Vous voulez faire « rêver », alors commencez par mieux vous connaître. Etre en représentation c’est être face à un public que l’on ne connaît pas (le plus souvent) et qui ne nous connaît pas ; autant dire une aventure humaine nouvelle. Si le magicien ne sait pas qui il est, ce n’est pas le public qui va le deviner ; il part dans une déconvenue double : mystère du public et de lui-même, il n’aura pas l’esprit tranquille.
Ce que veulent les gens, plus que des tours de magie, c’est être en face d’une personnalité, d’un être humain (au sens émotionnel) qui va les transporter ailleurs que dans la réalité commune. Les spectateurs sont prêts à aimer l’artiste, mais pour cela il faut qu’il soit unique. Comment être unique ?, en cherchant au plus profond de soi-même ce que l’on est vraiment. Il faut se poser des questions concrètes :
– Quels sont mes qualités et mes défauts ?
– Quels sont mes goûts ?
– Qu’est-ce que j’aime, et qu’est-ce que je n’aime pas ?
– Quelles sont mes ambitions et mes croyances ?
– Qu’est-ce que je peux montrer de moi ?
– Qu’est-ce que j’accepte de dévoiler ?
Ces questions vont nous éclairer sur ce que l’on est et sur ce que l’on va donner aux spectateurs. Il ne faut pas oublier que le message c’est moi, mon histoire, mon visage, moi en tant qu’être vivant, « l’Art c’est d’être absolument soi-même » (2).
Francis Bacon, Portrait de George Dyer dans un Miroir (1968).
Maître de nous même, nous pouvons proposer au public notre univers, notre vision de la magie et non celle du « voisin magicien ». La copie est l’apanage de certains qui se bornent à dupliquer un numéro qu’ils ont apprécié, ou réitérer les mimiques d’un magicien modèle. Chacun d’entre nous est différent et possède une vision propre du monde et de la magie en particulier. Si l’on devient un clone c’est que l’on n’a rien à dire, donc rien à apporter à l’Art magique, c’est vivre dans l’ombre d’un modèle et ne pas assumer sa personnalité, donc de ne pas exister. Exister c’est s’engager ! s’engager personnellement et humainement dans un projet.
On met toute une vie pour se connaître soi-même ; il en est de même pour le personnage que l’on présente devant un public. On peut faire le choix de rester soi-même au naturel, ou bien incarner un personnage de composition. Dans les deux cas « quand on est en représentation devant un public, on se transforme physiquement et psychologiquement. La vie de tous les jours est différente de la vie scénique. C’est toujours moi, mais c’est aussi un autre moi. » (3)
On se découvre soi-même quand on se met en scène et on adopte une magie qui nous correspond, dans laquelle on se sent bien. Il y a deux écoles. Certains préfèrent rester eux-mêmes, vrais (si l’on peut dire). Et d’autres préfèrent se substituer à un personnage de leur composition en travaillant le look, le vocabulaire, la gestuelle, l’attitude, etc… C’est deux optiques différentes que l’on retrouve au cinéma et au théâtre entre l’acteur et le comédien. Tout le monde sait plus ou moins « jouer la comédie » ; il suffit d’être soi-même tout en exagérant certaines choses. Le jeu de l’acteur est quand à lui tout autre et demande un vrai travail de composition. En exemple la fameuse méthode de L’Actors Studio aux Etats-Unis d’où est sortie Robert De Niro l’exemple type de l’acteur qui « se fond » dans n’importe quel rôle ; n’ayant pas hésité à prendre 30 kilos pour interpréter le boxeur Jake La Motta dans le Raging Bull de Scorsese. Etre acteur c’est un métier à part entière. Nous magicien, loin de concurrencer le cinéma ou le théâtre, jouer la comédie est plus à notre porté. Cela peut même devenir passionnant quand-on pense à des comédiens comme Jean Yanne ou Jacques Dutronc qui ont su rester vrai tout en dévoilant à chaques films une facette différente d’eux-même. Que l’on choisisse d’adopter les outils du comédien ou de l’acteur, il faut au final assumer ce que l’on est et ainsi accepter d’être moins bon en étant original que d’être soi-disant meilleur en étant un clone. « You are the magic » (4) c’est vous qui êtes important, pas ce que vous faites.
Notes :
(1) Devise inscrite au frontispice du Temple de Delphes que Socrate reprend à son compte.
(2) Paul Verlaine
(3) Carlos Vaquera
(4) Albert Goshman
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