Comment êtes-vous entré dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
Bonjour à tous. Je suis entré dans la magie tout petit, je me souviens encore des boîtes de magie que j’usais à l’âge de huit à dix ans, de mes parents couchés et moi qui travaillais secrètement, je voulais absolument montrer le petit cube en mousse qui disparaissait dans un foulard. L’entrée dans la magie s’est faite par différentes portes, j’ai toujours été attiré par le mystère du secret. J’ai donc commencé par lire « comment les agents secrets codaient des messages dans des textes », j’ai inventé mes techniques, j’ai aussi lu des livres de Franz-Anton Mesmer, l’hypnose étant pour moi mystérieuse à l’époque. Je me suis intéressé à la mémoire de l’eau, aux projections astrales… J’étais dans une phase ou tout ce qui approchait du mystère m’intéressait. J’étais déjà un enfant qui voulait créer des choses de ses dix doigts, dans les années 80, début 90, je faisais des films avec mes jouets en stop motion, je m’intéressais beaucoup à « l’art de faire croire » du cinéma. Tout ce qui était lié au trucage vidéo m’intéressait énormément.
Puis un jour, à l’âge de treize ans, j’ai rencontré, ce qui pour moi était un vrai magicien, une personne capable de faire des tours de magie, des disparitions, etc. C’était un ami d’un ami de mes parents passionné de magie. En tant qu’enfant, je l’ai collé ! Je ne l’ai pas quitté jusqu’à ce qu’il m’explique. Il a bien voulu me montrer la disparition de la pièce, une sorte de « faux dépôt » et m’annonçant que si je voulais connaitre d’autres techniques, il fallait travailler cette séquence. C’est en lui montrant qu’une semaine m’avait suffi pour être meilleur que lui, qu’il s’est décidé à m’en montrer quelques autres. Puis un jour, il m’a donné un catalogue papier d’une boutique. Grâce à une loupe et à la re-re-re-relecture du catalogue, j’ai découvert un monde magique aussi vaste qu’infini. C’est donc à cette période que ce petit bonhomme timide, renfermé sur lui-même, a rencontré la magie.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
C’est après deux ans d’intérêt pour la magie à me renseigner, à collecter, à m’entraîner que j’ai croisé la route de Claude Gilson (créateur du club de magie de Nevers), qui sera à jamais dans mon cœur, et Benoît Rosemont, en qui je serai toujours reconnaissant. Ils sont les deux magiciens que j’ai rencontrés pour entrer dans le club de magie Nivernais : le CMN. J’avais donc quinze ans, j’ai sorti mon plus beau jeu de cartes (Ducale) et j’ai tenté de montrer mon intérêt. Je me souviens de Claude qui me fait le jeu Brainwave… Quel souvenir… Je ne savais plus où j’habitais !
Le club a été important pour m’épanouir, pour apprendre, pour avoir un objectif mensuel. Ils ont été aussi d’un grand soutien d’un adolescent cherchant sa voix, cherchant une épaule, une écoute pour passer cette phase compliquée. Les associations ainsi que leurs bénévoles sont vraiment indispensables à notre société. Le CMN organisait chaque année un gala de scène, ou le close-up à sa part lors de l’entracte. C’est ici que j’ai pu montrer mon travail, mon énergie pendant ce quart d’heure. Quels souvenirs ! La veste trop large, la technique maîtrisée mais absente à cause du stress, le texte oublié, le voile devant les yeux… C’est cette adrénaline qui m’a fait continuer et aimer le close-up par rapport à la scène. Ce contact direct avec l’humain, cet échange sans filtre, ce retour du public, ont fait que le close-up m’a beaucoup plus attiré que le mur blanc visible sur scène. Les numéros de scène m’ont longtemps repoussé à cause de ce côté « auto centré ». On réalise le même numéro qu’il y ait un public ou pas. Le centre d’attention est le magicien, la scène et non l’échange créé entre la scène et la salle.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un événement vous a-t-il freiné ?
Les magiciens qui m’ont inspiré et m’ont permis de commencer ont été Claude Gilson, Benoit Rosemont et Marc Anthéor pour le côté prestation. C’est en partant de Nevers que j’ai rencontré les magiciens pros de Clermont-Ferrand, là où je faisais mes études (Licence de chimie). Maverick, Orio, m’ont permis d’apprendre sur le métier de magicien. J’ai pu voir ces professionnels en action, ma vision de la magie a changé, mon approche et mes capacités aussi. C’est à ce moment que j’ai rencontré un ami magicien, non connu, Cédric et bien évidemment Max, le célèbre magicien vendeur en boutique. Il était gérant d’une pizzeria italienne à Nevers. Ce lieu est vite devenu le lieu de rencontre des magiciens pros de Clermont-Ferrand et des amateurs éclairés. Le restaurant pouvait contenir cent personnes. Quelle chance pour ces clients d’avoir une équipe de cinq magiciens. Et quel plaisir pour nous de tester des choses et de pouvoir faire des soirées K7 VHS en after. C’est vraiment Max qui m’a permis d’avoir un public pour avancer et comprendre ce qu’est la magie de close-up.
