ». Plusieurs routines du Nelms flirtaient avec le paranormal et l’occulte et surtout la façon de les présenter avec crédibilité. Enfin, c’est avec ce livre que je découvrirai quelques rudiments de cette discipline fascinante qu’on appelle le cold-reading. Évidemment, tout ça résonnait en moi.
Parallèlement à l’illusionnisme, je m’initie par le biais de ma famille – du côté maternel cette fois – au maniement du pendule, des baguettes de sourciers, des tarots, de l’hypnose… Un grand-père radiesthésiste, magnétiseur et guérisseur, des tantes cartomanciennes, un oncle hypnotiseur et voyant, une cousine médium, un oncle sorcier… Ceci expliquant cela. À l’époque, je m’intéresse déjà beaucoup aux fantômes, sujet qui prendra de plus en plus de place dans ma vie au fil des ans. Tout cela expliquant mon goût très prononcé à venir pour le mentalisme et la Magie Bizarre avant toute autre forme de magie. Contrairement au discours récurrent de nombreux illusionnistes, je ne voyais là aucune contradiction entre l’étude de l’illusionnisme et celles de toutes ces disciplines appartenant au champ du paranormal. Au contraire, c’était à mes yeux d’une grande complémentarité. Les deux étant synonymes de mystère. J’ajoute que j’étais aussi à l’époque un grand fan de hard rock et de heavy métal, avec tout le décorum et la culture qui accompagne ce genre de musique : squelettes, monstres, occultisme, démons, tête de mort… Le train fantôme de la fête foraine faisait pâle figure à côté de la déco de ma chambre d’ado ! On peut dire que j’avais un goût certain qui me prédisposait à embrasser plus tard l’univers de la Bizarre Magick (rires).
Le tout premier spectacle rémunéré de Erick Fearson alias Jacky Jack Jr.
Bref, j’ai seize ou dix-sept ans lorsque je touche mon premier cachet en me produisant pour la première fois devant un vrai public. À partir de là, j’enchaine diverses prestations dans ma région. Histoire de voir du pays, je m’envole ensuite pour les Antilles. Je me produis ici et là, en particulier dans les hôtels de l’île. En 1989, le cyclone Hugo mettra un arrêt brutal à mon activité. Ruiné, je reviens en France. Ne souhaitant pas revenir dans ma région d’origine, je jette alors mon dévolu sur une grande ville pas trop éloignée de la capitale. Il s’agit de Rouen que je ne connais pas, mais qui me semble être un terrain de jeu idéal pour prendre un nouveau départ. Cependant, je dois réagir vite, car je n’ai plus d’argent. Mes seuls bagages étaient un jeu de cartes, un FP et un sac à l’œuf. Qu’importe. Très rapidement je trouve une place temporaire de magicien dans un « bar de nuit » du nom du Père Boos. Je sais néanmoins que celui-ci est amené à mettre la clé sous la porte dans quelques mois. De fait, je prends les devants en frappant à la porte des nombreux restaurants de la ville, et leur propose de faire du close-up en étant uniquement rétribué au pourboire. Je gagne donc ma vie en faisant du « table en table ».
Erick Fearson alias Belphegor (version 1).
Erick Fearson alias Belphegor (version 2).
