Le passé ne meurt pas sans se défendre. Il y a eu une époque où toute la terre, croyait à la magie, où les sorciers étaient ses prêtres, ses médecins et ses sages. Il a fallu des milliers d’années pour que la science commençât à naître, dans le proche Orient et en Europe. Mais elle n’a pas tué la magie, et les secrets qu’on se passe de génération en génération, sans les écrire. En Afrique, en Océanie, en Amérique, les indigènes font encore de la magie leur science et leur religion, les esprits des morts s’y promènent encore, se logent dans des pierres, des arbres ou des animaux. On y croit aux charmes, aux amulettes, aux paroles efficaces, aux pierres à voler, aux crécelles à faire tomber la pluie et pousser les récoltes. On y a encore pour grand-père, pour beau-frère ou pour cousin, un kangourou, un perroquet ou un renard.
Masques de sorciers qui terrorisiez les populations primitives, c’est encore à vous que l’on fait appel pour exploiter la naïveté des gens superstitieux, hélas ! trop nombreux.
Mais il n’y a pas besoin d’aller en Australie, c’est assez d’aller en France, à la campagne. La technique et la science ont beau dominer la vie des villes, elles n’empêchent pas si vite les campagnes de garder les idées d’il y a deux mille ans.
Chacun de nous connait d’étonnantes histoires où les guérisons mystérieuses des maladies à l’aide de formules magiques et d’étranges mixtures alternent avec les naissances d’enfants à tête de chien ou de cochon, avec les rencontres en pleine nuit de la bête blanche ou du veau lunaire. Les gens de Saint-Etienne se souviennent encore du Petit Bon Dieu de saint Jean Bonnefonds. En Bretagne, il y a toujours des écouteurs des morts, et des conjureuses de seuil. On jette toujours des sorts dans la Sarthe avec des formules qui n’ont pas bougé depuis le Moyen Age. On croit toujours à l’Ile aux Moines et en Vendée que les moines reviennent après leur mort sous la formé de grands veaux blancs, et il y toujours des vieilles femmes pour lire les « Secrets du Grand Albert ».
Tout défend cette magie. Le développement même des chemins de fer et des cars la sert un paysan de la Loire-Inférieure que le sorcier de village ne guérit pas va voir le guérisseur de Châteaubriant, et pousse, s’il le faut, un jour de grand marché jusqu’à Nantes, pour consulter le célèbre rebouteux du chef-lieu. C’est ainsi que le passé se défend, que la magie résiste à la science, la campagne à la ville, la sorcellerie à la médecine…
Caricature du guérisseur Auguste Henri Jacob dans le journal La Lune (1867).
La magie va jusqu’à utiliser la science. Cette science qui n’est pas enseignée et ce n’est pas la seule instruction primaire, et obligatoire, avec son écriture, sa lecture et ses quatre règles, qui révélera ses vérités. Cette science qui demeure le privilège d’un petit nombre de savants, de spécialistes, semble à la plupart des hommes et des femmes un mystère de plus. L’électricité a gardé pour la foule des profanes qui l’emploient cette allure magique qu’elle avait du temps où on l’appelait « magnétisme » et où les dames de la cour de Louis XVI se réunissaient autour du « baquet » de Mesmer. La T.S.F., les ondes, les radiations sont arrivées et sont devenues, sur le champ, les grands pouvoirs de la magie au goût du vingtième siècle. Les antiques amulettes chargées de puissance magique sont remplacées par les talismans lourds de radiations. Les sourciers mobilisent des caricatures fantastiques de la véritable science et lisent sur des cartes le giseres souterraines et des cadavres de disparus. L’action mystérieuse des ondes remplace le jeu des envoûtements. Les astrologues parlent le langage de la science et les liseurs de pensée font des allusions à la psychanalyse comme à la nouvelle clef des songes.
Le sourcier, l’homme aux proverbes – extrait d’un livre de superstition français du XVIIIe siècle.
Dans les asiles, les malades qui parlaient autrefois de possession diabolique ont remplacé les démons par les mots de la science et disent qu’on leur fait de la T.S.F, dans la tête, qu’on leur vole leurs idées par l’électricité.
Mais la magie finirait à la fin par mourir si, une vaste industrie ne s’emparait pas d’elle. Ce n’est plus le sorcier campagnard qui règne, c’est le fakir, le sorcier des villes avec ses annonces, son cabinet, son téléphone et son compte en banque. Il se fait dans les villes une immense escroquerie au mystère avec les moyens puissants, de ta publicité commerciale.
Les temps ne sont pas sûrs. On n’est pas certain du lendemain, on parle de guerre menaçante, de troubles politiques, de crise. Le chômage menace, le monde semble douteux et obscur. Que d’inquiétudes. Comment vivra-t-on ? Vivra-t-on même ? Sera-t-on pauvre, deviendra-t-on riche ? On cherche une sécurité que la crise du monde capitaliste rend problématique. Fera-t-on faillite ? Dans ce monde troublé, on est seul. Le règne de l’argent met en péril l’amour, la famille. On veut chercher à lire l’avenir.
Enseigne d’horoscope Fakir (France, 1930).
Comment ne croirait-on pas ces gens ornés de titres impressionnants qui viennent dire qu’ils connaissent les secrets de l’avenir. Leurs noms vous poursuivent. Les journaux sont pleins de leurs recettes, de leurs succès. Pas un grand journal, pas un hebdomadaire qui n’ouvre sa rubrique d’astrologie, de magie. C’est un assaut de tous les jours. On finit par céder.
Il y a des gens pour qui cette recherche de l’avenir est comme une espèce d’opium, de stupéfiant. Ils questionnent avec tant d’avidité le futur qu’ils finissent par en oublier leur présent. C’est tout ce que les maîtres du jour demandent. Quand on oublie son présent, on ne pense plus à le transformer. On attend les bonnes fortunes du destin. Vous pensez bien que pendant ce temps, on a cessé d’être dangereux.
Bien entendu, on est volé, on n’en a jamais pour son argent. C’est comme les courses, ou le jeu. Il y a des femmes, et aussi des hommes, qui se ruinent en cartomanciennes, en fakirs. Ca commence par la consultation à 10 francs, mais ça continue par l’horoscope à 1000 francs.
Le mage Erik Jan Hanussen (1889-1933).
C’était ainsi en Allemagne, lors de l’avènement de Hitler, au moment où le grand homme du mystère était le mage Hanussen, agent hitlérien, tué depuis par les siens. La préparation du fascisme s’accompagne de la croyance aux sorciers. Parce qu’on finit par tout espérer des miracles, et qu’on oublie qu’on ne fait son avenir qu’en luttant.
Voilà pourquoi le journal l’Humanité a voulu parler des mages et des sorciers, voilà pourquoi je suis partie dans une courte exploration des industries et des commerces du mystère…
– Extrait de la série Trafiquants de Mystère (1ère partie) parue dans le journal L’Humanité du 5 janvier 1937.
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