George W. Brindamour est né le 5 avril 1870 à Cannon Falls, Minnesota. Ses parents, originaires de Sorel au Québec, migrent aux États-Unis dans les années 1847. Son père a des problèmes de santé et déménage en 1867 à Cannon Falls où il exploite un hôtel (le New England House) sous le nom de Sam Brown (une version anglicisée de son nom de famille). En 1874, il vend son établissement et s’installe avec sa famille à Woonsocket, Rhode Island où se trouve une importante communauté franco-canadienne. Il dégote un emploi dans l’industrie textile alors en plein essor.
De photographe à magicien
George W. est passionné par le cyclisme, la magie et la photographie. Il commence alors à apprendre le métier de photographe en travaillant pour deux studios de photographie avant d’ouvrir le sien en 1892 à Woonsocket (sous le nom de Sam Brown, comme son père). En parallèle, il se produit en tant que magicien semi-professionnel sous le nom de Professor G.W. Brown, dans sa région. Il se fait assister par sa nièce Etta May Tessier, une pianiste de quinze ans et de son frère Walter (1878-1905). Il acquiert de l’expérience en très peu de temps et quitte son métier de photographe en 1898 pour devenir illusionniste professionnel et prendre la route pour travailler. Il monte sa propre compagnie et change alors son nom de scène pour adopter Brindamour1, son vrai patronyme. Son spectacle comprend des numéros d’illusionnisme, de la ventriloquie et de la comédie. Son numéro vedette est Transmutation, le fameux Metamorphosis (La Malle des Indes) d’un certain Harry Houdini…
En 1898 et 1899, Brindamour visite la région de la Nouvelle-Angleterre et divertit le public avec de la magie et des évasions. Il rencontre alors Helen Hilliard2, qu’il épouse rapidement en 1902. Elle devient son assistante et son principal soutien pour le reste de sa vie. Helen remplace alors le frère de Brindamour pour le numéro Transmutation et apparait sur les affiches lithographiées du magicien. Brindamour joue dans des vaudevilles et intervient entre des pièces de théâtre, ce qui lui vaut les éloges des amateurs de théâtre de l’époque. Il développe son spectacle avec de nouvelles illusions dont Anetta, la fameuse lévitation d’Albert Winkler (Aga Levitation). Il exécute des classiques comme la Rising card (La Carte montante), la Table flottante, ou la manipulation de boules de billard. Il excelle aussi dans l’empalmage de divers objets.
Brindamour a de nombreuses relations3 et est très au fait de l’évolution de l’art magique. Lorsque la renommée d’Harry Houdini devient mondiale, il met un peu de côté ses illusions et saisit l’occasion pour se spécialiser dans l’escapologie. À partir de 1900, Brindamour se présente comme « The Original Jail Breaker and Handcuff King », se produisant dans tous les États-Unis mais aussi à l’étranger, attirant la foule dans chaque ville ou village qu’il visite. Pour faire connaitre sa nouvelle spécialité, il s’évade d’une cellule de prison à Wickford, Rhode Island en janvier 19004. Il commence son spectacle itinérant avec une représentation publique gratuite qui a pour but de lui faire de la publicité dans les quotidiens locaux et d’attirer les gens lors de ses spectacles payants. Parmi ses exploits, il se fait menotter et jeter dans un lac ou une rivière (souvent à moitié gelée) pour en ressortir en un rien de temps, libre de toutes entraves5. Se fait menotter et enfermer dans une solide boîte en pin et se libère à nouveau en un clin d’œil, etc. L’un de ses coups de pub préférés consiste à faire sonner, à une heure donnée, n’importe quelle cloche d’église choisie par quelqu’un dans le public.
En 1903, Brindamour fonde une nouvelle compagnie familiale (avec sa femme, son frère et sa nièce) sous la direction de George E. Hawes (ancien directeur du Woonsocket Opera House de Rhode Island). Son spectacle dure deux heures trente et est un mélange de magie générale, d’évasions de menottes, de danses, de musiques et d’illusions. On y retrouve notamment La Tête flottante et Le Clown en lévitation (une variante d’Anetta). Brindamour termine la représentation par une pantomime intitulée Le Roi des régions infernales basée sur le « Théâtre noir » où apparait un visage géant tirant la langue. En 1905, Brindamour fait équipe avec Naida, la Nymphe des mers, dans un numéro féérique d’effets mécaniques et électriques, où elle est suspendue dans les airs par un filin, nageant parmi des créatures marines.
De magicien à escapologiste
En 1906, Brindamour dissout définitivement sa compagnie pour commencer sa nouvelle carrière d’escapologiste à plein temps. Il signe avec William Morris, l’un des plus grands agents indépendants de l’époque et se fait manager par Ben Greene. Son programme est composé d’évasions de menottes, de prison et de camisoles de force empruntées à l’asile du coin lors de ses déplacements. Pour clore sa représentation, il se fait enfermer dans la Spiked Spanish Cell, une cage en acier munie d’une grosse serrure. Après avoir été recouverte d’un drap noir, Brindamour disparait de la cage pour se retrouver à l’autre bout de la salle. L’escapologiste effectue aussi des défis avec des menottes en cuire, des chaînes de bûcheron ou des caisses d’emballage fabriquées par des commerçants locaux. Une de ses plus spectaculaires performances est l’évasion de l’avant d’un train avant que celui-ci ne quitte la gare.
