Présentez-nous votre compagnie. Pourquoi, quand et comment est-elle née ? Qui fait partie de l’équipe ?
Notre compagnie a été créée en 2005 lors du retour en France de Nicolas Ferré, suite à de nombreuses années de spectacle en « rue sauvage » en Italie. La naissance de son personnage remonte bien avant la création de la compagnie. En 2005, créer la compagnie a répondu dans un premier temps à la simple nécessité française d’avoir une structure porteuse. Puis sa création a engendré une forte structuration artistique tant dans l’acte que dans le propos. Depuis 2014 la compagnie est portée en codirection, par Pia Haufeurt et Nicolas Ferré.
Quels sont vos parcours et formations artistiques ?
Nous mélangeons tous les deux des parcours artistiques nourris à l’étranger mais aussi en école de théâtre et de cirque en France.
Pour Nicolas, l’Italie et ses nombreuses années de spectacle au chapeau fut une formidable école des Arts de la Rue. C’est aussi là-bas qu’il a découvert et commencé à travailler la magie. Par la suite l’école de Cirque de Chambéry et la formation de « magie nouvelle » au CNAC de Châlons-en-Champagne sont venus compléter et enrichir son personnage et ses outils.
Pia vient du théâtre, comédienne de formation, elle a beaucoup voyagé et travaillé grâce au théâtre avec des artistes et des publics multiples, mêlant souvent rencontres artistiques et sociales. C’est en France avec Générik Vapeur, historique compagnie de théâtre de rue, que lui a été offert pour la première fois la démesure de la rue et l’utopie de ce terrain de jeu. C’est la rencontre avec Nicolas et son clown au nez noir, qui oriente ses écritures vers le travail du clown de rue contemporain.
Sur quelles thématiques travaillez-vous ?
Nous écrivons pour un clown. Nous écrivons des spectacles fédérateurs, où le rire et la poésie rassemblent tous les publics. Pour que des espaces de rencontres puissent se créer entre l’individu, le groupe et le jeu. Pour être ensemble et que théâtre se vive. Nous défendons un théâtre populaire qui n’exclut pas l’exigence de sens, d’esthétique et de qualité artistique. Nous écrivons des espaces d’émotions dans lesquels notre clown peut évoluer, tisser relation avec les gens. Ils sont les témoins de ses pérégrinations et les acteurs de ses interactions. Nous écrivons et jouons essentiellement pour et dans la rue, elle est une source infinie d’inspiration en reflet de nos comportements sociaux. Nous la considérons comme un espace de liberté, qu’ensemble nous devons nous approprier. Nous écrivons des instants éphémères que nous voulons sincères.
Parlez-nous du personnage de Frigo. Comment s’est-il « construit » ? Sur quelles références ?
C’est l’histoire d’un jeune homme, qui fait en Italie des spectacles de rue « au chapeau ». Faire son cercle, appréhender le badaud, proposer de l’efficace et de l’exploit, et vivre de ce retour direct. Puis un jour la valise casse et à un angle de rue, un vieux frigo abandonné. Mis sur diable, il deviendra rapidement l’accessoire central, la réserve à accessoires d’improvisations. Puis de retour en France, la première création donnera le nom « Frigo » à ce personnage, la mise de nez, l’écriture. Le rapport au public vient de ces rencontres directes qu’imposent les spectacles de « rue sauvage ». Dans ce second temps par l’écoute des publics qu’offrent les représentations en théâtre ou en festival, ce personnage a pris son temps, s’est affiné. C’est un va-et-vient entre l’improvisation, le contact avec le public et les finesses de présences et d’écritures qui rythment ce personnage. Certains y trouvent du « Charlot », d’autres du « Grock », les sources d’inspirations sont nombreuses et se mêlent pour créer l’unicité de ce personnage tendrement cynique.