Pour augmenter mes pourboires et optimiser mon activité, je développe diverses techniques et je mets au point un numéro de salon hyper efficace dans ces mêmes restaurants. Un véritable « commando-act » dirait notre ami Jeff McBride. Je découvre aussi un petit booklet qui va beaucoup m’aider. Il s’agit d’un petit livre rédigé par le Dr Barouf concernant le travail du close-up en restaurant. C’est un peu l’ancêtre du livre de David Stone sur le même sujet. En tout cas, selon les conditions de la soirée et le nombre de clients dans le restaurant, j’opte pour un format close-up ou salon. Grâce à la formule salon, je peux enchainer jusqu’à une douzaine d’établissements dans la soirée. Je commence le soir vers 18h30 / 19h pour terminer vers minuit. Quand à minuit la recette n’est pas celle espérée, je poursuis dans les bars à hôtesses jusqu’à 2h du matin. Me produisant sous le pseudonyme « Belphegor », je fais ça tous les soirs pendant presque trois ans environ. C’est épuisant, mais très formateur. C’est une école extraordinaire pour apprendre à bosser en toutes conditions et devant n’importe quel public. J’engrange mensuellement jusqu’à 15 000 francs de pourboire, ce qui correspond aujourd’hui et avec l’inflation à 3 600 de nos euros actuels. Je vis à l’hôtel et je prends quotidiennement mes repas au restaurant. Bref, je me suis remis à flot et c’est la belle vie.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
On ne peut pas dire qu’un événement m’ait freiné. Bien sûr, et comme pour beaucoup, l’école, les institutions, certaines personnes de mon entourage me disaient que ce métier n’était pas bien sérieux et que je devais penser à devenir responsable et adulte en cherchant un « vrai » métier. De même, je rencontre de nombreuses barrières sur ma route. Mais j’ai une nature plutôt indépendante, désobéissante, persévérante. Il est difficile, voire impossible, de me faire douter et changer de direction lorsque j’ai un objectif en tête. Je me moque éperdument du « qu’en-dira-t-on », du regard de l’autre et des codes de la société. Ça aide pour avancer. De fait, plus que de me freiner, ces personnes et les circonstances m’ont poussé malgré elles à continuer et à ne surtout pas lâcher, ne serait-ce que pour avoir le plaisir de montrer ensuite à ces rabat-joie que l’on peut atteindre ses objectifs malgré les vents contraires.
Erick Fearson entouré de Kevin James et son partenaire.
Erick Fearson et Johnny Thompson (The Great Tomsoni).
Erick Fearson et Haruo Shimada.
Par contre, il est vrai que j’ai croisé sur ma route des opportunités et des personnes qui m’ont aidé à avancer plus vite. En 1990, peu de temps après mon retour des Antilles, je découvre le Festival International des Magiciens à Rouen (aujourd’hui à Forges-les-Eaux), et je fais la connaissance des organisateurs et magiciens, Hugues Protat et François Normag. Une amitié va naitre. Si nos styles et nos univers sont différents sur la forme, on se rejoint sur le fond. Et puis il y a chez eux une réflexion et une ouverture d’esprit qui fait souvent défaut dans le milieu magique en règle générale. Nous passons des jours et des nuits à théoriser sur l’art magique. Rapidement et régulièrement, nous travaillons ensemble. Je prendrais part à dix-sept éditions du festival. Pratiquant déjà le mentalisme et la Bizarre Magick à cette époque, je m’occuperai de ces disciplines au sein du festival. Cet événement va aussi me donner l’occasion d’échanger, d’apprendre et de passer du temps avec tous les artistes engagés, et avec certains, de créer des amitiés qui perdurent encore aujourd’hui : Vito Lupo, Haruo Shimada, Jeff McBride, Kevin James, Johnny Thompson, les Moretti, Maka Tendo, Fukai, Jacques Delord, Bebel, Alpha, Pierre Brahma, Otto Wessely, Dani Lary, Norm Nielsen, Finn Jon, Ali Bongo, PC Sorcar… Bref, il serait évidemment impossible de tous les citer ici, mais tous m’ont enrichi à des niveaux différents.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
J’aurais tendance à dire sous n’importe quelles conditions (rires). J’ai travaillé dans toutes les conditions possibles : au pourboire dans les restaurants ou dans la rue, en événementiel, en cabaret, sur les bateaux de croisières ou encore lors de concerts de heavy métal. Mon public est à l’époque très éclectique. Il va du grand public à un public rock ou biker en passant par un public élitiste ou très branché ésotérisme et New-Age. En fait, je trouve stimulant et gratifiant de travailler sous n’importe quelles conditions, et surtout hors des sentiers battus en imposant mon propre style. C’est d’autant plus stimulant que dès les années 1990, l’essentiel de mon activité est consacré au mentalisme et à la Bizarre Magick. Durant ces années, je pratique