Conception, interprétation, scénographie : Romain Bertet. Composition musicale et régie son : Marc Baron. Manipulation de l’argile, scénographie : Barbu Bejan. Création lumière : Gilbert Guillaumond, Charles Périchaud. Régie : Charles Périchaud. Création : avril 2016.
Dans le cadre du festival Théâtre en mai, le Consortium Museum, centre d’art contemporain dijonnais, accueille ce spectacle atypique entre performance et arts plastiques. Le public est invité à descendre dans le sous-sol des lieux et prend place sur des gradins dans une petite salle plongée dans le noir total. Un bruit assourdissant prend progressivement possession de l’espace et un carré de lumière apparait petit à petit au loin, semblable à une toile de Rothko. Notre œil distingue encore mal de quoi il s’agit mais brusquement nous voyons des pieds apparaître par le dessus puis disparaitre dans un fondu au noir, principe qui sera à l’œuvre pendant toute la représentation ouvrant et fermant les espace- temps.


Finalement un homme réussit à s’extraire du plafond. Nous découvrons alors un espace trapézoïdale en perspective recouvert d’argile du sol au plafond. L’homme va alors essayé de sortir de ce lieu clos par différents moyens en grattant les murs argileux, créant des trous d’où il va sculpter des boules (qui surgissent aussi des murs) et se faufiler la tête la première. Son corps est constamment sollicité, amputé, décapité… il se fond dans la matière organique, ne fait plus qu’un avec la terre qui l’aspire, le digère et le rejette. L’homme revenant fatalement toujours au même endroit, comme si le temps le ramenait constamment au point de départ. Dans un moment où la solitude s’empare de lui, il fait surgir progressivement des murs une vingtaine de visages sculptés qui l’encercle et le regarde dans un dernier jugement sans appel. L’homme disparait ensuite dans le sol… pour certainement revenir indéfiniment dans le même espace, prisonnier à jamais.


Le danseur, performeur et chorégraphe Romain Bertet1 nous fait entrer dans un saisissant espace sans histoires, sans repères, en perpétuelle mutation, transformation et déformation. Un lieu poreux et instable qui est sujet à des failles temporelles multiples et dont toutes issues semblent impossibles. Cet homme des cavernes va s’inventer des compagnons fictifs et illusoires pour être moins seul et ne pas tomber dans la folie, à moins que ce ne soit déjà trop tard par un effet psychotique dû à un enfermement prolongé.
Il y a une dimension sacrée et chamanique dans ce remarquable spectacle où l’homme revient à un état primitif dans une renaissance originelle venue du fond des âges. Les effets spatiaux et temporels mis en place sont travaillés avec minutie par l’utilisation de la lumière qui découpe l’espace à des endroits bien précis, provoquant des abyme où se projettent nos fantasmes. La bande sonore est également très bien utilisée, renvoyant au monde extérieur (bruits de pas, d’oiseaux, de chuchotements…), mais aussi à une boucle temporelle sans fin. C’est une sorte d’allégorie de la caverne où les ombres illusoires sont remplacées par des bruits. Il faut aussi souligner la synchronisation parfaite du danseur et de l’éclairagiste qui provoquent des effets d’espaces fractionnés et de paysages changeants, tantôt exigus, tantôt infinis.

Ce voyage archéologique au centre de la terre (tête) n’a rien d’une ludique mission spéléologique mais plutôt d’une angoissante plongée dans la psyché humaine dont les spectateurs ressortent tous groggy, retrouvant fébrilement la lumière du jours et leurs vacillantes certitudes.
Note :
1 Romain Bertet a étudié la sociologie, l’anthropologie, l’histoire et la physique. Il commence la danse à 24 ans en intégrant la compagnie Coline à Istres de 2005 à 2006, puis le cursus « De l’interprète à l’auteur » au CCN de Rillieux-la-Pape / Cie Maguy Marin (2007-2008). Il travaille avec différents chorégraphes et metteurs en scène avant d’intégrer pendant 4 ans la compagnie Maguy Marin. Il continue ensuite sa carrière d’interprète en collaborant avec Alban Richard (Et mon cœur a vu à foison, Nombrer les étoiles), Ambra Senatore (Aringa rossa), Georges Appaix (What do you think). En parallèle, il crée plusieurs petites formes : Loue appartement et quelques mètres carrés (pièce pour l’espace public, 2006), Feldspath (2011), Le fond du lac (co-écrite avec l’auteur Samuel Gallet, en 2013).
Fin 2014, il initie la compagnie L’Œil ivre à Toulon et crée une première pièce De là-bas, en avril 2016 à La Valette. Il propose aussi plusieurs performances dans des musées : Acte 3: avant de commencer (Festival Constellations, Musée d’Art de Toulon, 2015), Les Animals #1, #2 et #3 et De la suite dans les idées (Nuit des Musées, Hôtel des Arts de Toulon, 2016) Il a été à l’initiative en 2008 du lieu de création pour jeunes artistes La Ruche à Lyon, un dispositif mis en place par Le Merlan pour aider de jeunes artistes dans leur communication et leur production. Depuis 2016, il travaille à l’aménagement d’un espace artistique Le Volatil, fabrique pour danseurs, performeurs, comédiens et plasticiens à Toulon qui ouvre en septembre 2017.
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