Quels sont vos domaines de compétence ? Dans quelles conditions travaillez-vous ? Parlez-nous de vos créations, spectacles et numéros.
Depuis ce moment, la magie de close-up ne m’a plus jamais quitté. Je m’intéresse par phase à différents domaines de la magie, j’ai détesté les cartes, pour me mettre aux pièces en 2010, puis j’ai commencé le mentalisme qui me procure beaucoup de satisfaction. Ce qui m’intéresse finalement le plus dans la magie, c’est la théorie magique. Cela est peut-être dû à mon esprit de scientifique. J’applique ce que j’ai appris en tant que chimiste en recherche et développement au processus créatif et à la magie. Pour pouvoir développer un nouveau produit dans le domaine du pétrole, du papier, des médicaments, il est important de faire une bibliographie pour faire un état actuel des choses et de dépelotter une trouvaille d’une université ou de se baser sur cette bibliographie pour imaginer de nouvelles voix. Pareillement, il est important de connaître le fonctionnement mécanique, chimique (…) pour pouvoir avancer dans la création d’une nouveauté ou pour solidifier les méthodes en place. C’est identique en magie, il est important de savoir pourquoi un effet fonctionne, comment faire en sorte de créer de la magie pour pouvoir reproduire le processus à chaque numéro, chaque effet.
Je suis magicien à Lyon. Je travaille majoritairement en close-up, je crée beaucoup d’effets, de routines, que je note ou que je teste sur le terrain. Il m’arrive de créer pour créer dans le seul but d’innover dans un domaine (mentalisme, pièces, cartes…) ou pour répondre à un problème. Par exemple, j’ai créé Fragrance, un gimmick outil permettant d’avoir un distributeur d’odeur caché en pleine vue. Le problème que je souhaitais résoudre était d’ajouter une étape olfactive à une routine de PK touch. C’est pour cela que j’ai développé un sharpie permettant de déposer une odeur facilement. Pour Lugdunote, même philosophie ! J’avais besoin d’augmenter la visibilité lors de mes routines de Pocket writing. C’est pour cela que j’ai dû créer un support permettant d’écrire au feutre dans la poche sans salir la poche ni la main.
Cette manière de pensée est aussi appliquée à mes spectacles. Je souhaite que mes représentations suivent un cahier des charges, comme la création d’un produit grand public. Par exemple, mon spectacle tient dans une petite valise de close-up. Que ce soit au niveau du micro, de la musique, du guéridon, du tableau à craie, et des effets. C’est pour cela que j’ai développé un guéridon gain de place, un tableau à craie pliant etc. Au niveau de la théorie, je l’applique aussi à mes spectacles scéniques. Comment une méthode, un effet, peut empêcher le spectateur de remonter les méthodes pour vivre la magie.
Vous dispensez des séminaires et des Team Building. De quoi s’agit-il ? À qui sont-ils adressés ?
Oui, j’organise des séminaires et des Team Building à Lyon. C’est un savant mélange de développement personnel et de magie. L’objectif étant que le salarié prenne conscience de certaines de ses capacités et passe à l’action.
Pouvez-vous nous parler du Magigazine que vous avez créé et animé avec votre collègue Chakkan depuis 2012 ? Quand, comment et pourquoi est né ce projet ? Pourquoi s’est-il arrêté ?
Sacré projet que le Magigazine. Il n’est pas mort, pas complètement, il vit dans nos cœurs… Ce projet est né de l’envie de partager nos folies consuméristes… À l’époque où il n’y avait que les Anglais qui réalisaient des revues de produits, il nous est apparu important de partager nos expériences d’achat en français. Nous étions les premiers en France, cela remonte à 2012. Lors de ce magazine vidéo, nous souhaitions partager des interviews, des avis de produits, des discussions entre copains autour de tours, de routines, de spectacles.
Au tout début de l’aventure, nous n’avions qu’un appareil photo pour capter. La technologie n’était pas la même qu’aujourd’hui, il existait encore des caméscopes, des appareils photos… Là où aujourd’hui tout est contenu dans ce petit boîtier noire à image changeante. Nous étions aussi néophytes en montage vidéo, en son, etc. Ce projet m’a permis d’acquérir de nouvelles compétences en termes de montage vidéo, de gestion des réseaux sociaux, en termes de prise de contact, mais aussi nous a beaucoup apporté du côté humain. J’ai pu créer des relations avec des boutiques, des créateurs, des magiciens inconnus… Moi qui aime les rencontres, cela m’a beaucoup, beaucoup apporté. Malheureusement qui dit donner de son temps annonce une fin. Nous passions énormément de temps à lire, à décortiquer, à comparer, à trouver des moments pour se voir, à monter, à gérer une page Facebook… Ce temps n’étant pas le temps qui « remplit le frigo », a fait que le Magigazine est venu au second plan de nos projets. C’est vraiment le manque de temps qui a envoyé le Magigazine au placard. Il n’est pas mort, nous essayons de faire vivre la page, peut-être qu’un jour nous trouverons l’organisation pour le remettre sur pied.