très peu la magie dite « conventionnelle ». Lorsque c’est le cas, j’adopte un personnage très rock’n’roll. J’ai démontré à l’époque qu’on pouvait très bien vivre professionnellement – y compris en événementiel – de deux styles dont on disait qu’ils n’étaient pas commerciaux. Comparativement à aujourd’hui, il faut bien comprendre que dans les années 80 et 90 le mentalisme n’est pas vendeur, et la Bizarre Magick encore moins. Cette dernière faisait peur. Malgré tout, c’était l’essentiel de mes prestations. Une fois par semaine, je donnais publiquement et avec succès, de mémorables séances de Bizarre Magick dans les caves voûtées de Rouen, en plus des prestations privées et des « psychic parties » ici et là.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Cela dépend de l’époque. Enfant, le premier qui m’a marqué hormis mon père fut sans aucun doute Dominique Webb. Parce qu’il cultivait le doute sur la nature de ses « pouvoirs », il me fascinait et représentait parfaitement le personnage à la « Svengali » que j’affectionne particulièrement. Il était à mes yeux celui qui incarnait le mieux le mystère, et donc la magie. Jacques Delord dont j’appréciais les émissions et la vision des choses m’a aussi marqué. Je voyais à travers lui une compréhension et un amour de l’art. À contrario et à la même époque, Gérard Majax et son émission Y’a un truc me laissaient de glace. Je ne comprenais pas la démarche de vouloir expliquer le modus operandi en reléguant la magie à la simple notion de truc et de défi. À mon sens, cette émission désenchantait la magie. Et puis le titre de son émission m’a toujours hérissé le poil. « Truc » est un mot que je déteste au plus haut point. Ce mot réduit la magie à la connaissance d’une simple astuce et sous-entend qu’il n’y a pas de magie, simplement des trucs qu’il suffit de connaître pour devenir magicien. Or, rien n’est plus faux. Et puis, il n’y a rien d’artistique ni de glorieux dans le simple le fait de débiner. Pour moi, cette émission représentait l’anti magie par excellence.
Durant l’enfance, Fred Kaps, Slydini et Richiardi Jr faisaient aussi partie des magiciens qui m’ont vraiment marqué. Puis, à partir de l’adolescence, mes influences magiques changèrent quelque peu. J’ai toujours aimé les choses « spooky » dans l’esprit des « Midnight Ghost Show » lesquels sont un peu l’antichambre et l’ancêtre de la Bizarre Magick. À l’époque, je réfléchis déjà comment je pourrais mélanger les genres, en l’occurrence, celui de la magie et celui plus mystérieux des tarots et du paranormal. À ce moment-là, je ne connais pas encore véritablement l’existence du mouvement de la Bizarre Magick. Je découvre alors vers quatorze ans, le livre de Tony « Doc » Shiels, Psi, ou les principes brillants du mentalisme. Bien sûr, les routines de cet ouvrage sont assez basiques, mais plus que ces dernières, ce sont les présentations et l’univers de Shiels qui me séduisent définitivement. Mieux encore, je découvre dans la bibliographie de cet ouvrage des auteurs et des titres qui attisent ma curiosité et enflamment mon imagination, autant que des descriptions de livres qui me fascinent : « des effets terrifiants dus à la diabolique trinité du mentalisme (…) Magie et mentalisme inquiétants destinés à faire peur (…) Description détaillée des séances spirites à domicile (…) Maison spécialement équipée pour faire apparaître des fantômes… ». Bref, ça me vendait du rêve. Je découvre aussi dans un Mad Magic l’étrange magie de Christian Chelman qui me séduit tout autant. Quelques années plus tard, après avoir sérieusement bossé mon anglais – car les titres évoqués dans le livre de Shiels n’existaient pas en français – je me procure tous ces ouvrages anthologiques et bien plus encore, que je dévore avidement. Je découvre un univers et des écrits qui sentent le soufre, mais surtout dans lesquels je me reconnais et qui collent parfaitement à ma personnalité et à ce que je fais déjà un peu sans le savoir.
De fait, ce sont principalement des artistes issus du mentalisme et de la Bizarre Magick qui m’ont grandement influencé : Al Mann, Theo Annemann, Dunninger, Robert Nelson, Ormond Mc Gill, Corinda, T.A. Waters, Bob Cassidy, John Riggs, Tony « Doc » Shiels, Tony Andruzzi, Anthony Raven, Bascom Jones, Charles Cameroun, Larry Baukin, Simon Drake, Eugene Burger, Christian Chelman, Borodin, Robert E. Neale, R. Shane, K. Knepper, Jim Magus, Jeff McBride, Eugene Poinc, Brother Shadow ainsi que beaucoup d’autres plus confidentiels dont je ne citerai pas les noms ici. J’ai une affection particulière pour les personnages à la « Svengali ». Mais encore faut-il avoir la carrure et le charisme pour interpréter un tel personnage, sinon, on tombe vite dans le ridicule.