Parlez-nous de vos spectacles depuis 2005 (Projet sans Gravité, Ceci est un faux, Fratelli Ramirez, Poche secrète, Frigo)
Les quatre spectacles de la compagnie qui ne mettaient pas en jeu Frigo, sont différentes approches de la magie. Ils ont été respectivement des recherches en magie et vidéo projection, magie de plateau et lumière, magie comique et magie onirique. Frigo (2010) est le clown, poétiquement incorrect, bateleur-improvisateur, qui questionne la nécessité de l’exploit pour toucher le précieux dans la rencontre. Frigo [Opus 2] (2017) conserve ce profil avec un appui de jeu par une écriture à tiroir, en temps d’avance qui lui offre une dimension poétique plus dense et soutient son contact au spectateur.
Quels sont vos projets artistiques (Vertige des oiseaux/En attendant Frigo) ?
L’écriture est en cours, le titre non défini. Nous allons approfondir encore ce personnage Frigo, nous ne nous en lassons pas et cherchons une nouvelle manière de l’aborder, de le mettre en jeu et de le voir mûrir. Aujourd’hui nous rêvons d’un univers où la poésie des images intensifie l’émotion clownesque. Chargé de nostalgie, de désarroi, de solitude et grâce au rire, de dérision, d’espoir et de rencontre. C’est à un clown sensible que nous voulons écrire un espace de jeu.
À quel moment se mêlent justement le tragique et le comique ? Comment la fragilité et le sensible restent accessibles à tous ?
Nous écrivons un duo, un clown et une voix. Nous pensons la scène comme notre Zone A Défendre de la désillusion de ce monde contemporain.
Comment intervient la magie dans votre travail ?
Nous n’exploitons que très peu la magie en termes de tour. Nous l’abordons surtout en termes de « pensée magique » c’est à dire pensée, l’écriture en temps d’avance. La construction même d’un tour s’opère de cette manière, pour nous c’est l’écriture globale du spectacle que nous lions en ce sens. Dans notre spectacle, lorsque tour il y a, c’est le rapport émotion magique au service de l’instant poétique que nous cherchons. C’est toujours très compliqué d’allier le théâtre à la magie, car chacun a ses rythmes, l’émotion magique peut perdre de sa densité si elle veut raconter une émotion théâtrale. Dans Frigo [Opus 2] nous avons fait le choix de positionner la magie discrètement au service du clown, un renfort à l’émerveillement et à la densité poétique.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Des influences à l’image de nos parcours, multiples et parfois contradictoires. La grandeur de l’émotion du Théâtre du Soleil, la sincérité d’écriture d’un Jean-Marc Mahy, la prise de plateau d’un Peter Brook, la poésie de Fellini, la sensibilité de Chaplin, la force de présence de Keaton. Des auteurs aussi, la poésie nécessaire de Siméon, la relation au public dont parle Augusto Boal, l’absolu de Beckett… Les photos de Doisneau, les peintures de Magritte, celles d’Hopper… Tant d’autres, en espérant que « Rien ne se perd, […] tout se transforme ».
Quel regard portez-vous sur le cirque actuel ?
Un regard curieux de ses transformations, de ses recherches pour trouver sa place dans notre époque. Il est en mutation permanente, ce qui finalement est à son image, le cirque n’a jamais cessé de se réinventer au fil des siècles.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
La magie comme le cirque, se doit de muter, longtemps démonstrative je crois qu’elle ne doit pas se contenter ou se satisfaire de son effet. Notre époque, riche de l’accessibilité aux sciences, aux savoirs, riche de l’histoire aussi, témoin des dangereuses manipulations de masse, nous permets de bouger les lignes de postures entre le public et le magicien. Plus de « manipulation dominatrice », il faut aujourd’hui un accord de croyance entre les deux partis. C’est l’émotion magique qui ne doit pas se perdre et à travers la sincérité de jeu toucher l’humilité, l’acceptation de ce qui nous dépasse, de nos incompréhensions, questionner nos surprises.
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Interview réalisée en septembre 2024. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © Céline Dall’Aglio / Julien Lafon / Jessica Simin / Kalimba Mendés / Compagnie Dis Bonjour à la Dame. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.