Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Mon intérêt pour la magie a commencé à l’école primaire. J’avais entre 8 et 10 ans, à l’époque, et un enfant de mon école m’a montré une disparition avec la technique du Tourniquet (ou ce que les Américains appellent le French Drop). Il m’a dupé et j’ai décidé d’en apprendre plus sur la prestidigitation. Je ne savais pas qu’il existait des livres de magie, je regardais donc des programmes à la télévision pour avoir plus d’informations.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Mon père s’est rendu à Las Vegas quand j’avais 10 ans et m’a ramené quelques tours de magie : le jeu Svengali, Mental Photography, et le jeu invisible. Il m’a aussi appris ce que nous appelons le mélange hindou et le contrôle de carte qui va avec.
Plus tard, j’ai découvert un magasin de magie en ville (Albuquerque, NM) appelé Fool’s Paradise, et j’ai commencé à acheter des livrets pour 2$ chacun, les Hugard’s Card Manipulation series n°1 à 5, mais une grande partie du matériel qu’il contenait était trop pointu pour moi à l’époque. J’ai quand même persévéré et j’ai finalement réalisé quelques-uns des tours des brochures.
Il est intéressant de souligner que j’ai grandi avec la magie et je suis devenu plus compétent au fil du temps. Elle m’a donné de la satisfaction et de la confiance. La confiance est quelque chose dont j’avais besoin étant jeune et cela m’a servi avec les filles qui occupaient une grande partie de mon temps. En fait, une de mes premières copines a été enchantée par un tour de cartes que je fis pour elle, une astucieuse lecture de pensée pour l’accrocher émotionnellement. Il faut dire que j’étais peu scrupuleux dans la poursuite de l’amour.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
En 1979, j’ai rencontré Ernest Earick par l’intermédiaire du club de magie locale. Au cours des cinq années suivantes, il m’a tout appris sur la magie de close-up. A ce jour, je suis son seul élève, je suis fier et je réalise la chance que j’ai d’avoir connu Ernie, non seulement comme magicien, mais aussi comme un merveilleux ami.
Vers la même époque, j’ai vu Tommy Wonder et Eugene Burger en conférence, des magiciens incroyables ! Ils continuent de m’inspirer à ce jour. Je suis parti d’Albuquerque en 1985 pour devenir un magicien de rue. Je me suis vite aperçu que je devais en apprendre plus… En 1991, j’ai rencontré Cellini, « le Roi de la rue » et l’année suivante, je l’ai suivi à son Zauber Zentrum à Zürich en Suisse. Je passais tout l’été avec lui, à étudier et à travailler dans la rue. Il a été ma plus grande influence, à la fois comme magicien, et en tant que personne. Je marche dans ses pas, sur la route qu’il a défriché pour tous les magiciens de rue.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Bien que je travaille dans toutes les conditions, la rue continue de m’émerveiller. Le défi de la rue permet à ma magie de rester fraiche et nouvelle. J’aime, en parallèle, voyager et rencontrer des gens différents à travers le monde, ce qui est complémentaire avec cette forme d’art sans pareil.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Enfant, j’ai étudié et lu beaucoup de choses sur les magiciens du passé comme Alexander Herrmann et Robert-Houdin, mes deux favoris. J’aimais lire le récit de leur vie et de leur carrière. Plus tard, à 14 ans, j’ai été inspiré par Doug Henning. Sa maîtrise des illusions et de la manipulation m’a laissé une impression durable. Slydini (professeur de Cellini), T. Nelson Downs et Malini, dans mes années 1930, sont devenus des repères pour moi.
En ce moment, je trouve l’inspiration dans l’œuvre de René Lavand et dans les réflexions théoriques de Juan Tamariz qui me fascine. Mais je suis toujours conscient de l’impact qu’a eu l’enseignement de Cellini sur moi, les années passées avec lui furent les plus précieuses de ma carrière.
Peu de magiciens savent que Quentino Marucci (Slydini) a été l’élève du grand Fu Manchu (David Bamberg) lorsque Slydini vécu en Argentine dans sa jeunesse. On peut voir l’influence d’Okito et Fu Manchu dans les gestes et les tours de Slydini, notamment, l’apparition de mouchoirs qu’il effectuait sur scène. J’ai vu de vieilles images d’Okito qui exécutait cette même routine. Moi (et d’autres étudiants de Cellini) représentons la dernière des 10 générations de magiciens. Ce qui, à ma connaissance, est la plus ancienne et la plus longue lignée de magiciens dans le monde.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Dans mon travail, je préfère un style plus ancien de magie. Je ne suis pas du tout attiré par les autres formes de close-up, et bien que j’apprécie la dextérité nécessaire pour les exécuter, je trouve beaucoup d’entre elles impraticables.
Cette opinion, je l’ai depuis longtemps. Je me souviens avoir acheté un des premiers exemplaires de Expert Coin Magic par David Roth en 1980, et d’avoir été déçu par ce travail et par les différentes routines employées. Un seul tour, Winged Silver on Edge m’a plu. Il est dans mon répertoire depuis. A cet égard, ce livre a été un investissement très intéressant et m’a procuré des dividendes toutes ces années.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Pour mes influences artistiques, je regarde en dehors de la magie pour les trouver. En premier lieu, il y a les impressionnistes français comme Monet. Dans mon travail, je n’aime pas les lignes claires et nettes (de l’école hyperréaliste) comme on peut en trouver dans la magie moderne de close-up, ou plus exactement dans ce que j’appelle les « morceaux YouTube ». YouTube a une influence majeure sur le close-up moderne. Des effets directs qui enlèvent toute imagination aux spectateurs. Je préfère de loin le charme d’un « bouquet d’émotions » et l’interaction avec le public que peut fournir la performance en live.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
J’ai appris de nouveaux tours grâce à des livres anciens. Autrement dit, les livres anciens, non seulement m’ont appris des trucs, mais ils m’ont surtout fait travailler mon imagination pour créer mon propre travail. À mon avis, les DVD et les vidéos ont fait beaucoup de dégâts chez les magiciens dans leur apprentissage.