J’apprécie aussi le travail de magiciens de facture plus classique, mais sans qu’ils ne représentent de véritables influences pour moi, car trop éloigné de ce que je veux explorer et communiquer.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Naturellement, et comme dit précédemment, c’est avant tout le mentalisme et la Bizarre Magick qui m’attirent et me fascinent. Un peu moins la magie mentale, mais que je peux apprécier selon l’artiste. Je fais d’ailleurs un aparté : j’utilise toujours le terme en anglais, car la traduction française ne rend pas bien compte de l’essence de la Bizarre Magick. En effet, traduit en français le terme perd son « K » et donc une partie importante de sa signification.
Le point négatif en mentalisme, c’est que c’est devenu à la mode depuis une petite dizaine d’années. Et comme toute chose qui se démocratise, c’est une catastrophe. On voit des clones de « mentalistes » apparaître à tous les coins de rue. C’est devenu un véritable fléau social, tant on y rencontre le pire. En effet, on tend à voir toujours les mêmes choses, mal présentés, par des personnes qui n’ont pas compris les fondements de cette discipline. Elles présentent du mentalisme – en vérité plus de la magie mentale – comme on présenterait de la magie. C’est une erreur. C’est souvent tellement mal présenté que j’en ai honte. Au même titre que l’hypnose, le mentalisme est devenu un argument commercial qu’il est nécessaire d’inscrire sur sa carte de visite pour se vendre, même si ces personnes n’ont que cinq ou six effets basiques à leur répertoire. Ce sont souvent les derniers effets à la mode achetés la veille en boutique de magie pour les présenter dans le gala du lendemain. J’exagère un peu, mais nous ne sommes pas loin de la vérité. Heureusement, tout n’est pas noir. Il y a quand même des mentalistes talentueux. On peut citer en exemple Peter Turner, Neil Scryer, Fraser Parker, Colin McLeod, Jerome Finley et d’autres…
Le point positif en Bizarre Magick, c’est que ça reste encore un tant soit peu confidentiel, peut-être parce que c’est très difficile à vendre et à présenter. Il faut vraiment bosser pour être crédible et lui faire passer la rampe, sinon on tombe vite dans le ridicule. Un talent de conteur et une vraie présence sont nécessaires, en particulier quand un effet arrive après vingt minutes de discours. Autre avantage : la nécessité de créer ses propres routines et souvent son propre matériel. Se procurer une routine de Bizarre Magick toute faite en boutique, avec des accessoires faussement vieillis, est un non-sens. Surtout si c’est pour envisager de la présenter telle quelle en public. Max Maven disait que le mentalisme est la chose la plus facile à mal présenter. Je pense qu’on peut dire la même chose avec la Bizarre Magick.
Sinon, dans la façon de travailler, j’aime autant la scène que le travail intimiste en salon ou en close-up. Je parle de vrai close-up derrière une table, car à l’inverse je déteste le table-hopping. C’est souvent de l’abattage qui consiste à faire son quota de table avant la fin du repas, dans une atmosphère bruyante et pour des gens – parfois avinés – qu’il faut divertir, mais qui ne sont pas spécialement venu pour ça. De plus, impossible de passer plus de dix minutes par table. C’est hyper frustrant. Bref, c’est le fast-food de la magie et il n’y a rien de plus détestable à mon goût.
