Extrait de L’Illusionniste, N° 4 d’avril 1902
Passant du classique au moderne, nous continuons aujourd’hui notre série de biographies par une rapide silhouette de notre éminent collaborateur E. Raynaly. Nos lecteurs qui ont déjà été à même d’apprécier la verve humoristique, l’esprit caustique de notre ami, le connaissent certainement de nom et de réputation et seront heureux, nous en sommes persuadés, de savoir les phases par lesquelles il a passé avant de parvenir à la toute première place qu’il occupe aujourd’hui dans la hiérarchie de la prestidigitation.
E. Raynaly débuta dans le métier en association avec un M. Bonheur, aujourd’hui disparu, sous le nom de « Les Frères Bonheur ». Ils présentaient alors des séances de « transmission de la pensée » dont la vogue venait d’être lancée par DONATO. Là n’était pourtant pas la vraie vocation du maître, qui ne tardait pas à renier ces scènes à grand spectacle pour se consacrer spécialement aux tours d’adresse. « De l’adresse, encore de l’adresse et toujours de l’adresse », telle est la glorieuse et légendaire devise dont pourrait à juste titre se parer le professeur Raynaly. Joignez à cela une verve infatigable, un esprit sûr et toujours au point et vous aurez le secret qui a servi de marchepied à notre confrère. Nul mieux que lui n’a su réaliser cette double incarnation de l’artiste mondain et du mage. II en est, à force de travail et de recherches, arrivé à cette parfaite connaissance de notre art qui permet d’exécuter impeccablement les expériences les plus difficiles, sans aucun effort d’esprit, machinalement si j’ose ainsi dire, et qui par suite permet à la pensée toujours en éveil de mettre à profit les moindres incidents de la séance pour en tirer la note juste, le mot pour rire.
Lorsqu’on le voit partir l’air bon enfant, les deux mains dans ses poches, personne ne se douterait qu’il emporte avec lui un bagage plus que suffisant pour amuser et intéresser une longue soirée devant l’auditoire le plus nombreux et le plus difficile. Tout lui est bon, une cigarette, un mouchoir, une tasse à café lui sont autant d’appareils dont il sait tirer des effets merveilleux. Ces tours accompagnés d’un boniment inimitable, émaillé de boutades imprévues, de saillies désopilantes, qu’il débite avec un aplomb et une placidité extraordinaires sont aussi bien le régal des yeux que des oreilles. Bien qu’il se soit aujourd’hui spécialisé dans les soirées privées où sa correction et son habileté le font rechercher entre tous, M. Raynaly a connu d’éclatants succès sur les grandes scènes parisiennes. Engagé à plusieurs reprises au théâtre Robert-Houdin, il est certainement l’un de ceux qui ont le plus contribué à maintenir la renommée du théàtre du grand maître dont il fut un des plus dignes émules. C’est à lui qu’échut l’honneur de donner la séance de réouverture lorsqu’après l’incendie M. G. Méliés réédifia le temple de la magie. Ce choix ne fut certes pas une des moins heureuses idées de l’habile impresario.
Raynaly au Théâtre Robert-Houdin avec l’illusion Noir et Blanc en haut à gauche (1888).
E. Raynaly est appelé à devenir une des grandes figures de la prestidigitation et nous prisons fort le gracieux concours qu’il a bien voulu nous apporter par sa collaboration à l’Illusionniste, certains que la collection de ses articles apportera une grande valeur à notre journal. Le bagage littéraire du maitre est à la hauteur de sa réputation d’artiste. Ses « Propos d’un escamoteur », cette spirituelle cinématographie de la vie d’un physicien ; sa « Vérité sur la mnémotechnie » sont autant de livres indispensables dans la bibliothèque d’un adepte de la magie. Tous ces efforts ont été couronnés par les palmes académiques dont s’orne la boutonnière de ce modeste. Que ne pouvons-nous demander à la baguette magique la puissance nécessaire à la transformation des palmes en… rosette par exemple ; il en serait beaucoup de plus mal portées.
Edouard Raynaly (assis) et Duperrey dans une scène du Château de Mesmer, une courte pièce de Georges Méliès pour le théâtre Robert-Houdin.
Nous ne pouvons mieux terminer cette rapide revue que par l’anecdote suivante qui montre que si M. Raynaly n’a pas craint de nous donner son appui dans notre œuvre de propagande, il n’en hait pas moins énergiquement les débiteurs de trucs, ces vandales de notre art. C’était en 1885 à la représentation de M. Herrmann jeune à l’Eden-Théâtre. Alléché par les tapageuses réclames de cet… artiste, M. Raynaly se trouvait en place pour la première. Grande fut sa surprise et sa déception. Nous lui laissons la parole pour raconter lui-même les suites de cette soirée. « Ajoutons à cela la présence dans la salle de complaisants compères qui arrivaient là portant sous les vêtements les lapins que le brave Herrmann semblait en faire sortir, mais qu’en réalité il nous posait audacieusement. Tout cela ne me parut pas valoir les cinq francs que me coutait mon fauteuil. Et, comme pour mettre un comble à mon peu de satisfaction, Herrmann eut en outre l’audace et la sottise de dévoiler publiquement un des plus jolis tours du répertoire moderne. On connait mes sentiments à cet égard : indigné autant par l’infériorité de son talent que par ce dernier trait de divulgation, je sifflai outrageusement à la chute du rideau.
De là, tumulte, arrestation, citation et finalement condamnation à 5 francs d’amende. Comme compensation, M. Plunkett, alors directeur de l’Eden, m’offrit une loge de six places pour me permettre de venir manifester en famille. J’acceptai l’offre tout en priant M Plunkett de se montrer généreux jusqu’au bout, de me réserver cette faveur à l’issue des représentations d’Herrmann, une seule audition suffisant à mon bonheur. Au cours d’une conversation que j’eus le plaisir d’avoir avec M. Plunkett en allant lui réclamer la loge promise, qu’il me donna lui-même, il m’avoua qu’il aurait bien voulu siffler aussi si sa situation de directeur ne l’en avait pas privé… » Cette histoire fit grand bruit à l’époque et occupa la première page des grands journaux, huit jours durant. C’est, à l’heure qu’il est, un des amusants souvenirs qu’aime à raconter notre excellent ami, lorsqu’ assis sous une charmille dans le jardin de sa villa « Les Muscades » à Viroflay, il fume sa cigarette en parlant du temps passé.
Jean Caroly
Extrait de Le livre d’Or de ceux qui ont un nom en Magie par Robelly (1949)
RAYNALY (Edouard-Joseph RAYNALY). Né à Paris (5ème) le 7 août 1842 (N), décédé à Beaufort-en-Vallée (Maine-et-Loire) le 19 décembre 1918 (D). Raynaly a donné, de longues années, libre cours à sa verve humoristique et son esprit caustique étincelait dans les articles qu’il écrivait dans l’Illusionniste de 1902 à 1914. Il fut le partenaire de Isidore Bonheur, dans un numéro impeccable de transmission de la pensée. En prestidigitation, son adresse était remarquable, il avait été à l’école de Moreau. Il connut d’éclatants succès dans les salons et sur les grandes scènes parisiennes. Auteur de : Les Propos d’un Escamoteur (1894), La Sorcellerie amusante, Tours de Cartes (s. d.) et La Vérité sur la Mnémotechnie (1897).
Note de la rédaction :
– Edouard-Joseph Raynaly, est un magicien de scène et de salon. il a travaillé au théâtre Robert-Houdin de 1888 à 1901.
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