Brindamour vs Houdini
En 1895, Houdini est présent à Woonsocket, pour faire la publicité d’un spectacle où il met au défi la police locale avec des menottes. On ne sait pas l’influence que cela a sur Brindamour, mais il semble que ce dernier a effectué de son côté des évasions de menottes plusieurs années avant qu’Houdini ne commence. En 1900, lorsque Houdini rencontre le succès pour la première fois aux États-Unis sous la direction de Martin Beck, Brindamour apparaît à deux reprises dans des théâtres voisins à Providence et à Philadelphie. Quand Houdini part conquérir l’Europe, son absence permet à Brindamour de s’installer définitivement dans le vaudeville américain avec sa propre version du « numéro des menottes ». Il devient alors le concurrent directe d’Harry Houdini quand celui-ci revient en Amérique.
Bien des années plus tard, une confrontation entre Houdini et Brindamour a lieu au cours de l’été 1907. Les hommes se livrent une bataille publicitaire dans les pages du Variety magazine, qui publie un encart vantant le salaire de 1 000 $ par semaine de Brindamour comme le plus élevé jamais payé par le vaudeville des États de l’Ouest. La rumeur dit que l’agent William Morris a signé Brindamour – pour concurrencer Houdini qui a récemment signé avec une agence rivale – le présentant comme « Le Roi de tous les Rois des menottes » ! Houdini se produit alors à San Francisco au Orpheum Theatre sur Ellis Street. Juste à côté de l’Orpheum se trouve une autre maison de vaudeville, The Princess. C’est au cours de la dernière semaine d’engagement d’Houdini, qu’un artiste d’évasion rival, fait son apparition au Princess Theatre : Brindamour. Après cet épisode, Brindamour et Houdini ne se croisent plus jamais.
Un escapologiste singulier
Brindamour fait une carrière respectable obtenant toujours de bonnes critiques. À la différence d’Houdini, il veut juste construire un solide numéro de vaudeville sans l’ambition de devenir le meilleur du monde. Comme l’a dit un journaliste de l’époque : « Houdini croyait beaucoup à la publicité et s’est fait un nom, tandis que Brindamour est resté à l’écart des projecteurs pour bien faire son travail. » Bien qu’il passe « après » Houdini, le public enthousiaste apprécie les performances de Brindamour. Il est une tête d’affiche pendant vingt-huit ans. Il est l’inventeur des « menottes Twister » (qu’il commercialise pour 1$), le créateur de nombreuses méthodes d’évasion et de numéros originaux dont le Beer Barrel Act Escape, la Spiked Spanish Cell, le Glass Display Cases (Glass Show Case) et la Chaudière à évasion. Brindamour continue de faire son numéro d’évasion des menottes longtemps après qu’il soit passé de mode. Lorsque les réservations deviennent rares, il organise parfois une soirée complète ou il fait simplement des numéros de magie. Il continue à jouer sur tous les petits et grands circuits de vaudeville jusque dans les années 1920, et tourne avec le Keith & Orpheum’s circuits.
En 1929, Brindamour et sa femme quittent l’agitation des tournées et déménagent dans le sud de la Californie à Los Angeles au moment même où la Grande Dépression frappe les États-Unis. Brindamour décide de prendre sa retraite magique, mais en pleine crise économique il a besoin de revenus complémentaires. Il travaille alors comme vendeur et joue quelques petits rôles dans des films hollywoodiens. À partir de 1933, dès que les occasions de travail se présentent, il continue quand-même à faire quelques représentations magiques avec des numéros de lecture de pensée, de divination, d’hypnose et d’effets spirites. Grâce au Federal Theatre Project, il intègre en 1935 des troupes de théâtre, des productions et des revues locales comme Follow the Parade. Brindamour se retire définitivement de la scène en 1939 et décède d’une longue maladie le 31 juillet 1941 à l’âge de soixante et onze ans.
Notes :
1 Brindamour est parfois orthographié à tort « Brindamoor » avec deux « o », se prononçant « ou », d’où la confusion. La consonance francophone de son nom « Brin d’amour » confère au personnage une image de séducteur.
2 Helen Patterson (1872-1950) est une actrice, chanteuse et danseuse accomplie originaire de Géorgie. Elle se produit sous le nom de scène d’Helen Hilliard. Après son mariage elle prend le nom de son mari Brindamour et ce dernier l’appelle Nellie.
3 Parallèlement à sa carrière et selon ses dires, Brindamour vient en aide à un autre grand magicien de l’époque de manière surprenante, puisqu’il est aussi la doublure de Léon Herrmann (1867-1909), chaque fois que ce dernier est malade et dans l’incapacité de monter sur scène jusqu’en 1905. Avec leur coupe de cheveux, leur moustache et leur barbichette, ils sont tous les deux confondants.
4 Houdini réalise sa première évasion de cellule après Brindamour en avril 1900.
5 À ce propos, on peut lire dans l’une des brochures de Brindamour : « Le seul homme vivant à avoir plongé menotter et enchainer dans une rivière remplie de glace au milieu de l’hiver. »
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