Mais globalement, je peux apprécier toute forme de magie à partir du moment où l’artiste a vraiment quelque chose à exprimer et qu’il possède une vraie présence, un vrai charisme. Les effets passent en second plan et ne sont qu’accessoires à mes yeux, même s’ils doivent être nécessairement présents, sinon ça n’aurait aucun sens. Les effets doivent être la cerise sur le gâteau, une cerise présente pour montrer que le magicien est vraiment ce qu’il prétend incarner. Le magicien doit convaincre avant même de présenter l’effet. Il doit incarner la magie. Un magicien peut présenter des effets hyper-bluffants, mais s’il n’a rien à raconter et que sa personnalité est aussi transparente qu’une méduse, ce n’est qu’un démonstrateur et ça n’a aucun intérêt. Dans ce cas, je m’ennuie profondément et quitte la salle.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Elles sont diverses et nombreuses. À vrai dire, toute démarche artistique m’interpelle et peut m’influencer. Cependant, certaines disciplines m’influencent plus que d’autres. En premier lieu, je dirai sans hésitation la musique. Des groupes ou des artistes de Heavy-Metal tels que Yngwie Malsteen, Rhapsody on Fire, Angra, Stratovarius, Iron Maiden, R.J. Dio m’inspirent grandement. Le jazz m’inspire énormément aussi, en particulier le jazz japonais, le Soul-Jazz, le Jazz-Funk, le Cool jazz, le Hard-Bop, la Bossa Nova. Je ne peux pas vivre sans musique.
Au-delà de ça, la littérature m’inspire, en particulier la littérature fantastique du XIXe siècle, mais aussi des auteurs comme Hermann Hesse, Oscar Wilde, ou plus proche de nous, Thomas Owen. C’est cliché de dire ça, mais le cinéma peut aussi m’influencer, en particulier les vieux films et les vieilles séries. Le travail de certains photographes m’inspire aussi. Au-delà de l’aspect purement artistique, les gens et les diverses cultures autour du monde m’inspirent énormément. Je pense notamment aux cultures extrême-orientales, surtout le Japon qui me passionne, tant par sa philosophie que par ses traditions. Et puis ma femme est Japonaise, ce qui aide.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
La première chose que je chercherais à savoir chez un magicien débutant, c’est d’abord s’il a de vraies choses à exprimer. S’il n’a rien à dire, autre que de vouloir faire de la magie uniquement pour épater la galerie ou nourrir son ego, alors je lui conseillerai de faire autre chose ou de limiter ses prestations à son entourage. Le marché est déjà rempli de ce genre d’énergumènes. Ensuite, je lui conseillerai d’apprendre les bases, toutes les bases, à travers les livres plutôt qu’à travers des vidéos, ou pire encore via YouTube. Puis, d’évoluer vers ce qui lui correspond le mieux, sans chercher à imiter les autres. Je le pousserais à analyser les artistes qu’il aime pour l’amener à comprendre ce qu’ils veulent exprimer et pourquoi ils l’expriment ainsi. Je l’inviterais à se tourner vers les autres pour l’amener à comprendre la nature humaine, car là est une clé fondamentale de la magie. Enfin, je l’inviterais à se nourrir d’autres disciplines, du monde extérieur, de sortir de sa zone de confort en voyageant et en allant à la rencontre de gens issus de diverses cultures. Il gagnera en consistance, en aspérité, en confiance, et surtout aura beaucoup plus de choses à exprimer et saura comment les exprimer. Les diverses expériences qu’il aura vécues le nourriront. Je lui expliquerais que la magie est une Voie, tout comme les arts martiaux où la notion de secret, de travail, de persévérance et d’introspection sont essentiels. J’insisterais sur cette notion qui consiste à respecter le secret, car respecter le secret, c’est respecter les créateurs, les performeurs, la discipline, mais aussi le public.
Enfin, je conclurais en paraphrasant une citation dont je ne me souviens plus qui est l’auteur, mais qui est originellement reliée aux arts martiaux.
Il y a deux règles pour réussir dans la magie :
1. Ne jamais dire aux autres ce que vous savez.
… 🙂
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Cette question est un peu difficile pour moi, car bien que je fréquente discrètement certaines branches de la discipline et certains artistes qui sont avant tout des amis, je ne fréquente plus ou peu le milieu magique traditionnel aujourd’hui, que je trouve un peu trop convenu et lisse à mon goût. Mais globalement, mon avis risque de déplaire à beaucoup de confrères, car il va à l’encontre de ce que j’entends habituellement. En même temps, je me moque bien de ce qu’ils peuvent penser (rires). Je ne vais pas tenir le discours démagogique qui consiste à dire que c’est un bien si la magie se démocratise.