Je suis un être qui aime les rencontres, les échanges, brainstormer avec des amis magiciens. C’est pour cela que j’ai décidé, avec Sébastien Lestrade (Handmade Manufacturer), de monter Smart Bastards un magazine (trimestriel) en 2021. Ce projet était le fruit de nos échanges sur WhatsApp. Dix copains échangeant des idées. Bien sûr, comme l’objectif n’était que de partager, nous n’avons diffusé ce magazine que pendant une année. Nous sommes fiers des quatre-cents pages d’idées mises à plat.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marquées ?
Difficile à dire, je ne regarde pas beaucoup de spectacles de magie. Dans le peu que j’ai vu :
- Le passage de Buka aux Mandrakes d’Or en 1997 (tapez « Buka synchronized » sur YouTube). Ce magicien n’avait qu’une carte, pas de musique ! Un numéro de manipulation de drôle, en chanson qui dure six minutes.
- In & Of Itself de Derek DelGaudio. Une claque, tant en termes de présentation que d’effets.
- Les passages de Sylvain Mirouf au Studio Gabriel de Michel Drucker quand je débutais la magie.
- Laurent Piron et sa boulette de papier magique.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
J’aime beaucoup la magie où je note un travail sur la psychologie, la construction. J’ai horreur des démonstrations techniques si l’objectif n’est pas la magie, par exemple les manipulations de cartes en scène ! 90% c’est : « je fais apparaitre et disparaitre des cartes ! » Oui, et alors ? Pourquoi tu fais ça ? Si vraiment tu étais magicien, tu ferais apparaître des cartes ? C’est pour cela que j’aime beaucoup le mentalisme qui est basé sur beaucoup de psychologie.
Quelles sont vos influences artistiques ?
J’ai beaucoup, beaucoup lu de livres sur la magie de restaurant et de bar. The Magic Menu de Jim Sisti (1990-2001) par exemple m’a beaucoup influencé. Dans la dernière décennie, la magie de l’école espagnole m’a retourné le cerveau. Je suis également très fan des livres sur la théorie de Darwin Ortiz (je connais presque par cœur Designing Miracles).
Quels conseils et quels chemins conseiller à un magicien débutant ?
Lire et apprendre Designing Miracles, comprendre les temps forts et faibles de Slydini, rester humble, ralentir pour laisser le temps au spectateur de digérer la magie et surtout réfléchir, créer ses propres solutions.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
La magie actuelle est de plus en plus rapide. Une routine dure moins d’une minute ! À cause des réseaux sociaux, la magie est devenue plus visuelle et plus rapide. C’est à la fois bien, mais le visuel retire un aspect émotionnel. Il est bon de mélanger les deux, mais ne pas faire que de la magie visuelle, c’est fatigant. Je remarque que ce que j’apprécie le plus est en train de disparaître à cause de la facilité à accéder à l’information. C’est la magie liée à la culture d’un pays. Il y a une vingtaine d’années, les Français avaient leur façon de faire de la magie, les Américains, les Anglais, les Italiens la leur… À cause de l’accès de la même information partout dans le monde, tout le monde fait le même style de magie. Essayons de gardons la culture française dans notre magie. Je remarque aussi que les magiciens ne réfléchissent plus. Plus autant qu’avant ! L’ensemble des magiciens réalise la même routine de la même façon et surtout à la manière du créateur. Il faut être capable d’imiter pour apprendre, mais une fois maîtrisé, il faut être capable d’ajouter du soi dans sa magie.
J’aimerais aussi conseiller aux magiciens de voir un effet du commerce n’ont pas comme un effet mais plutôt comme un outil. De la sorte vous ne percevrez plus l’effet comme un projet abouti mais comme le commencement de quelque chose. Cela va vous ouvrir d’énormes pistes dans différents domaines. Par exemple, je vois beaucoup de monde faire Double Cross. Et beaucoup achètent ce tour pour l’effet de la croix qui voyage. L’effet fonctionne, on le sait, il existe depuis des siècles avec de la cendre, du rouge à lèvre, etc. Mais Double Cross est avant tout un outil permettant de faire apparaître une croix ou vous voulez à l’insu du spectateur, un outil pour faire disparaître une encre, un outil pour marquer un objet, etc. On pourrait encore continuer la liste. Penser en termes d’outil va vous ouvrir des portes…
Quelle est l’importance de la culture dans l’approche de la magie ?
J’aime cette question. Un Asiatique aura une autre magie qu’un latin, qu’un Germanique, qu’un Australien… C’est lié à l’histoire du pays, la culture, le monde qui nous entoure. Pensez aux humoristes ! Nous avons une manière de faire de l’humour différente des Américains qui sont très fan du Stand-up. Nous avons des humoristes qui jouent des personnages ! Je ne suis pas anthropologue, je ne pourrais pas faire une dissertation de fond sur ce sujet. Mais je suis convaincu que notre culture française coule dans nos veines. Alors réfléchissez, creusez, mettez du VOUS dans votre magie et faites-vous plaisir.
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Interview réalisée en mai 2024. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Brice Leclert, Flotograff, Ben photographe de vie, Calix. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.