Aujourd’hui, un tour est enseigné dans une vidéo, ce qui limite les magiciens dans leur quête de la connaissance et de la compétence. Les principes sont rarement enseignés et sont souvent implicites.
Ma recommandation, pour les magiciens qui cherchent une compréhension plus profonde de cet art merveilleux qu’est la magie, est de lire des livres ! Et restez à l’école ou vous finirez comme moi, vieux et amer !
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Je suis très opiniâtre sur l’état actuel de la scène magique. Pour être très clair, je trouve la grande majorité de la magie, telle qu’elle est pratiquée sur YouTube et ailleurs, en grande partie impraticable ! Ce qui signifie que l’accent est mis sur l’effet magique et non sur l’interaction.
Le magicien se sert de la magie pour se promouvoir, pour étendre sa réputation par rapport aux autres magiciens et ne fait rien pour la transmission de notre art. Le monde magique est relativement petit, nous sommes très peu par rapport à des photographes ou des musiciens par exemple. Mais il y a beaucoup de magiciens qui établissent leur réputation exclusivement à travers l’œil d’une caméra. S’ils apparaissent sur scène, ils doivent avoir un projecteur, rediffusant ce qu’ils font sur un écran plus grand parce que le tour est si petit. Ceci est un état déplorable.
Je me rappelle d’une citation de Dai Vernon dans la publication d’Expert Coin Magic, où tous les grands anciens de la magie des pièces se mettaient à genoux au pied de David Roth, parce qu’il était plus « grand qu’eux ». Je suis en total désaccord avec cela ! Cette idée est offensante. Les anciens maîtres ont retenu l’attention du public et les ont ravi par milliers, sans caméras, sans projecteurs et sans microphones. Ils ont enchanté leur public par leur bagout et leur présence. Pendant tout ce temps, ils ont mystifié leurs auditoires avec des merveilles.
Cellini m’a dit une fois qu’Emil Jarrow était l’artiste le mieux payé de l’ancien circuit de vaudeville. Vous pouvez trouver certains de ses travaux dans la série Stars of Magic. Il jouait toujours pour de grandes maisons, et même pour les spectacles de l’USO (The United Service Organizations, inc.) dans des tentes remplies de militaires. Malgré cela, il terminait son show avec le tour du penny et du dime. C’était du spectacle, c’était magique. Il n’y avait pas besoin de caméra ni d’écran, il était la magie. Bien que David Roth soit un grand expert en pièce de monnaie, je doute qu’il puisse accomplir ce genre de chose…
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Je pense que ce fut Paul Harris qui a le premier souligné, dans la presse, que la magie était une forme d’art qui pouvait transporter les spectateurs dans un état d’émerveillement enfantin. La magie est unique en ce sens. Elle est à la fois, une forme d’art intellectuel et émotionnel.
Un jour, quand j’ai demandé à Cellini s’il pensait que la magie était un art, sans hésitation, il a pointé son doigt vers moi et m’a dit « la magie a été le premier des arts». En tant que tel, elle a toujours fait partie de notre culture, de l’Âge de pierre à la recherche de troupeaux migrateurs, ou des chefs de tribus voulant tromper l’ennemi sur les champs de bataille.
La magie sera toujours une partie intégrante de notre structure sociale. Je me souviens avoir lu des études anthropologiques sur les indiens Apaches, il y a plusieurs années. Lors des réunions tribales, le chaman faisait un tour avec une graine de Yucca, plantée dans le sol et l’arrosait pendant que les gens regardaient. La graine germa et se développa pour se transformer en tiges avec des feuilles et fleurir. C’est une version du manguier indien, exécutée par les magiciens de rue à Calcutta. Un autre exemple avec les Indiens Hopi, qui veulent animer leurs poupées Kachina par la lumière produite par le feu. Les poupées dansent autour du feu lors de rassemblements tribaux. En utilisant le même mode opératoire que nous employons aujourd’hui, ils ont seulement utilisé des cheveux attachés ensemble pour faire se déplacer les poupées. Les méthodes magiques sont très, très vieilles. On peut dire avec précision, plus anciennes que la civilisation elle-même.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Mes hobbies sont multiples et variés. J’ai passé ma vie comme artiste, mais en plus j’ai étudié l’histoire de la guerre et la communication. Au cours des 20 dernières années, l’écriture a occupé une partie de mon temps et je travaille sur la suite de mon livre The Secret Art of Magic. Mes autres hobbies ont été guidés par mon amour pour la peinture, le dessin, et bien sûr, la magie.
Je crois que nous pouvons enseigner la théorie de la magie en étudiant l’histoire dans le but d’atteindre un jour une étape pédagogique importante, un programme d’études de toutes sortes qui produira des magiciens historiquement et culturellement informés qui incarneront tout ce que cet art représente.
– Interview réalisée en septembre 2016.
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