Depuis la diffusion de l’art magique et l’avènement d’Internet, la magie a perdu de son intérêt et surtout de son essence, donc de son aura. Son accessibilité, et donc sa démocratisation, l’a nivelé vers le bas. Je ne parle pas de technique pure qui a gagné en niveau, mais plutôt de son image et de ce que la magie véhicule et veut exprimer. La magie devrait être une Voie comme je l’ai dit par ailleurs, et par conséquent, l’accès aux secrets et l’information devrait être difficile à obtenir. Plus le secret est difficile à obtenir, plus on y accorde de la valeur, et plus on le respecte. De plus, j’ai tendance à croire qu’on voit trop de magie à la télé, souvent une magie commerciale sans grand intérêt ni profondeur. C’est pourquoi ça fait bien des années que je ne regarde plus les illusionnistes sur le petit écran. Pour moi, la magie doit se vivre avant tout en « live ». En tout cas, le peu que j’ai pu voir à travers le petit écran me laisse indifférent. À force de proposer à la télé de la magie à toutes les sauces, on risque fort de provoquer une certaine saturation chez le public. Un peu comme ce qui se passe au Japon actuellement, si j’en crois les dires de quelques amis magiciens là-bas. À la télévision, on banalise la magie en la cantonnant à une simple animation, servant à mettre en valeur le présentateur ou les invités de ladite émission. C’est une erreur selon moi.
De même, j’ai un peu de mal avec ce discours horripilant et contemporain qui consiste à dire que le métier dépoussière la discipline depuis quelques années. Or, je ne vois rien de tout ça. Il ne suffit pas d’intellectualiser la magie, d’endosser le costume d’un personnage, ni même de se déguiser en « hipster » ou que sais-je encore, pour prétendre dépoussiérer la magie ! Ce serait trop simple. Et puis le simple fait de prétendre dépoussiérer la magie, n’est-il pas un aveu de ses propres doutes et de sa propre peur d’être catalogué comme « ringard » ? Il ne suffit pas d’affirmer, il faut mettre en pratique. Autres questions qui soulèvent chez moi diverses interrogations : est-ce qu’aujourd’hui, les gens sont prêts à payer la place d’un spectacle de magie autant qu’une place de concert, en moyenne une centaine d’euros par tête de pipe ? Selon les retours que j’en ai de la part de profanes, la réponse est non ! Je connais de nombreux profanes qui seraient prêts à mettre quelques centaines d’euros dans un concert, mais aucunement plus de 30 euros dans un show de magie. La question est alors de comprendre pourquoi ? Sauf exception, serait-ce à dire qu’un spectacle d’illusions véhicule moins de profondeur, moins de sens, moins de magie et procure moins d’émotions qu’un concert ou un livre ? C’est des questions que je me pose.
En tous les cas, et dans ce supposé dépoussiérage, j’attends d’un numéro de magie qu’il me surprenne et me fasse autant vibrer qu’un John Coltrane, qu’un Chet Baker, qu’un Miles Davis, qu’un Stan Getz, qu’un Tom Jobim ou qu’un Barney Willem. Là, je me dirai qu’elle est sur la bonne voie.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Selon moi, elle est essentielle et incontournable. On ne peut savoir où se diriger si on ne sait pas d’où l’on vient. Au-delà de la compréhension et de l’inspiration qu’elle peut apporter, la connaissance de notre culture évite déjà de réinventer le fil à couper le beurre et donc, prétendre avoir inventé un nouveau principe. Son étude permet de comprendre les fondements de cet art et donc de le faire évoluer.
Je suis sidéré et désespéré du manque de culture parmi la jeune génération. Mais c’est un travers de notre époque qui n’est pas seulement lié à la magie. Je vais sans doute passer pour un vieux con, mais je constate que la jeune génération veut aller vite. Elle n’a plus le temps d’étudier, de lire ni de se cultiver, ou plutôt ne veut plus prendre le temps de faire cet effort. Elle ne saisit pas la nécessité de se cultiver pour comprendre l’essence de l’art. Peut-être s’en moque-t-elle d’ailleurs et ne cherche qu’à travers l’illusionnisme à se faire valoir ? Cette jeune génération veut du consommable. Autrement dit, elle est demandeuse du dernier effet ou gimmick à la mode avec un effet « Waouh », pourvu que ces tours se maitrisent rapidement sans trop de travail. Elle veut briller en société, mais sans véritablement saisir la profondeur de la discipline. Or, en étudiant l’histoire de la magie, elle prendra peut-être conscience que la magie ne se limite pas à bluffer quelques convives entre la poire et le fromage lors d’un repas de fête, ni d’un moyen de draguer ou encore d’amuser quelques fêtards au coin d’un bar lors de la sortie du samedi soir. Si elle ne consistait qu’en cela, elle ne rentrerait même pas dans le cadre d’un art mineur.
