Présentez-nous votre compagnie
DECALER : v. tr. (1845) littéralement « ôter la cale de » a glissé vers le sens de « déplacer un peu de la position normale’’, aussi en emploi figuré (1929), notamment en psychologie pour exprimer un défaut d’adaptation ; le verbe a aussi une valeur temporelle.
La Compagnie Décalée est née en 2000 de la rencontre de trois artistes pluridisciplinaires, en grande partie autodidactes, intéressés par l’exploration des disciplines liées à l’objet (manipulation, magie, musique) et de leurs capacités narratives pour en faire émerger les points de convergence et lignes de chevauchement, saisir l’essence des disciplines abordées pour mieux les dissoudre, les disséquer pour en transposer les principes les unes aux autres, et fondre le vocabulaire issu de chacune en un langage commun et universel, à l’écoute de ces moments précieux où les arts se répondent les uns aux autres.
La présentation de performances au public, bien que présente et faisant partie des motivations premières, ne constitue jamais une fin en soi car subordonnée à l’acte de création et à l’écriture du spectacle. Ainsi, une manipulation simple prend toute sa dimension si celle-ci vient logiquement conclure une scène pour lui donner une conclusion narrative par exemple. Par ailleurs, la compagnie part du postulat que la pluridisciplinarité des trois comédiens constitue également, au fil du spectacle, une forme de performance.
Parlez-nous de vos spectacles
Le premier spectacle de la compagnie, Living ! (pièce commune, plurielle et singulière) est né après trois années d’échanges et d’apprentissage ensemble, suivi de trois ans d’écriture et de recherche. Cette maturation était nécessaire pour dégager les grandes orientations du travail de la compagnie :
« Offrir des issues inattendues à des situations somme toute ordinaires, bousculer les repères instaurés, dérouter le spectateur des voies apparemment tracées, glisser vers un univers où les sens et la logique diffèrent de l’habitude, faire surgir du banal l’extraordinaire et l’absurde de l’évidence, c’est en fait révéler la poésie et la folie sommeillant en chacun de nous, et saisir une part de notre inconscient. »
Living ! évoque la vie quotidienne, et l’extraordinaire qui peut survenir dans les situations quotidiennes. Il présente donc trois personnages, chacun avec sa petite obsession, dans un intérieur matérialisé par des panneaux mobiles. Rythmées par la chute d’une boulette de papier dans une poubelle, quatre séquences se succèdent, commençant de façon semblable mais évoluant dans des directions bien différentes. La cinquième prend place dans un espace transformé où les personnages se perdent, envahis par les feuilles de papier, mais conservent leurs petites habitudes …
La Parade des Hiboux créé en 2010 est le second spectacle de la compagnie DéCALéE. Partant de l’envie d’incarner des personnages musiciens pour jouer de la musique sur scène, nous avons voulu traiter des angoisses et des peurs qui peuvent envahir des musiciens avant un concert ou une audition. C’est aussi l’occasion de détourner les instruments de musique en tant qu’objets, pour utiliser le côté « sacré » qu’ils ont en général dans l’esprit des spectateurs.
Comment intervient la magie dans votre travail ?
La magie constitue pour nous un outil puissant. Surprenante par définition, elle contribue à troubler les repères et à révéler les différences subtiles entre l’univers créé et la réalité. Son intérêt réside aussi dans sa faculté à s’intégrer aux autres disciplines : instillée discrètement dans des manipulations d’objets, elle peut en renforcer le caractère virtuose en perturbant les limites du possible, et elle peut aussi générer des situations de jeu ou des états émotionnels forts puisque inexplicables ou incontrôlables.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Autodidactes, nous ne sommes jamais partis d’une esthétique extérieure pour nous définir. L’humour n’est pas notre moteur ou notre vocation, pourtant notre mode de création axé sur la surprise, les glissements de sens, les décalages en tout genre, suscite souvent rires ou sourires. De même, nous ne faisons pas du clown, bien que nous voulions des personnages forts, corporels, aisément identifiables par leurs attitudes, leurs costumes, ou leurs objets. Cela participe d’une volonté de faire des spectacles attrayants et accessibles, dans lesquels chacun puisse trouver son compte en fonction de sa sensibilité et son imaginaire propre.
C’est pourquoi nous apprécions les personnages des Deschiens, l’humour de Pierre Etaix, les images de Philippe Genty, et tant d’autres artistes, sans pour autant en trouver un en qui nous nous reconnaissons.
Quel regard portez vous sur la magie actuelle ?
Aujourd’hui, la magie vit sa révolution, comme l’ont fait la musique et la danse avec l’apparition au milieu du XXème siècle de la danse contemporaine et de la musique sérielle, le cirque en général et la jonglerie en particulier dans les années 80 avec le nouveau cirque. Il s’agit d’une remise en cause des principes sur lesquels étaient basée les codes esthétiques et les champs d’utilisation de la discipline.
Nous voulons développer le concept de « magie naturelle », c’est-à-dire une magie qui viendrait « d’elle-même », sans intention apparente de produire un effet, mais au contraire faire survenir un effet dans le déroulement « normal » d’une scène ; soit à l’insu du personnage qui peut donc jouer la surprise, soit de façon tout-à-fait « normale » pour lui, en jouant donc du décalage entre sa norme et celle du public.
– Interview réalisée en avril 2011.
A visiter :
– Le site de la compagnie Décalée.
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