Chaque année, la péniche la Pop arrimée Quai de la Loire propose de découvrir une œuvre d’art « dont le son est l’un des éléments constitutifs, voire l’enjeu central de sa conception ». Comme l’an passé, avec Kollaps de Claude Lévèque, une installation créée en 1999 au Consortium à Dijon. Soit une plongée dans le noir absolu avec ce que cela peut comporter de perturbation des sens: sur un sol en mousse qui déséquilibrait la marche, on devait aussi se soumettre à la présence des autres, puis à un vent violent, et enfin subir le bruit assourdissant de trois hélicoptères au décollage ! L’installation de Christian Boltanski se voit aussi dans le noir absolu. On connaît ses obsessions de cet artiste, considéré actuellement comme l’un des plus importants d’Europe, et qui avait été invité à investir le pavillon français à la Biennale de Venise 2011. La mémoire, l’enfance et surtout la mort, l’attente de la mort : celle des autres et la sienne… Des thèmes essentiels dans son œuvre qu’il a traités au moyen de la photo, du cinéma et de la vidéo.
Nous nous souvenons encore avec émotion des Objets de la vieille dame exposés sous vitrine vers 1975 et qui avait fait s’évanouir une de nos étudiantes ! Ses œuvres récentes participent aussi de cette même obsession assumée de la mort comme Les Archives des cœurs dans l’île de Teshima au Japon, ou La vie de C.B ou Le Pacte avec le diable de Tansmanie, Australie. Commencée en 2010, et dont le point final sera la disparition de son auteur, sa vie est filmée en continu par quatre caméras dans son atelier à Malakoff. Les images de ces vidéos sont ensuite retransmises dans une caverne en Tasmanie et stockées sur DVD. Mais David Walsh, un milliardaire qui a gagné une immense fortune au jeu et acheteur de cette œuvre-performance, n’a pas le droit d’en faire quoi que ce soit, du vivant de Christian Boltanski qui a choisi en effet de lui vendre en viager sur huit ans. La forme de ce contrat étant du jamais vu dans le monde artistique, mais aussi sa durée dans le monde de l’immobilier ! « Si je meurs dans trois ans, dit-il, il est gagnant. Si je meurs dans dix ans, il est perdant. Il m’a assuré que je mourrai avant huit ans, puisqu’il ne perd jamais. Il a peut-être raison. Je m’occupe peu de ma santé. En tout cas, je vais essayer de survivre. On peut toujours se battre avec le diable ».
Pour le moment, ce diable australien (55 ans) verse donc à l’artiste, le viager prévu. Et le MONA, son musée souterrain en Tansmanie attire toujours de nombreux visiteurs, avec une importante et reconnue collection d’œuvres d’art contemporain, comme entre autres le fameux Cloaca de Wim Delvoye, cette machine à fabriquer scientifiquement de la merde à partir d’aliments qu’on lui injecte. Il y a aussi, Pulse Room de Rafael Lozano-Hemmer qui, curieusement, rappelle cette installation de Christian Boltanski, avec des pulsations cardiaques matérialisées par une ampoule clignotante parmi d’autres. Et Monanisme, une expo permanente consacrée au sexe et à la mort.
Quant au diable français (72 ans), il se porte toujours bien, et dans un an, si on sait compter, il aura gagné ce pari. Lequel, sur le plan financier ? On ne sait pas trop, mais qu’importe… En tout cas, cette installation fascinante, déjà un peu ancienne et prêtée par son propriétaire, est d’une rigueur et d’un minimalisme tout à fait remarquables… Une fois que l’on a descendu quelques marches dans cette péniche-ancien pétrolier, on entre sur la gauche et aussitôt, on est plongé dans un univers absolument noir, où on découvre ensuite de nombreux petits miroirs rectangulaires accrochés aux murs. Et, au plafond, une ampoule à incandescence, héritière très contemporaine de celle qu’en 1879, Thomas Edison mit au point après des milliers d’essais ! Elle nous éclaire un peu autant qu’elle éblouit à chaque pulsion et au un rythme très invasif, presque insupportable, du bruit très amplifié, très prégnant des battements du cœur de Christian Boltanski.
Dans ce noir absolu, ce bruit que fait ce muscle essentiel à notre fonctionnement exprime la vie, et le message visuel lancé par ces éclairs blancs de lumière répétitive, signifie l’angoisse liée à toute existence humaine. A mi-chemin entre les arts plastiques et la scène… Le personnage de Thomas Edison avait déjà fasciné Bob Wilson et il en avait fait un spectacle ! Cela rappelle aussi que l’œuvre de Christian Boltanski a souvent eu à voir avec le théâtre, notamment au plan scénographique comme cette très belle Installation de vieux vêtements au Grand-Palais à Paris et il avait aussi exposé autrefois une série des marionnettes au Théâtre du Ranelagh. Allez voir/écouter cette magnifique installation, (entrée gratuite) mais attention : n’y emmenez pas votre vieille cousine, effet angoissant garanti, et claustrophobes s’abstenir.
– Source : Le Théâtre du Blog.
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