Bref, concernant notre culture et la connaissance des règles de cette discipline, je citerai le cinéaste Sydney Pollack qui disait très justement : « Il y a évidemment une grammaire de base, en matière de mise en scène. Et il est important de l’apprendre, tout comme il est important de savoir s’en éloigner. Si vous n’apprenez pas la grammaire de base, vous êtes un peu comme ces peintres qui s’auto-déclarent peintres abstraits pour camoufler le fait qu’ils ne savent pas peindre. Vous pouvez briser toutes les règles que vous voulez, à condition de les avoir apprises d’abord.».
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Je ne suis pas un grand fan du terme hobbies que je traduis par « passe-temps ». C’est-à-dire des choses que l’on fait pour passer le temps et s’échapper ainsi du quotidien ou encore servant à tromper son ennui. Or, je ne m’ennuie jamais et j’ai horreur de perdre mon temps à faire des choses pour simplement passer le temps ou me divertir. C’est vrai, j’ai tendance à couper les cheveux en quatre. C’est l’un de mes gros défauts (rires).
Par contre, si je n’ai pas de hobbies comme je l’entends, j’ai beaucoup de passions et regrette de ne pas avoir plus de temps pour explorer comme je le voudrais tous ces sujets. La première chose étant ma passion dévorante pour la musique – je joue du saxophone – dont je ne pourrais absolument pas me passer. La seconde étant ma grande passion, et sous toutes ses formes, pour l’univers des fantômes et des maisons hantées. Vient ensuite l’écriture – j’ai plusieurs livres à mon actif -, mais aussi l’irrationnel dans sa globalité, le tarot divinatoire, l’époque victorienne, les diverses cultures en particulier la culture Japonaise, le iaïdo, le taï-chi style Chen, l’œuvre de Krishnamurti, la littérature fantastique, surtout les « ghost-stories » et le réalisme fantastique, les romans initiatiques, les vieilles anglaises, la sociologie, la manipulation mentale… et beaucoup d’autres choses encore. J’ai cependant réussi à calmer mes ardeurs et ma boulimie dans le fait de collectionner les livres rares et les Hauntics (rires). Si j’avais plus de temps, j’aimerais énormément apprendre la reliure et la lutherie (dans le domaine du saxophone). Mais j’ai bien peur qu’il me faille attendre une autre vie pour cela. Cependant, je pense qu’il est nécessaire d’avoir des passions en dehors de la magie, ne serait-ce que pour s’enrichir personnellement et enrichir notre art.
– Interview réalisée en mai 2020.
A lire :
– Le Manuel du Chasseur de Fantômes (Editions Lattès, 2008)
– Hantise en Normandie (The Book Edition, 2009)
– Arkanum Systema (The Book Edition, 2010)
– Hypno Mental, premier magazine français consacré à l’hypnose et au mentalisme (2012)
A voir :
– Galaad, court-métrage de David Paquin (K Films, 2003). Avec Erick Fearson dans le rôle de Gal Ador
– La Voie du Mentalisme (DVD K Films, 2012)
A jouer :
– Le jeu du Mentalisme (2014)
– Arkanum Zener (2014)
– Spirit Deck (2014)
– L’Enigmatik Game (2014) livré avec le Petit traité de cartomancie à l’usage des honnêtes gens
– Jeu sur la détection du mensonge (2015)
A visiter :
– Le site de Erick Fearson.
– Le site web francophone du Patrimoine de l’Imaginaire, du paranormal, des légendes, histoires de fantômes et de lieux hantés.
Crédits photos : Bruno Maurey / Julien Boisard / Tinoy Intrala. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.