Cendres, d’après Avant que je me consume, roman de Gaute Heivoll. Mise en scène : Yngvild Aspeli.
Au lointain, de minuscules maisons blanches sur une falaise, en bord de mer : celles d’un village paisible au sud de la Norvège. On entend le vent et les vagues. Sur un praticable, à l’avant-scène, un petit bonhomme, manipulé par des ombres noires, gambade et rigole, brandissant un jerricane d’essence…
Sur son ordinateur, un écrivain commence un récit : de ses phrases, inscrites sur un écran, émergent les personnages d’une légende qui a bercé son enfance, l’histoire pourtant bien réelle de Dag l’incendiaire, qu’il va nous conter. Une histoire intimement mêlée à sa vie : il avait deux mois, cet été 1978, lors des événements : « L’histoire des incendies m’a suivi toute ma vie, jusqu’à ce que je me décide à l’écrire. » L’occasion pour l’auteur de croiser les démons personnels qui le consument, avec ceux qui habitent le jeune pyromane, l’occasion aussi de revisiter sa propre mémoire familiale.
Yngvild Aspeli, à partir du roman, fait naître des êtres et des images issus de ses fantasmagories. Et ses marionnettes, plus vraies que nature, sont comme habitées par une vie intérieure. De l’ombre, du feu et de la fumée, surgissent alors des monstres démoniaques que le narrateur va devoir affronter comme autant de cauchemars. Les siens et celui de son héros.
Tout commence un soir chez les Ingerman, une famille ordinaire : la mère, le fils et le père, chef des pompiers de son état qui habitent un modeste logis. Le gamin, un diablotin roux, se déchaîne… Le village prend feu ! Brusque changement d’échelle : les poupées prennent alors des tailles humaines et les acteurs-marionnettistes apparaissent à leurs côtés, les manipulant à vue, et parfois sont manipulés… Une lutte sans merci s’engage entre rêve et réalité. Tandis que le pyromane démoniaque fait des siennes, d’autres apparitions viennent hanter le plateau. L’écrivain voit son père agonisant, s’envoler dans la fumée d’une dernière cigarette… Des bêtes sauvages effrayantes sortent de la forêt : un loup-garou, une carcasse d’élan…
Directrice artistique de la compagnie Plexus Polaire, installée en Bourgogne depuis 2016, à la suite d’un compagnonnage avec la compagnie Philippe Genty, la metteuse en scène norvégienne Yngvild Aspeli qui réside en France depuis 2003, mène depuis une carrière internationale. Cendres, créé en 2014, ne cesse depuis de tourner. Après Chambre Noire (2017), la metteuse en scène travaille à une adaptation de Moby Dick d’Herman Melville pour 2020, et nous promet une baleine géante.
Cendres interroge les frontières entre normalité et folie. Mêlant acteurs, marionnettes, vidéo et son, avec une grande virtuosité technique, ce spectacle nous entraîne dans un monde où réalisme et fantastique se côtoient et s’interpénètrent. Du très bel ouvrage.
A lire :
– Avant que je me consume de Gaute Heivoll (Editions Jean-Claude Lattès, 2014).
– Chambre noire de la compagnie Plexus Polaire.
A voir :
– Le site de la compagnie Plexus Polaire.
– Pyromaniac. Film norvégien de Erik Skjoldbjaerg (2016).
Article de Mireille Davidovici. Source : Le Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Alipio Padilha, Claire Leroux, Cie Plexus Polaire. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.